Ce 27 janvier marque le 76e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz qui fit périr plus d’un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants, en majorité des Juifs issus de toute l’Europe. Peu à peu, les derniers survivants disparaissent. Ils nous ont légué une mission essentielle: devenir passeurs de leur mémoire.
A l’âge de dix-sept ans, j’entrepris de rencontrer des rescapés d’Auschwitz. Rosa Goldstein-Ehrlich me reçut à Ixelles un 4 avril, jour anniversaire de sa déportation en 1943. Rosa est décédée en 2013. Je retiens son courage incroyable. Un matin, elles sont environ cinq cents femmes à être levées très tôt. Une centaine d’entre elles, dont Rosa, sont sélectionnées pour la chambre à gaz. Elle le comprendra plus tard. Déshabillées, elles sont emmenées à travers les baraquements. Ayant entendu parler des fausses douches, Rosa inspecte les lieux, craignant de déambuler vers la mort. Elle aperçoit alors une porte gardée par un prisonnier. Rosa fait signe à ses camarades. Avec une trentaine d’autres, elle franchit la porte de force, court et retrouve les autres femmes qui ne devaient pas être gazées. Ces dernières, également nues, sont mouillées car elles viennent de passer à la douche. Les deux groupes se mélangent, mais une femme SS commence à tâter les crânes pour retrouver les femmes sèches destinées aux chambres à gaz. Rosa lutte alors pour sa survie. Elle urine dans ses mains pour mouiller ce qui lui reste de petits cheveux et faire illusion. Rosa échappe ainsi à la mort.
Je fus également accueilli par Benjamin Silberberg à Watermael-Boitsfort. Benjamin a été déporté à Auschwitz le 4 septembre 1942. Il est décédé en 2019. A l’époque, je lui demandais s’il était inquiet de la montée des extrémismes en Europe. Il me répondit que cela lui faisait peur. "Moi, je peux transmettre le passé. Je peux parler de toutes les horreurs des SS qui arrachaient les bébés à leur mère et les jetaient en l’air pour tirer dessus comme des cow-boys! L’horreur n’avait pas de limite. Mon devoir est de mettre les gens en garde. Vous, les jeunes, vous devez réagir! Quoi qu’il arrive plus tard, vous devez prendre vos responsabilités. Il faut combattre les extrêmes."
Paul Sobol ne l’aurait pas contredit. Rencontré à plusieurs reprises en milieu scolaire, Paul demandait aux jeunes de fermer les yeux pour s’imprégner de son histoire. Le 31 juillet 1944, sa famille est déportée avec le dernier convoi belge pour Auschwitz. Comme Rosa et Benjamin, ce qu’il subit chaque jour dépasse l’entendement: les coups, la faim, le froid, la peur. Il conserve sur lui une photo pliée en huit de sa belle Nelly qu’il espère tant revoir. Son amour pour elle le garde en vie. "J’ai survécu grâce à un ensemble de petits faits miraculeux qui, à des moments fatidiques, m’ont permis de sortir vivant. Penser à Nelly, me faire passer pour un menuisier... Il y a eu le facteur chance et la volonté de survivre." Paul partageait la résilience avec laquelle il s’est reconstruit après-guerre, insufflant un esprit de créativité et de volonté. Il s’est éteint en 2020.
Je dois aussi vous parler d’Elias-Israël Hager. Un jour, lors du tri d’une bibliothèque, on me tend un livre abîmé qui doit être jeté aux vieux papiers. Quelques inscriptions manuscrites m’intriguent et me poussent à le garder. C’est le début de longues recherches. Je découvre avec stupéfaction que son propriétaire était Elias, juif polonais ayant fui l’Autriche avec sa famille, déporté depuis Malines et mort à Auschwitz à l’âge de trente-quatre ans. Par mon enquête, je réalise que toute sa famille a été exterminée. En retrouvant une photo d’Elias, je découvre avec émotion son visage. Je prends conscience qu’il avait le même âge que moi lorsqu’il a tout perdu. Elias se préparait à devenir rabbin.
Victimes et survivants du nazisme nous ont adressé un avertissement imprescriptible. Face aux extrémismes qui menacent nos libertés, défendons coûte que coûte les droits et devoirs inestimables de la démocratie! La dignité humaine est sacrée. N’oublions jamais!
Sébastien Belleflamme
Enseignant et animateur en pastorale