Jusqu'en 2016, trois membres de la communauté des carmes déchaux occupaient encore le site de Chèvremont. Aujourd'hui, enfin, un avenir semble se profiler pour cet édifice à l'histoire pluriséculaire. Une septantaine de logements devraient y être aménagés.
Trois propositions ont été mises à l'étude
L’a.s.b.l. « Couvent des Pères Carmes Déchaussés de Chèvremont », propriétaire du site, avait pour mission de veiller – en étroite concertation avec l’évêque de Liège et des responsables de l’ordre – à la réorientation de l’ensemble du site. L’a.s.b.l., par l'intermédiaire de son président, Patrick Bonte, a cherché une réorientation durable pour le couvent et la basilique de Chèvremont et en priorité une communauté religieuse désireuse de reprendre le site. Sans résultat hélas. Comme nous l'explique Monseigneur Delville, évêque de Liège, cette solution n'a pu aboutir en raison de la charge financière que représentait la restauration et l'entretien des lieux et la situation jugée soit trop excentrée soit pas assez isolée selon l'ordre religieux ou la communauté approchée. Une deuxième piste fut alors envisagée : l’achat du site par une association à caractère social dans le but de créer un lieu de vie pour des personnes handicapées. Pour des raisons financières, ce second projet fut également abandonné. Enfin, une troisième piste fut de faire appel à des promoteurs immobiliers. Une solution qui permet, selon Mgr Delville, de s'assurer d'un avenir stable et la garantie d'une occupation respectueuse de l'ancienne vocation du site. C'est donc cette troisième option qui l'a finalement emporté avec la signature de l’acte de vente, ce mercredi 28 octobre, à la société « Colline de Chèvremont ».
La vente permettra de soutenir les carmes au Congo et les œuvres de l'évêché
Monseigneur Delville se dit très heureux de l'aboutissement de ce dossier qui a connu de longs développements. Il était important que le site continue de vivre, et sa réhabilitation en logements apportera de l'animation sur la colline qui abrite encore deux lieux de culte importants que sont la chapelle de Notre Dame des Anglais et la Maison des Petites Ames. Même s'ils ne sont pas intégrés dans le projet, les promoteurs en tiendront compte dans leur projet, nous assure l'évêque liégeois.
Concernant le produit de la vente - environ un million d’euro - 50 % seront versés à l'ordre des carmes déchaussés au Congo et 50 % reviendront à l’évêché. Notamment pour soutenir le projet du Sanctuaire de Cornillon, la Fondation Saint-Lambert ainsi que les projets pastoraux de l’asbl de l’évêché.
Les promoteurs veulent préserver l'histoire des lieux en développant des logements et le vivre-ensemble
Pour Carlos de Meester, l'un des promoteurs acquéreurs, qui n'en est pas à son coup d'essai - il a déjà travaillé à la réhabilitation d'édifices religieux comme l'église Saint Hubert à Boitsfort - "ces lieux me tiennent à cœur. Ils représentent des phares dans les communes où ils sont. Il faut les maintenir pour leur témoignage, leur image et dans un souci écologique." En effet, contrairement aux idées reçues, il est bien plus intéressant de réhabiliter ces édifices, car leur destruction représente une empreinte carbone irrattrapable. "Les églises ont en générale une bonne inertie, la température y est constante toute l'année et l'ouvrage est solide, l'épaisseur des murs est un véritable atout." L'entrepreneur compte bien également préserver les éléments architecturaux internes comme les chapiteaux des colonnes qui s'intégreront dans les futurs appartements. Une septantaine de logements - et des espaces partagés comme une salle de sport ou des fêtes - viendront donc combler l'espace, avec de très beaux volumes baignés de lumière et une vue fantastique sur la vallée, nous détaille un Carlos de Meester visiblement très enthousiaste face au défi que représente ce chantier. L'avant-projet et le programme feront toutefois l'objet d'adaptations dans les semaines à venir en vue d'une introduction d'une demande de permis dans le courant de l'année 2021.
Pour la commune de Chaudfontaine, une nouvelle page de l'histoire du site remarquable de Chèvremont s'ouvre
"La Commune de Chaudfontaine se réjouit de l’acquisition de la basilique de Chèvremont par un investisseur privé et de la préservation du site", déclare Daniel Bacquelaine. Un projet ambitieux, souligne encore le bourgmestre, qui vise la construction de plusieurs dizaines de logements tout en préservant intégralement la structure existante des bâtiments, tant au niveau de la basilique que du couvent. "Une nouvelle page de l’histoire du site remarquable de Chèvremont s’ouvre. La Commune de Chaudfontaine s’en félicite. Elle accompagnera pas à pas ce projet avec toute l’attention qu’il mérite, notamment sur le plan de l’urbanisme et de la mobilité", conclut le Bourgmestre.
Sophie DELHALLE
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Brève histoire d'un site multiséculaire
La colline de Chèvremont forme un promontoire qui surplombe la vallée de la Vesdre, à dix kilomètres au sud de Liège, et qui n’est accessible que par l’Est. Ce site stratégique était déjà utilisé à l’époque néolithique. Propriété des carolingiens, le château qui y fut construit était un lieu de protection contre les envahisseurs normands et contrôlait la route de Liège à Aix-la-Chapelle. Mais l'édifice de Chèvremont menaçait la nouvelle dynastie germanique des Ottons : le château sera donc détruit et les ruines resteront abandonnées pendant des siècles.
Les jésuites suscitent un pèlerinage à la Vierge sur la colline de Chèvremont
Qui connait encore l'histoire de ce pèlerinage marial de Chèvremont ? Peu de monde, même les locaux méconnaissent l’histoire pluriséculaire du lieu. Pourtant, ils sont des milliers à avoir foulé le sentier qui gravit la colline jusqu’à la chapelle pour y rendre hommage à Marie. L’existence du calvaire est déjà mentionnée au 18e siècle mais attestée en 1801. On suppose que ce sont les Jésuites anglais, installés à Chèvremont, qui ont suscité ce pèlerinage. L’histoire raconte qu’ils auraient installé une Vierge sur un monticule de pierres, sorte d’oratoire, dans leur jardin. Les fidèles ont alors commencé à venir se recueillir et, en 1688, les religieux décident de construire une chapelle. Le Père Eugène, carme ayant vécu à Chèvremont, écrit que la Vierge était honorée bien avant cela sous le vocable de Notre Dame du Château-Neuf, dont le culte aurait ainsi été ressuscité par les Jésuites. L’afflux de pèlerins oblige, quelques années seulement après l’érection de la chapelle, à agrandir la bâtisse.
Le site de Chèvremont associe le Christ, la Vierge et sainte Begge
C'est en 1877 que Théodore de Montpellier, évêque de Liège, cède le terrain aux pères carmes déchaussés qui y construisirent leur couvent. L’église fut achevée en 1899. La basilique était très grande car elle était le lieu principal des pèlerinages à Marie dans le diocèse de Liège jusqu’aux apparitions à Banneux.
Le sanctuaire fut aussi attaché à la corporation des cloutiers, qui y célébraient trois messes par an en l’honneur de leurs saints patrons Eloi, Roch et Hubert. La construction d’un pont et l’arrivée du chemin de fer dans les années 1840 ont augmenté l’attrait pour le calvaire qui mène les fidèles jusqu’à la chapelle.
Jusqu’en 1942, date de son emmurement pour des raisons de salubrité, les pèlerins trouvaient également sur leur chemin une fontaine dite de Sainte Odile où ils trempaient des linges ou remplissaient une petite bouteille. A l’origine, les sept stations du calvaire étaient dédiées aux mystères douloureux du Christ. Lors d’une restauration en 1878, elles sont consacrées aux sept douleurs de la Vierge. En 2006, des peintres amateurs locaux vont réinterpréter les stations … qui seront rapidement mises à l’abri à l’église de Vaux, suite à des actes de vandalisme. Une marche de soutien avait alors été organisée par la paroisse, qui a rassemblé à l’époque 250 personnes. Ce sont donc des copies de ces œuvres contemporaines que l’on peut admirer aujourd’hui dans les stations.
Dans les années 1950, le site s’est enrichi d’un oratoire dédié à Sainte Begge, la mère de Pépin de Herstal, chatelaine de Chèvremont. Les croyants l’invoquent contre les maladies d’enfants et les hernies. Aujourd’hui encore, des sucettes, tissus et autres reliquats sont déposés ou accrochés à la grille de l’oratoire.
Grâce aux "Amis de Chèvremont", la dévotion populaire continue d'exister à la chapelle
La chapelle des jésuites, propriété de la Fabrique d'église, ne fait donc pas partie du projet de réhabilitation mais elle est entretenue et régulièrement restaurée par la commune de Chèvremont. "Les Amis de Chèvremont" veille, pour leur part, à préserver et faire connaitre la chapelle en maintenant une activité religieuse, historico-culturelle et touristique sur le site. Claudine, bibliothècaire-documentaliste à la retraite, est la présidente de l'asbl. « Je suis devenue membre des Amis de Chèvremont parce que c’est un lieu où j’ai vécu toute ma jeunesse et mon mari aussi. » Cette association a été fondée en 1953 par un journaliste sportif du cru, souhaitant garder vivant le site de Chèvremont. « Je suis toujours frappée, raconte Claudine, par la simplicité des gens qui viennent à la chapelle et aussi par leur désarroi. Ce lieu est nécessaire car il accueille des gens déboussolés qui ont besoin d’un endroit pour se décharger, s’épancher et espérer. » Beaucoup de personnes laissent des mots d’espoir, comme en témoignent les ex-votos.
S.D.