Le sujet de l'euthanasie pour cause de "fatigue de vivre" est délicat. A partir de quel moment risque-t-on d'être lassé de la vie ou usé pour la vie? Aux Pays-Bas, le Parlement se penchera prochainement sur une proposition de loi visant à autoriser l'aide au suicide pour 'vie accomplie' à partir de 75 ans, en dehors de toute condition médicale.
Assurant une veille sur les enjeux sociétaux liés à des questions de bioéthique, l'Institut Européen de Bioéthique (IEB) s'efforce de procurer une information complète et de susciter une réflexion approfondie. Aussi s'inquiète-t-il de la volonté des parlementaires Néerlandais de "consacrer un 'droit à mourir', dans un pays où - relève-t-il, déjà 4,2 % (en 2019) de la population meurt par euthanasie".
Dans un article consacré à ce débat en cours aux Pays-Bas sur la fin de vie et l'euthanasie, Constance du Bus - de l'IEB - relève que "l'exposé des motifs de la proposition pose comme principe de départ que la décision du suicide est strictement personnelle et que “personne ne pourra jamais dire d'un autre que sa vie est accomplie”. Pourtant, le texte légal prévoit qu'un 'accompagnateur de fin de vie' devra vérifier le respect de plusieurs conditions, de forme mais aussi de fond: il devra discuter avec la personne âgée de l'opportunité d'impliquer ses proches dans la discussion, avoir la conviction que la demande de mourir est “libre, réfléchie et persistante”, s'entretenir avec la personne au moins deux fois sur une période de minimum deux mois, et surtout, avoir la conviction qu'il n'existe pas d'autre aide souhaitable pour cette personne, pour lui redonner goût à la vie. Il doit enfin s'assurer que la personne est capable d'un discernement raisonnable sur ses intérêts en jeu. Ajoutons que pour obtenir l'aide au suicide, il faut avoir la nationalité néerlandaise ou résider aux Pays-Bas depuis au moins deux ans."
L'accompagnateur: un rôle prépondérant
"L'accompagnateur de fin de vie aura suivi une formation spécifique pour l'aide au suicide, et devra en plus détenir un diplôme d'infirmier, de médecin, de psychologue de la santé ou de psychothérapeute. Il devra aussi demander l'avis (non contraignant) d'un second accompagnateur de fin de vie sur chaque cas. C'est donc à lui que reviendrait in fine la décision d'autoriser ou non le suicide de la personne âgée. S'il ne respecte pas les conditions précitées, il sera passible de sanctions disciplinaires et/ou pénales. Chaque cas fera l'objet d'un contrôle a posteriori par une commission régionale, créée à l'image des commissions régionales chargées de contrôler les euthanasies.
Il convient de souligner deux aspects de cette proposition de loi. Premièrement, on ne peut que constater le paradoxe entre la volonté de l'auteur de libéraliser totalement le suicide des personnes âgées, et le rôle prépondérant de l'accompagnateur de fin de vie, de qui dépend finalement l'autorisation du suicide. A cet égard, la proposition de loi se calque sur le cadre légal en matière d'euthanasie (rôle prépondérant du médecin), avec la particularité que la souffrance en question est d'ordre psychologique et non somatique. Deuxièmement, cette proposition de loi pose la question de la place des personnes âgées dans nos sociétés, et plus particulièrement dans une société occidentale aisée où le PIB par habitant est parmi les plus élevés du monde (15ème place pour les Pays-Bas). Quel signal donne-t-elle aux personnes âgées ? Et pourquoi le suicide deviendrait-il justifié à partir de 75 ans d'âge ? “Nous avons choisi cette limite d'âge parce que les personnes qui l'ont atteinte ont déjà une vie relativement longue derrière eux”, explique Pia Dijkstra, auteur de la proposition de loi...
Rappelons qu'une étude a récemment été menée par des chercheurs néerlandais, centrée spécifiquement le groupe de personnes de plus de 55 ans et désirant mourir, sans qu'elles ne souffrent de maladie grave. Les chercheurs ont noté que le désir de mort n'était pas lié à l'âge avancé, mais surtout, qu'il était souvent complexe et changeant : il ne se développe pas de façon linéaire, n'est pas irréversible et est renforcé par des facteurs tels que l'inquiétude (de scénarios futures ou hypothétiques), les problèmes financiers, les soucis de santé, la solitude, la dépendance et le sentiment d'être une charge pour les autres. Ce qui mène les chercheurs à conclure que le terme de « vie accomplie » ne se prête pas à ces situations, qui connaissent leur lot de souffrances et quelque part, d'insuffisance.
Il revient désormais au Conseil d'Etat de se prononcer sur la proposition de loi endéans les 3 mois. Les prochaines élections aux Pays-Bas étant prévues pour mars 2021, il est peu probable que le texte soit voté d'ici la fin de cette législature."
Dans un autre dossier publié en 2018, l'IEB se demandait déjà si "la 'fatigue de vivre' peut constituer à elle seule une affection médicale inapaisable qui, causant une souffrance insupportable, justifie l'euthanasie de la personne?"
Le droit de vivre!
La vieillesse ralentit certes notre rythme de vie, mais elle n'empêche personne d'avoir des projets. Petits ou grands, ceux-ci donnent envie de vivre! Mais quel regard portons-nous sur les seniors et sur notre acceptation - ou non - de leur présence et de leur rôle à jouer dans notre société? Cette question est encore plus mise en exergue par la crise du coronavirus qui les éloigne et les isole particulièrement.
D'autre part, quel que soit l'âge, ce sont la solitude et le manque de relations qui posent problème et donnent des idées morbides aux gens. En vieillissant les contacts s'amenuisent, parfois considérablement. Le Comité Consultatif de Bioéthique relevait ainsi: "Il est possible que même dans l’environnement le plus compréhensif, apaisant et soutenant, des personnes persistent dans leur souhait d’euthanasie. Néanmoins, n’est-il pas de la responsabilité de la collectivité de garantir avoir tout fait pour éviter qu’un patient n’en vienne, de par son isolement, à considérer sa mort accélérée comme l’unique voie possible?"
Peut-être qu'en posant la question autrement, les réponses seraient différentes et foncièrement humaines. Et si on donnait aux personnes dites âgées le droit et la possibilité de vivre pleinement?
NG d'après dossiers IEB