Plusieurs voix s’élèvent pour que le budget éducation ne soit pas réduit, malgré les difficultés économiques des pays en période de confinement sanitaire. Les élèves comptent parmi les premières victimes.
Parmi tous les domaines qui doivent être relancés après la période de confinement, « le secteur de l’éducation ne doit pas être oublié ! » C’est le cri d’alerte lancé par Plan international qui vient retentir au cœur de l’été. L’ONG n’est pas seule à s’inquiéter de ces centaines de millions d’enfants qui sont privés de cours et d’accès à l’école à travers le monde. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, parle d’une « catastrophe générationnelle qui pourrait gaspiller un potentiel humain incalculable, saper des décennies de progrès et exacerber des inégalités bien ancrées. » (Déclaration du 6 août dernier).
Les chiffres communiqués par l’Unesco, l’agence des Nations Unies spécialisée dans les questions éducatives, sont glaçants: au plus fort de la crise, près de 1,6 milliard d’apprenants dans plus de 190 pays, soit 94% de la population concernée, ont été touchés par la fermeture d’établissements d’enseignement. En ce mois d’août, il reste de trop nombreux enfants sans écoles (un milliard officiellement, ce qui inclut les pays d’Europe occidentale où ont lieu les vacances scolaires). Une centaine de pays au moins n’ont encore annoncé de date de réouverture des établissements. Certains ont déjà postposé la reprise de la vie scolaire au début 2021, en espérant que les conditions sanitaires soient alors rétablies à un niveau acceptable.
Une première mondiale
Ce n’est certes pas la première fois que des écoles sont fermées pour des causes sanitaires (pensons à l’épidémie Ebola) ou suite à une catastrophe naturelle (comme un tremblement de terre). Ainsi, un professeur de philosophie à Conakry (Guinée) explique que quand les écoles ont pu rouvrir en janvier 2015 après l’épidémie d’Ebola: « les élèves sont restés à la maison si longtemps qu’ils ont oublié ce qu’ils avaient appris. » Pour ces millions d’enfants, les impacts se feront sentir pendant des années, même lorsque les écoles rouvriront. Il n’y a qu’à penser aux difficultés de certains enfants à retrouver l’ensemble des connaissances précédemment acquises après les deux mois habituels de congés d’été. La particularité de cette crise tient à l’ampleur du phénomène. C’est la première fois que l’ensemble de la planète a ralenti, voire stoppé certains pans de l’activité humaine, à commencer par l’école, pour des raisons sanitaires.
Quand on pense au confinement, certains s’inquiètent de la manière dont les enfants ont pu maintenir une certaine forme d’acquisition de nouvelles connaissances scolaires. Comme on l’a vu en Belgique, la transmission des matières éducatives à distance ne se déroule pas toujours simplement. Dans les pays moins bien équipés, où chaque famille ne dispose pas forcément d’ordinateurs ni même d’électricité toute la journée, la pédagogie a dû se réinventer. Le responsable plaidoyer à Plan international, Roméo Matsas raconte: « certains pays ont développé des stratégies éducatives en utilisant la radio ou la télévision pour garder le contact avec les élèves. »
Les effets secondaires du confinement
La période de confinement qui a été mise en place selon des modalités diverses pour lutter contre la propagation du Covid-19 a aussi un impact négatif sur la situation économique des familles. De nombreux parents se sont retrouvés sans ressources pendant des semaines voire quelques mois. En mai dernier, la Banque mondiale publiait un rappel des différents effets des crises économiques sur le taux de scolarisation, en prenant des épisodes récents au Brésil, au Venezuela, etc. Une proportion d’au moins 10% des enfants quitte sa scolarité pour se mettre au travail et contribuer aux revenus financiers de la famille. Le risque est encore plus grand pour les filles qui peuvent être mariées pendant cette période de désocialisation scolaire. Le résumé de la Banque mondiale rappelle aussi: « Même pour les élèves qui n’abandonnent pas l’école, les ménages seront moins en mesure de payer les moyens éducatifs jusqu’à ce que l’économie se rétablisse. »
Tous les interlocuteurs qui s’alarment sur cette pénurie éducative parlent des « effets secondaires » de la fermeture des écoles. Le secrétaire général de l’ONU cite notamment « la fourniture de services essentiels aux enfants et aux communautés, notamment l’accès à une alimentation équilibrée« . Le responsable plaidoyer de Plan international confirme: « Plus de 300 millions d’enfants prennent habituellement leur repas le plus nutritif à l’école. » Des situations de malnutrition et de croissance fragilisée des enfants pourraient découler de la pénurie scolaire due au coronavirus. De manière plus inquiétante, le cadre éducatif représente en temps ordinaire un socle de socialisation et de vigilance pour éviter certains risques familiaux. Roméo Matsas cite par exemple le cas d’une fille qui s’absenterait sans raison. « Avant le Covid, des amies de l’école s’en seraient inquiété, et auraient alerté l’enseignant. Cela peut permettre d’empêcher un mariage forcé ou des mutilations génitales. Malheureusement, pendant la période de confinement, ces différentes statistiques ont augmenté. » La fondation Malala, nommée d’après la célèbre défenseure du droit à l’éducation, estime que dix millions de filles pourraient ne pas reprendre le chemin de l’école quand les établissements rouvriront. Et pourtant, l’éducation des élèves du sexe faible donne un impact significatif sur le sort de toute une famille: la fille qui peut aller à l’école se porte mieux, elle pourra faire des études et trouver un travail mieux rémunéré et elle sera outillée pour transmettre son savoir aux futures générations qu’elle mettra au monde. Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, tire effectivement la conclusion sur « l’urgence d’assurer la continuité de l’apprentissage en particulier pour les plus vulnérables« .
Anne-Françoise de BEAUDRAP
Moins de dix ans pour atteindre l’objectif
Cette crise sanitaire, qui porte ses effets notamment sur le monde éducatif, se déroule alors même que plusieurs institutions internationales s’interrogeaient en début d’année sur la possibilité d’atteindre l’objectif Education parmi les Objectifs de Développement Durable. Frappé du numéro quatre, cet objectif exprime le souhait qu’en 2030, le monde puisse « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie« . Dans son analyse formulée par Roméo Matsas, Plan international reconnaît qu' »il reste à peine dix ans! » De son côté, l’ONU constate que les pays à faibles revenus et à revenus intermédiaires inférieurs souffraient déjà d’un déficit « stupéfiant » de 148 milliards de dollars pour atteindre cet objectif 4 des ODD d’ici 2030.
L’enjeu est de taille: Déjà avant la crise liée au Covid, plus de 250 millions d’enfants ne vont pas à l’école, essentiellement en Asie du Sud et de l’Ouest ainsi qu’en Afrique subsaharienne. Même ceux qui suivent les cours primaires n’ont pas forcément le niveau requis, en matière de lecture ou de calcul. La question se pose plus cruellement encore pour les filles qui sont parfois déscolarisées entre les niveaux primaires et secondaires, en particulier si les établissements où elles doivent se rendre se situent trop loin du domicile familial. Dans certaines cultures, par simple manque de toilettes séparées, les filles ne peuvent pas suivre les cours pendant les périodes menstruelles. Une lacune de plus dans leur éducation. Notons également que ces statistiques correspondent aux nombres d’enfants qui existent administrativement. Or, certains garçons et filles n’existent pas légalement, soit parce que leurs naissances n’ont pas été déclarées, soit que les documents légaux ont été détruits.