L’église catholique française se divise face aux mesures sanitaires. Les uns dénoncent l’atteinte à la liberté de culte, les autres, appellent à poursuivre l’effort sanitaire.
Le dimanche 15 novembre, sur le parvis de nombreuses églises de France, des milliers de catholiques se sont rassemblés pour exiger la levée de l’interdiction des messes en public. Durant le premier confinement, les portes des églises étaient restées fermées pendant plus de deux mois. Mais ce second confinement, démarré le 3 novembre dans les églises, au lendemain de la Toussaint et de la messe des défunts, semble beaucoup plus mal ressenti par une partie des pratiquants français.
Plusieurs voix issues de la hiérarchie catholique en France se sont élevées pour dénoncer cette interdiction de célébrer la messe, annoncée par le Premier ministre, Jean Castex, à l’occasion du nouveau confinement. Depuis le reconfinement qui a démarré le 29 octobre, les lieux de culte restent ouverts mais ne peuvent célébrer la messe, à l’exception des funérailles, dans la limite de 30 personnes, et des mariages, limité à 6 personnes. "La liberté de culte n’est pas négociable", a déclaré Mgr Dominique Rey, l’évêque de Fréjus-Toulon. Soutenu par d’autres évêques, comme Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, ainsi que par le président de la Conférence des évêques de France et plusieurs associations catholiques, un recours a été introduit début novembre au Conseil d’Etat pour réclamer la reprise des célébrations religieuses. S’il été rejeté par le juge des référés, le 7 novembre, ce dernier a appelé à une nouvelle concertation entre l’Etat et les cultes.
Juge critique
A travers cette injonction, le juge a émis une critique à l’égard de l’exécutif français qui ne donne aucune date de révision des mesures (le 1er décembre a été timidement avancé). Une absence d’horizon qui passe de plus en plus mal dans l’opinion publique en France: que ce soit à travers l’atteinte à la liberté de culte, reconnue comme fondamentale par la Constitution, ou l’atteinte à la liberté d’expression qu’invoquent les fidèles qui manifestent devant leur église, en entonnant des "Je vous salue Marie", et en élevant des banderoles demandant, "Laissez-nous prier". "Le déclic pour une partie des catholiques, dont je fais partie, a été la prise de conscience que la situation sanitaire n’était pas une parenthèse", analysait pour le journal La Croix, Guillaume de Prémare, rédacteur en chef de la revue Permanences et ancien président de La Manif Pour Tous. En réclamant le retour des célébrations eucharistiques, les fidèles veulent également rappeler l’importance de la communion dans la foi catholique.
Un besoin spirituel supérieur au matérialisme?
Cette fronde de la part d’une partie des fidèles et de la hiérarchie n’a pas été suivie par les représentants des autres cultes. Elle est d’ailleurs contestée par une partie de l’église catholique française elle-même qui appelle à la patience. Plusieurs archevêques et évêques, à Strasbourg, Rennes ou Lyon, se sont désolidarisés de ces rassemblements de prière. "Je préférerais que les catholiques montrent qu’ils prennent leur part de souffrance en ces temps difficiles et qu’ils dépassent ce sentiment d’injustice", a ainsi déclaré Mgr Pierre-Yves Michel, évêque de Valence. Pour le sociologue des religions, Yann Raison du Cleuziou, ce désaccord fait rejaillir des clivages plus profonds. D’un côté, il y a les catholiques qui voient dans la privation de messe, un effort demandé au nom d’une lutte pour la vie de tous et de l’autre, et il y a ceux qui voient dans l’eucharistie, une priorité et un besoin spirituel plus essentiel que la préservation de la vie. Certains dénoncent toutefois à travers cette insistance sur la reprise du culte, une utilisation politique de la religion, d’autant qu’elle est relayée par des partis politiques d’opposition comme Le Rassemblement national ou le président du Sénat, le républicain, Gérard Larcher.
Une liberté du culte placée plus haut sur l'échelle des libertés
Quarante six parlementaires de l’opposition ont d’ailleurs fait entendre leurs voix, dans une tribune collective à l’adresse de Jean Castex publiée dans le Figaro (du 13 novembre). "Il en va du respect de l’esprit de la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État, qui a pris soin de placer haut sur l’échelle des libertés la liberté de culte, qui exige une protection particulière et qui ne peut pas être confondue avec la liberté de réunion ou encore la simple liberté de manifestation", ont souligné les élus. Sur le site catholique aleteia.org, Me François-Henri Briard (qui a représenté six évêques lors de l’audience devant le Conseil d’Etat), estime de son côté, que "les pouvoirs publics sous-estiment la nécessité pour les Français, croyants ou non-croyants, dans ces circonstances très difficiles, d’entretenir et de faire grandir une force spirituelle en eux".
Laurence D'HONDT