« Nous sommes analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement, l’assistance et le soutien aux plus fragiles […] ». Dans le deuxième chapitre de son encyclique « Tous frères », François reprend la parabole du bon Samaritain pour nous exhorter à briser le cercle vicieux de l’indifférence. Un appel à prendre soin de la fragilité de l’autre.
Ce chapitre se présente au premier abord comme une mini-catéchèse autour d’un récit que le pape rebaptise « Un étranger sur le chemin ». Mais ce serait trop vite évacuer la dimension politique de certains passages. Et si cette encyclique « s’adresse à toutes les personnes de bonne volonté, quelles que soient leurs convictions religieuses, la parabole se présente de telle manière que chacun d’entre nous peut se laisser interpeller par elle ».
L’indifférence n’est pas une option
Rien ne peut justifier l’indifférence aux yeux de Dieu. D’ailleurs, « Il nous dote […] de la faculté de créer une culture différente qui nous permet de surmonter les inimitiés et de prendre soin les uns des autres ». François s’applique donc au début de ce chapitre à montrer, à partir des textes vétérotestamentaires, que l’appel à aimer son prochain est universel. « Il y a une raison pour élargir le cœur de manière à ne pas exclure l’étranger » déjà présente dans l’Ancien Testament et formulée avec plus de force encore dans le Nouveau, par la voix de Jésus.
Alors que les deux premiers personnages, présentés comme importants, ont passé leur chemin, indifférents au sort du blessé, victime de brigands, « Quelqu’un d’autre s’est arrêté, lui a fait le don de la proximité, a personnellement pris soin de lui, a également payé de sa poche et s’est occupé de lui. Surtout, il lui a donné quelque chose que, dans ce monde angoissé, nous thésaurisons tant : il lui a donné son temps » commente François. Le pape nous adresse alors cette question « crue, directe et capitale » : « parmi ces personnes à qui ressembles-tu ? »
« Nous sommes analphabètes en ce qui concerne l’accompagnement, l’assistance et le soutien aux plus fragiles et aux plus faibles de nos sociétés développées. Nous sommes habitués à regarder ailleurs, à passer outre, à ignorer les situations jusqu’à ce qu’elles nous touchent directement » analyse François.
Pour les deux premiers protagonistes de ce récit, comme nous aujourd’hui, l’unique chose qui importe, c’est d’éviter des problèmes. « Obnubilés par nos propres besoins », la souffrance de l’autre finit par nous déranger, nous perturbe, « parce que nous ne voulons pas perdre notre temps à régler les problèmes d’autrui » déplore François.
Cette histoire nous invite pourtant à raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social. Par ses gestes, le bon Samaritain a montré que « notre existence à tous est profondément liée à celle des autres : la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre ». Cette parabole, ajoute François, est une icône éclairante, qui nous montre par quelles initiatives nous pouvons reconstruire ce monde qui fait mal et bâtir une communauté inclusive grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres.
Ce récit n’est ni enseignement sur des idéaux abstraits, ni une leçon de morale éthico-sociale, avertit François. Il doit toutefois nous convaincre que vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible.
« Sur la route, nous rencontrons inévitablement l’homme blessé. Aujourd’hui, et de plus en plus, il y a des blessés. L’inclusion ou l’exclusion de la personne en détresse au bord de la route définit tous les projets économiques, politiques, sociaux et religieux » explique encore le pape.
Ce texte du bon Samaritain nous touche inévitablement car « nous avons tous quelque chose d’un homme blessé, quelque chose d’un brigand, quelque chose de ceux qui passent outre et quelque chose du bon Samaritain ».
Avec ce récit, « nos multiples masques, nos étiquettes et nos accoutrements tombent ». C’est l’heure de vérité, où nous découvrons qu’il y a simplement deux types de personnes : celles qui prennent en charge la douleur et celles qui passent outre.
Casser le cercle vicieux
« Il devient de plus en plus évident, poursuit François, que la paresse sociale et politique transforme de nombreuses parties de notre monde en un chemin désolé, où les conflits internes et internationaux ainsi que le pillage des ressources créent beaucoup de marginalisés abandonnés au bord de la route. »
François s’arrête également sur la qualité des personnes qui passent outre, ce sont des personnes religieuses, au service du culte de Dieu, un prêtre et un lévite. Loin d’être un détail, cette précision de statut sonne comme un avertissement fort : « c’est le signe que croire en Dieu et l’adorer ne garantit pas de vivre selon sa volonté ». Or, nous devons opter pour une manière de vivre la foi qui favorise l’ouverture du cœur aux frères. « Le paradoxe, ajoute François, c’est que parfois ceux qui affirment ne pas croire peuvent accomplir la volonté de Dieu mieux que les croyants. »
Cette parabole inspire également le pontife pour décrire la société actuelle, fonctionnant comme un « cercle fermé entre ceux qui utilisent et trompent la société pour la dépouiller et ceux qui croient rester purs dans leur fonction importante, mais en même temps vivent de ce système et de ses ressources ».
Il dénonce l’imposture du ‘‘tout va mal’’ auquel nous répondons par ‘‘personne ne peut y remédier’’, ‘‘que puis-je faire ?’’. « On alimente ainsi la désillusion et le désespoir, ce qui n’encourage pas un esprit de solidarité et de générosité » déplore-t-il.
Se faire le prochain
Pourtant, chaque jour, une nouvelle opportunité s’offre à nous. « Nous ne devons pas tout attendre de nos gouvernants ; ce serait puéril. Nous disposons d’un espace de coresponsabilité pour pouvoir commencer et générer de nouveaux processus et transformations ».
Travailler à l’inclusion, ne pas se laisser décourager et se mettre au service du bien, tels sont les conseils du pape. Une tâche à réaliser « en commençant par le bas et le niveau initial », le plus concret et le plus local, jusqu’à atteindre les confins du monde. « Les difficultés qui semblent énormes sont une opportunité pour grandir et non une excuse » écrit-il encore.
« Prenons soin de la fragilité de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, par cette attitude solidaire et attentive, l’attitude de proximité du bon Samaritain ».
Avec cette parabole, Jésus ne nous invite pas à nous demander qui est proche de nous, mais à nous faire proches, prochains de celui qui a besoin d’aide, sans se soucier de savoir s’il fait partie ou non du même cercle d’appartenance.
« Cette rencontre miséricordieuse entre un Samaritain et un Juif est une interpellation puissante qui s’oppose à toute manipulation idéologique »; notre capacité d’aimer doit atteindre une dimension universelle en surmontant « tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins ». François termine ce chapitre sur un ton très politique en condamnant les diverses formes de nationalismes, fondés sur le repli sur soi et violents, des attitudes xénophobes, le mépris, voire les mauvais traitements à l’égard de ceux qui sont différents. « La foi, de par l’humanisme qu’elle renferme, doit garder un vif sens critique face à ces tendances » et au besoin, nous porter à réagir rapidement « quand elles commencent à s’infiltrer ».
Lire l’encyclique « Fratelli Tutti »
S.D.
Illustrations : pexels – pixabay CCO
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