Cette idée que la foi en Dieu diminuerait à mesure que les sciences progressent m’interpelle. Dieu aurait pendant des siècles comblé les trous de notre ignorance. Des modèles rationnels et scientifiques auraient pris le relais pour expliquer la vie, la nature, l’univers. Certes, il est non négligeable que le développement des sciences a permis à la religion d’évoluer dans ses représentations et de ne pas rester cantonnée, par exemple, dans une approche littérale des Ecritures. Toutefois, Dieu doit-il répondre à des critères de scientificité? L’athéisme se justifie-t-il au nom de la science?
Selon moi, le problème est l’approche scientiste, et non scientifique, qui érige la science en autorité absolue pour appréhender toutes les réalités de l’existence et du monde. A défaut d’un Dieu, le scientisme divinise la science, la rendant seule capable de satisfaire à toutes les aspirations de l’humanité. Pour Auguste Compte (XIXe siècle), toute approche sérieuse du réel implique un dépassement de la question du « pourquoi » des choses, proprement théologique et métaphysique, pour se concentrer exclusivement sur la question du « comment » propre à la science. La science expérimentale s’opposerait à tout autre type de connaissances et à la foi rangée au rang de superstition. Il s’agit là d’une vision abusive et non pas scientifique de la science. Il conviendrait déjà de parler des sciences et de la diversité de leurs objets et de leurs méthodes. Dans l’imaginaire scientiste, les théories scientifiques renverraient à un ensemble de propositions absolument vraies et exclusives parce qu’elles seraient le résultat tangible de l’observation et de l’expérience. C’est une compréhension inductiviste et naïve de la rationalité scientifique qui a été remise en cause par de nombreux philosophes des sciences au XXe siècle. Les sciences ne procèdent pas par accumulations de vérités immuables. De manière générale, elles élaborent rigoureusement les meilleurs modèles possibles, provisoires et améliorables. Elles avancent humblement par hypothèses, expériences, calculs, essais et erreurs, accidents parfois.
Par ailleurs, pratiquer les sciences ne prive pas le chercheur d’explorer d’autres modes d’appréhension du réel. Il convient de pouvoir distinguer les différents ordres de vérités, c’est-à-dire les différents registres de la réalité et leur langage propre. Considérer que la foi en Dieu serait par nature incompatible avec un travail scientifique est réducteur et ignorant de l’histoire des sciences. Il est incontestable que l’institution religieuse s’est montrée historiquement méfiante ou hostile au travail de plusieurs célèbres scientifiques. La condamnation de Galilée en 1633 a marqué les esprits. Il est clair également qu’un esprit scientifique ne pourra s’accommoder d’un dogmatisme rigide. Il n’empêche que nombre de grands scientifiques étaient des croyants, contribuant aux développements des sciences tout en respectant leur autonomie. Il ne faut pas confondre la méthodologie scientifique, travaillant à partir des réalités matérielles du monde, avec une approche matérialiste ou athée du monde qui réduit toute la réalité à la seule matière, ce que j’appelle un déni de l’invisible.
Admirons un coucher de soleil. Tandis que le scientifique en détermine les lois physiques, le poète s’en inspire pour composer ses vers. Le peintre l’immortalise dans ses plus chaudes couleurs. Le spirituel l’intériorise comme horizon de sa contemplation. Est-ce incompatible? Un même crépuscule entraîne ici l’humanité dans la technicité d’un traité d’astronomie, la création littéraire, l’esthétique et la pratique de l’art, et dans l’expérience sacrée. Chacune de ces approches a sa légitimité spécifique à dire une vérité de ce réel, selon des modalités et finalités différentes, à distinguer sans pour autant opposer. Un astronome peut parfaitement chercher avec la plus grande des rigueurs à rendre compte des mystères de l’univers, tout en accueillant subtilement ce dernier comme le révélateur infini de la transcendance et de l’amour divins.
Sébastien Belleflamme
Enseignant et animateur en pastorale