Faut-il appeler Dieu “Père” ?


Partager
Faut-il appeler Dieu “Père” ?
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
4 min

Notre langage est toujours marqué par notre expérience. Sans doute Jésus a-t-il eu une bonne relation avec son père Joseph, ce qui lui a permis de faire l’expérience de la bonté de Dieu. Il se situe ainsi dans la tradition biblique qui recourait déjà à l’image du père, le Père d’Israël, le Père du peuple (Isaïe 63, 16), mais sans résonance sexuelle, contrairement aux peuples voisins. Il est aussi le Père du croyant: Comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui l’adore (Psaume 103, 13).

Le vocabulaire biblique se situe surtout dans le registre masculin. La société d’alors, comme la plupart, était patriarcale. Mais la Bible utilise également des images plus féminines. Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas (Isaïe 49, 15). Ou: De même qu’une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai (Is 66, 13). On le voit, le mystère divin intègre la symbolique du masculin et du féminin.

Dieu, Père et Mère

C’est en désignant Dieu comme Père, "le Père des cieux", que Jésus a exprimé cet amour divin qui l’habitait. Dans sa prière, il le nommait Abba, mot de la langue familière, que personne n’aurait osé employer avec Dieu et qui n’est pas attesté dans le judaïsme préchrétien. Aujourd’hui, il est sans doute bon de pouvoir également avoir recours au registre féminin. "Tu es tellement père qu’il faut te nommer aussi mère", écrivait le catholique Bruno Chenu tandis que la protestante Lytta Basset parle du "sein maternel du Père". Eric-Emmanuel Schmitt, dans sa fiction romanesque L’Evangile selon Pilate, fait dire à Jésus: "Mon Père me parlait comme une mère". Sous la plume de Clément d’Alexandrie (IIe-IIIe siècle ap. J.-C.), on trouve déjà cette phrase étonnante: "Par sa mystérieuse divinité, Dieu est Père, mais la tendresse qu’il nous porte le fait devenir Mère. Le Père se féminise en aimant."

Nous avons tous un père. Il fait intimement partie de notre histoire même s’il ne fut pas un bon père et nous a laissés profondément blessés. Le père terrestre peut en effet être le géniteur "castrateur", dirait Freud, et vouloir imposer son nom, son autorité. Dieu, lui, est celui qui ouvre des chemins de liberté, qui laisse l’enfant prodigue partir sans envoyer personne à sa poursuite. Pour certains, c’est l’image de la mère qui sera négative: elle fut celle qui a retenu, qui a refusé de couper le cordon ombilical. Dieu, lui, nous donne la vie et nous confie le monde en s’effaçant.

A la source de notre être

Nul nom n’est parfaitement adéquat. Les Juifs étaient prudents: nommer Dieu trop facilement ferait de lui un concept parmi d’autres. Dieu demeure "l’Inconnaissable". L’image paternelle, qui situe Dieu dans la verticalité filiale et non dans l’horizontalité fraternelle, évite la tentation du panthéisme qui est davantage fusionnel, confondant Dieu et l’univers, Dieu et nous. Il est en effet à la source de notre être. Mais elle a aussi le travers, notamment aux yeux des féministes, d’un rappel de la domination patriarcale.

Rien ne nous oblige à utiliser le mot de Père dans notre prière personnelle. Dans la Bible, il y a bien des manières de s’adresser à Dieu. Nous pouvons en choisir une autre, mais à condition qu’elle exprime la même chose: une confiance reconnaissante et respectueuse. Dieu demeure en effet celui qui nous aime. Il a une attention particulière pour chacun de nous, il est tendre et miséricordieux à notre égard. Il n’est pas le grand architecte de l’Univers, ou la chiquenaude initiale ou encore La Nature, avec un grand N, de Spinoza ou d’Einstein, ou bien celui qui se cherche des esclaves pour creuser ses canaux, comme au temps de Babylone.

Faisant partie de la tradition chrétienne, ce mot repris par la seule prière que Jésus nous ait enseignée, permet de ne pas en rester à la prière intime, mais de pouvoir prier aussi de manière communautaire, croisant ainsi la relation filiale et la relation fraternelle.

Charles Delhez, s.j.
Curé de Blocry,
Conseiller spirituel des Equipes Notre-Dame

Catégorie : L'actu

Dans la même catégorie