Une réalité qui ne peut qu’advenir - Une opinion de Catherine Jongen, responsable Church4you*
Mais d’où m’est donc venue cette joie à la lecture du titre: "Anne Soupa candidate à l'archevêché de Lyon"?
J’aime profondément l’Eglise. Depuis près de trente ans la mission d’annoncer, de célébrer, d’agir au service principalement des jeunes me tient aux tripes… souvent je me demande d’où me vient ce désir tant il est présent. Je me laisse faire. Ce désir me vient sans doute d’ailleurs, évidemment.
Je n’ai jamais perçu en moi l’appel à être prêtre… De toute manière, cela fait des années que j’ai compris dans tout mon être que je suis "prêtre", "prophète" et "roi". Ce que nous sommes tous par la grâce de notre baptême. Dans mon imaginaire, le 'prêtre' célèbre le quotidien. Le 'prophète' annonce et enseigne. Le 'roi' agit. J’ai lu "Célébration du quotidien" de Colette Nys-Mazure dans ma jeunesse. Chaque matin, je sens que célébrer est urgent. Contempler ce que je vois, ce que j’entends, ce que je lis. Etre troublée par un regard, un baiser, une feuille, un brin d’herbe… se laisser troubler, y voir Ce quelque chose qui nous dépasse toujours, sans cesse, parfois de façon obsédante… Pour avancer comme un 'roi', pour pouvoir agir, créer des ponts, encourager, j’ai réellement besoin de rendre grâce, de faire eucharistie, de rassembler tant d’émerveillements et de dire simplement merci à plus grand que moi, au Seigneur, à Dieu, au Christ, à l’Esprit. Tant de mots trop petits, si étroits qu’ils ne disent jamais totalement la réalité si insondable que pourtant l’homme ne cesse de sonder depuis qu’il est homme. 'Prophète', je le suis quand j’enseigne, quand je m’énerve, quand je bouscule… 'Roi', je le suis quand j’agis, je prends soin de, je soigne, je rassemble, je tombe... et qu’un frère, une sœur me relève.
Je n’ai donc jamais perçu en moi le désir d’être ordonnée prêtre… Par contre, j’ai rencontré plusieurs femmes, devenue l’une moniale, l’autre religieuse, la troisième ayant eu un autre appel particulier. Ces trois femmes, dans le secret du cœur, m’ont raconté, chacune, leur chemin difficile d’être appelée, au creux de leur âme, au presbytérat sacerdotal et de ne pas avoir été entendues. Toutes les trois, je le crois, auraient pu devenir des prêtres rayonnants.
Depuis que j’ai étudié la règle de saint Benoît à l’école des bénédictines, je me méfie des polémiques stériles. Ici, il me semble qu’il ne s’agit pas de polémique mais bien d’un enfantement difficile mais beau et bon. Une reconnaissance pour l’affection toute particulière dont Jésus témoigne aux femmes et aux hommes, depuis toujours.
Anne Soupa me fait penser à l’Antigone de Sophocle. Elle aime écouter les lois d’en haut plutôt que certains interdits d’en bas. Par son geste fou, elle ébranle l’inconscient collectif, elle fait la nique à la perversion d’un certain cléricalisme dont plus personne ne veut vraiment sauf ceux à qui profite ce crime. Ce cléricalisme, c’est l’affaire de tous, sûrement pas seulement de certains clercs… Nous, les baptisés, hommes et femmes, nous sommes coupables par nos courbettes, nos "Monsieur le curé a dit", "le Père a demandé que" "ça, on peut, ça on ne peut pas"[1]; coupable de croire qu’un prêtre est ontologiquement supérieur.
Joie, car l’audace de cette femme continue d’ouvrir le débat et que le débat enrichit, laisse libre, met en lien. La parole nous aide à devenir chacun des chrétiens responsables. Joie car "ce geste fou, (…) ne l’est pas"[2]. Le Christ est venu pour nous extirper de l’étouffement des lourdes réglementations de l’ancienne loi. N’est-il pas temps, ensemble, de continuer le travail de Titans que François essaye de faire depuis le début de son pontificat tout en ne cessant d’être attentif à la diversité dans l’unité?
Joie de découvrir le lancement de cette campagne de soutien à la démarche d'Anne Soupa[3] qui en moins de trois jours a déjà plus de 4.000 signataires, hommes et femmes. L’ensemble des signatures sera transmis au pape François pour faire peser la candidature "légitime" de cette femme qui agit pour son Eglise depuis plus de 35 ans, sur le terrain, comme bibliste, théologienne, journaliste, écrivaine, présidente pendant huit ans de la Conférence des baptisé-es[4], et présidente actuelle du Comité de la jupe[5].
Joie d’entendre qu’en Belgique un évêque vient de nommer "doyen[6]" une femme!
Joie d’entendre que de plus en plus d’évêques avancent en harmonie avec des hommes et des femmes!
Comme il est bon de se réjouir de tous ces grands pas.
Mais d’où m’est donc venue cette joie à la lecture du titre: "Anne Soupa candidate à l'archevêché de Lyon": d’un vent de fraîcheur et de liberté voire d’une sainte colère. Mon cœur se réjouit, comme par anticipation, d’une réalité qui ne peut qu’advenir: hommes et femmes nous sommes appelés à apprendre à conduire cette merveilleuse arche qu’est l’Eglise, ensemble!
Catherine JONGEN
*Cette opinion est strictement personnelle et n'engage que l'auteure, sa fonction est indiquée à titre purement informatif
Notes
[1] Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton p. 139
[2] Anne Soupa, communiqué de presse 24 mai 2020
[3] https://www.pourannesoupa.fr/
[4] https://baptises.fr/
[5] https://www.comitedelajupe.fr/?q=content/pourquoi-je-suis-candidate-%C3%A0-%C3%AAtre-archev%C3%AAque-de-lyon
[6] Les guillemets sont requis puisque le titre est en droit canonique réservé à un prêtre. La nomination sera donc "responsable décanale". Dans les faits, la responsabilité sera celle d’un doyen, sauf pour ce qui relève du sacrement de l’ordre.