Depuis l’arrivée au pouvoir du président Al Sissi en 2014, la plus grande communauté chrétienne du monde arabe, bénéficie d’une tolérance nouvelle.
Devant le coiffeur d’une des rues principales du quartier des chiffonniers au Caire, des dizaines d’enfants se bousculent. Le nez écrasé contre la vitre qui sépare la petite boutique de la rue bruyante où klaxonnent des camions débordant d’ordures, ils attendent leur tour. Aucun ne tient ses distances, aucun ne porte de masque, malgré les nouvelles mesures prises par le gouvernement égyptien. Ces jeunes garçons veulent être coiffés selon la tradition du quartier pour se préparer à la veillée de Noël. Ils mangeront également un morceau de viande, comme en témoignent des carcasses de vaches égorgées en pleine rue. La question sanitaire est ici totalement marginale. « On vit avec les rats », plaisante Yacoub, « nos enfants les tirent par la queue. Ce n’est pas un virus de plus qui va nous effrayer! »
Quelques messes en petit comité
Des plus aisés aux plus pauvres, les coptes de toute l’Egypte qui constituent la plus grande minorité chrétienne du monde arabe, ont fêté hier soir la naissance du Christ. Si le pape copte orthodoxe Tawadros II a célébré la messe dans le monastère Saint Bishoy, à 100 km du Caire, aux côtés de personnalités de monde religieux, la plupart des coptes ont du se contenter de regarder la messe à la télévision, les autorités ayant interdit les rassemblements à cette occasion. Dans le monastère Saint Simon qui surplombe la colline des chiffonniers, la grande porte était gardée par des policiers intransigeants, ne laissant passer que des invités triés sur le volet. Les autres, habillés pour l’occasion, souvent entourés d’enfants, ont été renvoyés chez eux dans leurs sombres logis, installés au dessus des rez de chaussée où sont stockés les sacs d’ordures à trier. Simultanément, à Zamalek, l’îlot verdoyant du centre du Caire, la paroisse Marachli célébrait également une messe en petit comité, entouré d’un important dispositif de sécurité pour prévenir toute tentative d’attentats, tel celui qui avait ensanglanté 11 décembre 2016, l’église Saint-Pierre et Saint-Paul au Caire.
Construction de nouvelles églises, régularisation de centaines d’autres
Mais depuis quelques années, les coptes vivent une période relativement paisible. « Pour les chrétiens d’Egypte, l’ère inaugurée par l’arrivée au pouvoir du maréchal Abdel Fattah al-Sissi est une des meilleures vécues depuis des décennies », déclare le père Antoine Rafic Greiche, porte-parole de toutes les églises d’Egypte. «Il n’affiche pas la pratique religieuse comme un slogan politique, ne se montre pas en priant à la mosquée, contrairement à Hosni Moubarak par exemple ». Dans les faits, le président égyptien qui a engagé une répression féroce à l’égard des milieux islamistes, a pris des mesures favorables à la situation des chrétiens. Ainsi, il a facilité la construction de nouvelles églises et régularisé l’existence de plusieurs centaines de petites églises construites dans les villages sans permis de culte. Cette vague de tolérance s’est également incarnée à travers la multiplication des Maisons de la Famille, un lieu où se rencontrent des responsables musulmans et chrétiens afin d’échanger leurs conceptions sur l’éducation, la morale ou plus simplement d’organiser des rencontres sportives entre membres des différentes communautés religieuses. Le père Antoine Greiche assure même que la politique du président égyptien est parvenu en enrayer le désir d’émigration des jeunes.
La communauté copte d’Egypte serait-elle en train de montrer que le cours de l’histoire peut s’inverser ? Rassurés d’avoir vu les Frères musulmans chassés du pouvoir en 2013, les coptes ont d’abord subi la colère islamiste à travers plusieurs attentats. S’ils sont encore régulièrement victimes de brimades dans les campagnes, une atmosphère de confiance relative s’est installée, sous le signe néanmoins angoissant du coronavirus qui fragilise la situation économique d’un grand nombre d’Egyptiens.
Laurence DHONDT
Photo (© Hamada Elrasam) : De jeunes garçons ont envahi les salons de coiffure pour se préparer à la veillée de Noël