Ce garçon est réputé colérique. Et il le sait. Il en est bien conscient. Ses parents, inquiets pour leur fils, vont trouver la psychologue Caroline Pélissier. Au cours de ses dialogues avec l’enfant, celui-ci, lucide, lui demande assez rapidement: « Comment arrêter mes colères? Est-ce que je peux parvenir à les arrêter moi-même? »
Remarquable question de cet élève d’école primaire, conscient de lui-même, conscient de ce que son comportement lui fait dire des paroles et commettre des actes qu’il n’approuve pas lui-même mais… qui sont plus forts que lui. Conscient aussi de la peine qu’il inflige à son entourage, surtout à ses parents, mais aussi à ses meilleurs amis. Il voit ceux-ci en souffrir ou, pour certains copains, se détourner de lui. Mais pourra-t-il agir sur ses colères? Pourra-t-il un jour les maîtriser?
La colère, un péché capital?
En posant cette question à sa psychologue, l’enfant est bien loin de savoir qu’il parle de ce qu’on appelle un des sept péchés capitaux (la colère, l’envie, l’avarice, la luxure, la paresse, la gourmandise et l’orgueil), depuis que le moine théologien et ascète Évagre le Pontique a pour la première fois utilisé ce concept au IVe siècle en Égypte. Les péchés capitaux sont appelés ainsi car ils sont susceptibles d’entraîner toutes les ruptures avec Dieu et les autres.
Mais peut-on toujours parler de péché quand on sait que tout le monde se met parfois en colère et que c’est une attitude jugée souvent normale et légitime? Même Jésus entre en colère lorsqu’il chasse les marchands du temple de Jérusalem! (Mt 21,12-13 ; Mc 11,15-17 ; Lc 19,45-46 et Jn 2,14-17). N’est-il pas bon et sain de ressentir de la colère et de l’exprimer face à une injustice ou quand on est témoin de quelqu’un ou d’un groupe qui est humilié, menacé, insulté? Ressentir cette juste colère prouve qu’on est profondément humaniste, qu’on n’est pas complice. On participe, au contraire, à sauver quelqu’un, à rétablir une situation injuste ou inhumaine. Se lever, avec force et intelligence, contre ce qui abaisse et opprime est, à l’inverse d’un péché, un acte noble et courageux. Il y a des colères justes. La colère de Jésus parce que le lieu du temple était dévoyé, transformé en lieu de profit économique, souvent malhonnête et qui entretenait un système qui écartait du Dieu d’amour et de la gratuité. Cette colère ne l’a pas empêché de donner sa vie pour le pardon des péchés, de pardonner à ses bourreaux et de promettre le salut éternel à un brigand crucifié à ses côtés.
Apprendre à se gérer
Mais voilà, et c’est justement là le travail de la psychologue avec cet enfant: l’être humain peut apprendre à, progressivement, avoir prise sur la manière dont il gère ses ressentis, ses sentiments. Non pas pour les cacher (surtout à lui-même) et les enfouir, ce qui serait déplorable et totalement contre-productif car, de toute façon, la colère ressortira bien plus forte et de manière encore plus incontrôlable.
Le psychopédagogue Christian Bokiau signale, au contraire, qu’il est essentiel de pouvoir s’exprimer et il offre maints exemples: dessiner, peindre, écrire son journal (pour les ados et adultes), photographier, filmer… pour projeter ses états d’âme, pour se calmer, pour se construire et se reconstruire. (« Se faire comprendre. Affirmation et bienveillance face aux heurts du quotidien », Lyon, Éd. Chronique sociale, 2016). La lecture peut être également très intéressante pour apprendre à gérer ses colères. Dès l’enfance, on peut lire des livres comme « Grosse colère », de Mireille d’Allancé (Paris, Éd. L’École des loisirs, 2000) ou « Halte à la bagarre. La communication pacifiste expliquée aux enfants », de Caroline Pélissier (Paris, Éd. Casterman Jeunesse, 2020).
Luc Aerens
Diacre, Comédien et pédagogue