Des moines et des moniales au chevet des patients COVID


Partager
Des moines et des moniales au chevet des patients COVID
Frère Séraphim, Rachel Morand (aumônière) et sœur Amandine à l’issue d’une journée de travail. (DR)
Par La rédaction
Publié le
7 min

Frère Séraphim, Rachel Morand (aumônière) et sœur Amandine à l’issue d’une journée de travail. (DR)

Huit frères et sœurs de la Fraternité de Tibériade (Lavaux-sainte-Anne) sont arrivés mi-novembre, juste après rush de la seconde vague, à l’hôpital de Jolimont à La Louvière, avec le statut de volontaires pour apporter leur soutien dans les unités « Covid ». Témoignage de l’un d’eux.

Ce projet est né d’une ouverture de la Fraternité à l’inattendu de la vie. En raison du confinement, l’hôtellerie de Tibériade ne pouvait en effet plus accueillir, libérant du temps pour les frères qui ont réalisé qu’il leur était possible se rendre au chevet de malades. Au préalable, ils ont reçu une formation accélérée de deux demi-journées axées sur l’initiation aux mesures d’hygiène (poser les bons gestes, comment s’habiller, mettre et ôter correctement les gants…), ainsi que sur un volet humain et spirituel (la manière d’aborder les patients, l’écoute, les fausses routes à éviter dans la communication). La présence des religieux s’est déployée dans trois directions : visiter les patients, écouter le personnel et apporter leur aide au niveau logistique.

Lors de la première vague, comme dans la plupart des lieux, volontaires et visiteurs ont été interdits d’accès dans les unités « Covid ». Pour les familles qui perdaient un proche, c’était extrêmement dur de ne plus le revoir depuis le moment où elles l’avaient confié à l’hôpital. Cela a compliqué le processus de deuil. Ainsi une femme a été jusqu’à se demander si c’était bien son mari qu’on allait enterrer. Comment réaliser le départ d’un proche quand on ne peut même pas voir sa dépouille ? En effet, quand le patient décédait alors dans ces unités, les infirmières faisaient sa toilette et mettaient le corps dans une housse mortuaire. Les pompes funèbres se chargeaient ensuite de la mise en bière et fermaient le cercueil. Cette perte de leur défunt était vécue par d’aucuns comme un rapt.

Une relecture de cette période a permis de mettre en évidence les effets souvent désastreux sur les patients de cette absence de visites (moral en berne, perte du goût de vivre, etc). Ce constat a permis une prise de conscience déterminante quant à la manière de gérer la seconde vague. L’hôpital a ainsi décidé d’autoriser l’accès aux unités Covid au cas par cas sur base d’une évaluation particulière des situations et d’un critère « humanitaire ».

Le stress de Frère Séraphim

Parmi les moines présents à l’hôpital, Fr. Séraphim (33 ans), qui est entré dans la communauté de Tibériade il y a dix ans. Formé en aquaculture, rien ne le prédisposait à vivre cette expérience en milieu hospitalier. Au début, il s’est senti un peu stressé : « J’arrive dans un service au top niveau, il s’agit pas de rigoler ! » Impressionné aussi par l’attirail, véritable harnachement : combinaison intégrale ou surblouse, masque FFP2, visière, charlotte… La secrétaire médicale l’a mis au courant, lui a réexpliqué les mesures et l’a orienté dans l’espace de l’unité (repérer les différentes réserves de matériel, etc.).
Sur son badge, deux simples mots : « Frère Séraphim » auxquels est accolé son statut de « volontaire Covid-19 ». Auprès des patients, il se présente comme volontaire et moine.

Concrètement, il se rend dans une unité « Covid » de 9h à 16h en continu et partage le repas de midi avec les travailleurs de l’unité. A l’intérieur de l’hôpital, il ne porte aucun signe distinctif. Une fois arrivé le matin, il troque en effet son habit de moine pour une tenue hospitalière. Au début, certains membres du personnel cherchaient qui étaient ces religieux venus en renfort. « Un peu comme si nous étions sortis du zoo », sourit Frère Séraphim. « Et quand l’un de nous, se confondant à l’ensemble du personnel avec sa blouse blanche, disait : 'Mais c’est moi !', il y avait un grand étonnement. Il lui est même arrivé d’être pris pour le docteur !

Soutenir patients comme soignants

Le premier jour, ses visites aux patients étaient courtes, dépassant rarement le quart d’heure. Une fois le tour des patients terminé, il venait en support logistique et était disponible pour les soignants. Au fur et à mesure les personnes ont pris goût à ces moments et lié contact plus en profondeur. Un patient lui a ainsi raconté un morceau différent de sa vie à chacun de ses passages.
Mais il est arrivé qu’un malade encore bien quelques jours plus tôt voit son état brusquement se dégrader, désature et meurt. Onze personnes sont décédées la première semaine de la présence de Fr. Séraphim dans l’unité, soit en moyenne une à deux par jour. Devant l’hécatombe, découragée de voir peu de personnes sortir vivantes des soins intensifs, une soignante épuisée par le travail mais aussi par le manque de sommeil, hantée la nuit par les visages des patients décédés, lui confie qu’elle se sent au fond du trou : « On n’en peut plus, on n’est pas prêt à voir autant de morts. Je suis là pour aider à la vie, pas pour aider à mourir ». Elle a pu confier à une oreille attentive ce qu’elle avait sur le cœur et se sentir moins seule…

Parfois les soignants ne parviennent pas à faire entendre la nécessité d’un traitement à un patient. Comme cette dame qui refusait un acte de soin jugé fort invasif proposé par le médecin. Frère Séraphim, parce qu’il n’appartient pas à la sphère médicale, remarque qu’elle l’autorise à l’aider à considérer le problème sous un autre angle. Pressé par la gestion de la crise et le débordement des services… le temps manque au personnel pour écouter réticences, peurs ou frustrations. Le Frère a fait part au chef de service du vécu de cette patiente et la situation a pu se dénouer. En somme, le temps dont le volontaire dispose offre un espace d’écoute qui humanise les soins de santé.

Etre là tout simplement

Interrogé sur le sens et le fruit de cette expérience pour lui, Frère Séraphim répond : « Comme religieux, il est important pour moi d’aller à l’autre tel qu’il est, de pouvoir par ma présence être signe de la présence de Dieu, du Christ à ses côtés. C’est le cœur de ma mission. Quelqu’un va ouvrir le dialogue par des mots comme : « Avec tout ce qu’il m’est arrivé dans la vie… ». Les gens ont surtout besoin d’être écoutés. Un point d’appui silencieux permet à la personne de confier ce qu’elle porte. Un « être là » qui fait la différence. Dans 100% des cas, c’est la première chose à faire. L’équipe d’aumônerie nous a invités à oser laisser des blancs dans l’échange. Et, c’est vrai, la personne redémarre, en dit un peu plus… « On » fait déjà beaucoup pour les patients, de multiples actes sont posés et ils ont l’impression qu’on décide pour eux. Mais quelqu‘un qui est juste là pour recueillir leur ressenti, c’est essentiel aussi dans les soins de santé ».

Frère Séraphim observe que gérer le lien avec un patient en fin de vie laisse parfois les soignants désemparés. La peur d’être trop investis dans la relation semble être comme une protection en prévision de son décès. Quant à lui, sa foi l’aide à prendre distance par rapport à la mort et à l’absence à laquelle elle confronte : « La perte d’un être cher est toujours difficile humainement (perte de contact physique, visuel, auditif…). Mais la relation passe à un autre niveau et se prolonge. Apprendre à faire son deuil, c’est accepter que la personne soit morte. Mais, c’est davantage encore apprendre à entrer dans une nouvelle relation avec la personne défunte. Le drame de la séparation va alors se vivre différemment ». Et comme pour livrer le cœur de ce qui l’anime, il nous confie : « Je vis dans l’éternité ».

La litanie des prénoms

À l’issue de chaque journée de travail, les frères et sœurs se retrouvent en comité restreint dans la chapelle de l’hôpital pour célébrer l’eucharistie. Au cœur de celle-ci, la mémoire des personnes visitées et des défunts du jour... « Souviens-toi, Seigneur… ». Nul besoin de longues intentions quand au bout du jour une sobre litanie de prénoms a tant de poids !

Quittant l’hôpital à la fin de l’interview, nous croisons à la buanderie le jeune Matthias (photo ci-contre) âgé de 24 ans. Il nous demande avec un large sourire des nouvelles de la présence des frères. Il travaille dans l’ombre, mais est très fier d’évoquer pour nous son travail devant le hublot des grandes machines à lessiver. Des volumes impressionnants de linge transitent quotidiennement par ses mains. Dans ces temps de traversée périlleuse, chacun où qu’il soit et quelle que soit sa fonction est indispensable. Le regard pétillant de Matthias par-dessus son masque et son accueil chaleureux témoignent qu’il sait tout le sens de sa présence…

 

Isabelle MICHIELS, Chargée de projet au Service Spiritual Care (Centre interdiocésain) et aumônière à la prison d’Andenne - spiritualcare@interdio.be

Voir aussi le témoignage de Frère Bart sur le site du diocèse de Namur : « La Fraternité de Tibériade présente dans deux hôpitaux ».

Catégorie : Belgique

Dans la même catégorie