
Le confinement ne doit pas empêcher de voir le monde extérieur
Un de nos lecteurs nous partage son choix de s’être confiné totalement depuis le tout début de la pandémie. Ce témoignage montre la capacité de sortir tout en restant chez soi. Son choix radical ne manque pas d’interpeller. Puisse-t-il nous permettre de remettre les événements en perspective.
Accumulant les facteurs de risque – mon âge, mon handicap (amputé de la jambe gauche), mes problèmes circulatoires, respiratoires, diabète, apnées du sommeil, … mon tabagisme – même s’il paraît que la nicotine est un paravent contre le Coronavirus – je n’ai plus mis mon pied dehors depuis le 10 mars !
Je ne sors plus, je ne reçois plus personne. Cela ne me change guère des 14 mois que j’ai passés en dehors de chez moi, à l’hôpital, pour les interventions chirurgicales, suivies de la revalidation. Aujourd’hui, je suis chez moi et je reste chez moi. Avant que le Gouvernement ne prenne la mesure du confinement, suivant les conseils des scientifiques, j’ai pris la décision, librement, sans contrainte, de rester confiné, profitant de mes quatre lieux principaux de vie: ma chambre, ma cuisine, ma salle à manger et mon bureau. Quatre lieux où je passe un certain temps, tous les jours. J’ai choisi de me retirer du monde !
Ceci n’est pas tout-à-fait vrai, car, j’ai la visite d’une infirmière, tous les deux jours, pour les soins. Tous les dimanches, une voisine m’amène mes petits pains et mon pain pour la semaine. Tous les lundis, une de mes filles et son conjoint font mes courses. Ils les déposent à l’entrée de l’appartement et je me désinfecte les mains après avoir vidé les sachets. J’ai pris l’habitude de donner quelques coups de téléphone, chaque semaine, à deux ou trois personnes que je sais seules, confinées, elles aussi, mais contre leur gré. Régulièrement j’adresse un message aux résidentes et résidents d’une Maison de repos où j’assurais deux ou trois lundis par mois une célébration de la Parole, suivie de la distribution de l’eucharistie.
Ce n’est pas la peur qui a guidé ma décision, mais la raison, la réflexion. Je ne suis pas résigné, puisque j’assume les conséquences concrètes de cette décision.
J’ai relu « La peste » d’Albert Camus, tout au début des mesures gouvernementales. Et également un livre sur la guerre 14-18. J’en suis à l’année 1914, et je me dis que, cette année-là, les gens ne savaient qu’ils en avaient pour quatre ans ! Il n’en faudra pas autant pour que les scientifiques mettent sur le marché un vaccin efficace et éprouvé. Je me méfie de la course à la fabrication de ce vaccin. J’attendrai le temps qu’il faut.
Certaines personnes s’étonnent de cet ‘enfermement’ auquel j’ai l’air de tenir. Pour leur donner ‘symboliquement’ tort, j’ai désigné les différentes pièces de l’appartement où je vis par des noms de villes bibliques. C’est ainsi que c’est à Jérusalem que je me réveille, que je vois le jour se lever, que, pour moi, un nouveau jour se lève. Après ma toilette à Tibériade, je me rends à Béthanie, la cuisine, où je déjeune, tout en écoutant différents journaux parlés. L’infirmière me prodigue les soins nécessaires à Jéricho. Vers 9h15, après avoir donné l’un ou l’autre coup de téléphone à des personnes qui me tiennent à cœur, notamment des personnes que je sais seules, je traverse le couloir, la vallée du Jourdain, pour me rendre à Nazareth, l’atelier, mon bureau. Ensuite, je prends la direction de Capharnaüm, la salle à manger, où bien peu de place est disponible sur la table pour y déposer une assiette, prendre mon repas, que j’ai préparé, chaque jour, moi-même, tout en regardant le journal télévisé. Un véritable Capharnaüm! Vu mon handicap, j’ai besoin d’avoir mes affaires à portée de main. Rien de tel que le sol pour avoir un accès facile. Mes après-midis sont consacrés à la lecture, à certaines émissions de télévision, dont les jeux de France 3. Cela doit étonner mes voisines et voisines de m’entendre parfois applaudir, m’applaudir, quand je trouve la réponse, voire une meilleure réponse que les candidats, à l’émission « Des chiffres et des lettres » ou à « Questions pour un champion ». Le soir venu, c’est une nouvelle traversée du Jourdain pour me rendre à Jérusalem.
Et la prière dans tout cela? Etant devenu, depuis le jour de mon baptême « temple du Saint-Esprit », je le laisse fréquemment, dans mes journées, sortir de mon cœur. C’est plus facile pour moi que la lecture quotidienne du bréviaire à laquelle je me force parfois. Et la messe? Pendant le confinement, je suivais l’eucharistie célébrée par le pape François à la Maison Sainte-Marthe à 7 heures, ainsi que la messe quotidienne célébrée depuis le presbytère de Saint-Nicolas en Outremeuse. Et le dimanche, la messe retransmise depuis la cathédrale Saint-Paul. Autant, il m’était facile de vivre la liturgie de la Parole, autant je devais réaliser un véritable effort pour entrer dans la liturgie proprement eucharistique. Le dimanche, c’est à saint-Germain l’Auxerrois que je « participe » à l’eucharistie retransmise par KTO à 18h30.
C’est une fameuse occasion qui nous est donnée par cette toute petite bête pour faire le point sur sa vie, de se remémorer toute une série de souvenirs et de les noter, de les transcrire. J’ai intitulé le recueil de ces notes « Traces de vie, vie de traces ». J’ai des journées bien occupées et, si je respecte une véritable distanciation physique, ce n’est en rien une distanciation sociale ! J’ai horreur de cette expression erronée. Ce n’est pas parce que l’on respecte une distance physique que cette distance peut être qualifiée de « sociale ». Mais, voilà, le pli a été pris par nos gouvernants et par les moyens de communication et on véhicule une énormité et … un mensonge !
« Tout est grâce », écrivait sainte Thérèse de Lisieux, Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, dans « Histoire d’une âme ». Comme toute médaille a son revers, sans négliger l’aspect négatif et destructeur d’un événement, il est possible d’en envisager l’aspect positif, vivifiant.
Michel WELKENHUYZEN, Diacre permanent
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