Cela fait plusieurs mois que les célébrations ordinaires sont toujours limitées à 15 personnes, peu importe la taille du lieu de culte. Face à ces contraintes liées aux risques de transmission du coronavirus, on ne peut guère taxer le doyen d'Arlon d'immobilisme et de manque de créativité.
Après la messe de Noël en "drive in", qui a accueilli plus de 150 voitures et 400 personnes, et avant une version semblable pour Pâques, il a tenu à signifier symboliquement son refus de considérer la mort du spirituel.
Soutenu par son équipe paroissiale mais aussi par ses confrères doyens du Sud Luxembourg, Pascal Roger a ouvert la célébration de ce 4e dimanche de Carême en se recueillant autour d'un cercueil vide. Il l'avait annoncé la semaine dernière: "Personnellement, je ne veux plus me taire devant les incohérences des mesures et le mépris dont culte et culture sont l’objet. Dimanche [NDLR: 14 mars], autour d’un cercueil (vide), nous nous recueillerons nombreux pour le repos éternel du vieil homme instrumentalisé et réduit à sa corporéité. Dimanche, autour d’un cercueil (vide), nous prierons dans l’espérance de la résurrection d’un homme nouveau pris au sérieux dans toutes ses dimensions et respecter dans sa liberté. "(*)
Les célébrations ont été, somme toute, très ordinaires, selon le doyen. "Les messes se sont déroulées normalement. Il ne s'est en fait rien passé. Pas de calicot ni trompettes ni tambour. Simplement un geste symbolique qui voulait interpeller et exprimer ce que nous voulons faire entendre à nos gouvernements. De manière pacifique, pas avec le fusil. Mais c'est un combat!"
Chaque messe a donc débuté par une allusion à l'incohérence des mesures sanitaires: 50 personnes admises à des funérailles mais toujours 15 pour les célébrations ordinaires. "J'ai toujours été extrêmement draconien sur le respect des règles sanitaires. Nous essayons tant bien que mal de garder la jauge de 15 mais c'est très difficile. Et puis, l'église St Martin est grande comme une cathédrale; on peut y accueillir 1.000 personnes." En temps normal, 300 paroissiens assistent à la messe dominicale de 11 heures. Hier, ils étaient une trentaine. Le doyen se montre serein concernant une éventuelle amende mais il attend que "les gouvernements fassent preuve de bon sens quand ils traitent les questions qui nous concernent" et il précise: "Je n'encourage pas à transgresser la règle mais à la déplacer."
Des humains reconnus dans leur globalité
"On n'a pas fait une émeute ni une manif mais simplement lu un message autour du cercueil". Il ne s’agit pas d'instrumentaliser la liturgie pour se faire entendre insiste Pascal Roger; mais il souligne l'importance "que l'être humain soit considéré dans sa globalité, dans sa personnalité tout entière, et pas seulement comme un instrument de consommation ou de productivité. Comme un corps qu'il faut à tout prix guérir au détriment de toutes les autres dimensions. C'est le message qu'on a voulu faire passer. Je m'attendais à avoir beaucoup plus de réprobations, j'en ai reçu une seule: une personne estimant que cela pouvait blesser ceux qui ont eu un deuil dans l'année." Pourtant, dans son message d'introduction, le doyen a bien manifesté son soutien et sa compassion à toutes les familles endeuillées.
A la sortie de toutes les messes, l'abbé Roger a retrouvé des paroissiens heureux, dit-il. "Cette action a libéré la parole et les gens se sentent reconnus". Via les réseaux sociaux, le doyen a reçu au moins 250 messages d'approbation, venant de toutes parts, y compris des autres cultes. Au sein de la communauté des catholiques, il remarque une "unanimité: tant les conservateurs, voire traditionnalistes, que les gens plutôt de gauche veulent une reconnaissance."
Pascal Roger complète: "Nous ne sommes pas des anarchistes. Nous voulons servir le bien commun. Nous voulons aller de l'avant mais nous voulons que la société change. Œuvrer au royaume de Dieu c'est pour que la société soit meilleure, que le vivre ensemble soit plus respectueux de chacun, que l'être humain soit considéré dans sa globalité. Je suis intimement convaincu que nous devons aller de l'avant. Je suis bien plus confirmé en cela grâce aux encouragements: "vous avez une place dans la société, une parole à faire entendre et faites-le dans le respect de la liberté des convictions et opinions" nous dit-on. Je crois que la plupart des convictions se retrouvent dans la même conception. Et même tous les hommes et femmes de bonne volonté, même s'ils ne partagent pas de conviction religieuse."
Pascal Roger n'est donc pas seul à en avoir assez de mesures incohérentes, impossibles à suivre. D'ailleurs, la semaine dernière, le doyen de Bertrix (aussi en province de Luxembourg) a également célébré une messe en présence d'un cercueil vide.
Par ailleurs, l'évêque du diocèse de Namur-Luxembourg s'inquiète lui aussi de la non reconnaissance des cultes et de la culture tout en transmettant un message d'espérance (voir sur Cathobel "Ne soyez pas désemparés!"). Pascal Roger salue le courage de Mgr Warin car "ce n'est pas simple pour un évêque de prendre la parole officiellement. Il nous invite à ne pas nous laisser désemparer. Personnellement, je ne le suis pas du tout et je ne tiens pas à me laisser - et à nous laisser, en tant que chrétiens - mener par le bout du nez et nous interdire ce qui, à mes yeux, est vital à la vie de l'être humain."
Par le geste accompli ce dimanche, le doyen veut que "les gens soient pris au sérieux". Il ne voit pas d'inconvénients à faire respecter le couvre-feu et les mesures, "pour autant qu'elles soient réalistes et cohérentes et qu'elles permettent d'accéder à autre chose que ce qui a été décidé de manière arbitraire en tant que "essentiel" ou "non essentiel". Car cet arbitraire-là, dit-il, est insupportable.
Il espère être entendu et que les gouvernements fassent preuve de bon sens quand ils traitent les questions qui concernent les cultes et la culture. "Pour moi, c'est le même combat. Pourquoi le guitariste Quentin Dujardin n'a pu faire un concert pour 14 personnes dans une église?" s'interroge-t-il. "On se demande si la culture, les mouvements philosophiques ne dérangent pas un peu car ils apportent un regard critique. Celui-ci est-il encore autorisé? On est dans une société occidentale, y compris en Belgique, où la démocratie est en souffrance . Il faut oser le dire. Ne sommes-nous pas un aiguillon?"
Pascal Roger conclut: "Je me sens en paix, dit-il. J'ai le sentiment de faire mon devoir et quand on fait son devoir on a déjà sa récompense."
Nancy GOETHALS
(*) A lire sur Cathobel OPINION – Culte et culture, des essentiels, que diable !
A paraître dans Dimanche n°12 "Stop à la passivité!