Vincent Minet, papa d’un enfant trisomique, se préoccupe du peu de considération dont la société fait preuve vis-à-vis des enfants « différents ». Témoignage.
Les personnes porteuses d’un handicap ont été bien oubliées pendant la crise sanitaire. Je l’ai moi-même tristement constaté, et il faudrait d’ailleurs avoir baissé les bras depuis bien longtemps pour ne pas l’avoir ressenti comme tel. Mais cela ne date pas d’hier, ni même d’avant-hier. Et, ne vous y trompez pas, la couverture médiatique de l’opération Cap 48 qui offre soudainement une belle visibilité aux plus fragiles d’entre nous, ne réduit en rien la triste réalité que beaucoup comprennent sans avoir pourtant les mots pour l’exprimer, ni même et surtout les bons interlocuteurs pour l’entendre et avoir l’honnêteté de le reconnaître.
Car la vérité du handicap, et plus particulièrement du handicap mental, c’est que dans notre pays civilisé où il fait bon vivre, au moins on le côtoie, au mieux l’on se porte. On n’oublie pas ces gens, on n’en veut pas, tout simplement. Que cela ne diminue en rien le mérite et la reconnaissance dus au monde éducatif et associatif dont les acteurs font un énorme travail si utile avec, souvent, beaucoup de dévouement et de compétence, mais en marge, en ce lieu sur le côté bien pratique dans lequel une minorité silencieuse est reléguée malgré elle, malgré l’énergie incroyable qu’elle déploie pour essayer de faire partie du centre – oserais-je dire du cœur ? Et cela commence dès avant la naissance.
Il y a un projet de vie possible
Je ne vais pas m’appesantir sur la réaction de ce médecin chef de service de néo natalité, croisé par hasard dans l’ascenseur, à qui j’annonçai la réussite de l’opération à cœur ouvert de mon bébé alors âgé de six mois. Cela avait l’air de lui faire le même plaisir que si je lui annonçais que j’avais crevé par hasard, dans un moment d’égarement ses quatre pneus de voiture avec une chignole. Dix mois auparavant, il nous proposait l’avortement. Eh bien, plutôt que d’essayer de nous culpabiliser de la naissance prochaine d’un enfant porteur de la Trisomie 21, s’il y avait eu quelqu’un pour nous dire : Très bien, voilà ! ce n’est pas la fin du monde, il y a un projet de vie possible pour votre enfant, projet que nous allons accompagner de telle et telle manière, en collaboration avec telle et telle association, pour qu’il soit heureux et pour qu’il puisse apporter sa part dans la construction de notre société… et parce qu’il fait bon vivre chez nous… Mais non, rien ni personne. Et maintenant presque vingt ans après, toujours rien ni personne. Ou plutôt il semblerait que deux alternatives fassent l’unanimité : c’est l’institution ou la maison.
Bien sûr, si l’on prend par ce bout-là, on comprend tout le reste du conditionnement. Cela commence dès l’école maternelle où l’on vous fait comprendre très tôt qu’il y a des écoles spécialisées. Et puis l’école primaire où l’on vous répète assez vite au cas où vous ne l’auriez pas entendu, ou alors pas bien compris, qu’il y a des écoles spécialisées. Heureusement, il y a l’inclusion, ou à défaut l’intégration dans l’enseignement ordinaire. Si vous saviez le nombre de personnes qu’il faut mettre d’accord pour que votre enfant puisse en bénéficier… Et puis il faut non seulement que tous soient partants, mais encore qu’ils le soient aussi dans la durée. Et comme l’un des maillons finit à un moment ou à un autre par lâcher car – ne saviez-vous pas ?, il y a des écoles spécialisées !… Et nous voilà donc finalement dans l’enseignement qui porte ce même nom, dit spécialisé.
Savoir vivre, savoir aimer
Là on vous demande de vous asseoir au bord du chemin sur un petit banc en dessous d’un arbre, en vous disant de ne vous inquiéter de rien, que vous avez pris la bonne décision, que c’était inéluctable et que vous pouvez avoir confiance et contempler tranquillement le paysage, la perspective sur l’avenir de votre enfant avec, à main droite l’institution, à main gauche la maison. Comment ça il ne pourra rien faire ? Mais si ! il pourra aller travailler dans une entreprise adaptée, loin là-bas derrière le bosquet que vous voyez à peine, en marge du reste du monde qui ne sait même pas que vous existez, à part quand c’est l’heure de Cap 48.
Mais pour votre enfant, cela ne marche pas comme cela. Lui, le reste du monde, c’est ça qui l’intéresse, et il fait tout pour y aller pendant que d’autres évaluent ses carences et ses manques et lui font l’aumône d’allocations majorées, ce qui devrait suffire –c’est vrai quoi, faut pas pousser… ça coûte quand même ! – lui, il dépense sans compter son énergie et son savoir être heureux pour se dire à lui-même combien la vie est belle et demander aux autres de la partager.
Alors, entre institution ou maison, n’y aurait-il pas une autre voie, celle du milieu que l’on n’ose parfois même plus s’imaginer, là où d’autres projets sont possibles à inventer, à développer et mettre au monde avec l’ensemble de notre société. Que cette dernière se rassure, elle ne perdrait peut-être rien de ce qu’elle est déjà, mais gagnerait sûrement ce que tous ceux qu’elle croyait à leur place, loin derrière, pourront apporter à une société inclusive : leur savoir vivre et leur savoir aimer.
Vincent Minet
Titre et intertitres sont de la rédaction.