OPINION – “Si l’espérance t’a fait marcher plus loin que ta peur…”


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OPINION – “Si l’espérance t’a fait marcher plus loin que ta peur…”
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
4 min

La question qu’on entend le plus souvent aujourd’hui est celle-ci: De quoi demain sera fait? Nous sommes à la fois rongés par la peur autant que nous sommes habités d’espérance. Cette ambivalence de peur et d’espérance, de critique et d’admiration envers sa génération ne date pas d’aujourd’hui.

Dans Les travaux et les jours, VIIIe siècle avant notre ère, Hésiode se plaint de ce que ses contemporains appartiennent à une "race de fer" et dit: "Il n’est pas de nuit où cesseront de les ronger les plus dures inquiétudes que leur enverront les dieux." Si tant est que le malheur s’impose du haut et de l’extérieur. Plus ou moins dix siècles plus tard, le poète satirique romain Juvénal, renchérit en ces termes: "Pire que l’âge de fer est le temps où nous vivons aujourd’hui, à ce point criminel que la nature elle-même n’a pas pu trouver de nom ni de métal pour le désigner." Ces mots semblent venir tout droit de l’expérience vécue par ces deux hommes, donc difficile de les contredire. Ils semblent avoir roulé leur bosse dans la réalité de leur temps afin d’en dénoncer l’obscurité. Par contre, pour dénoncer l’obscurité, encore faut-il appartenir à la lumière.

L’un et l’autre, Hésiode et Juvénal, s’accordent à reconnaître la difficulté liée à leurs époques et l’hébétude de leurs contemporains sans cesse en quête d’un mieux. C’est justement cette "quête de mieux" qui ouvre une brèche dans les nuages gris du temps pour offrir au guetteur d’aurore la possibilité d’entrevoir un nouvel horizon. Cette quête s’appelle l’espérance, la petite espérance, disait Charles Péguy. Elle va au-devant de tout, surpasse la peur paralysante et se fraie un chemin de lumière (via lucis) à travers les ténèbres.

Il y a toujours autant d’Hésiode que de Juvénal qui versent des larmes sur leurs contemporains. Ils sont aussi des rêveurs perchés qui nous conduisent au-delà de la peur, vers l’espérance. Ils sont des stylets qui tranchent l’obscurité pour faire jaillir la lumière. Fût-elle une flamme tremblotante, vacillante, anxieuse, elle doit traverser l’épaisseur du temps et de la nuit; flamme inextinguible. Au-delà de la peur, l’espérance! L’espérance est celle qui se tient debout sur le chemin raboteux de la vie; de toutes les vertus, elle est la plus petite nous dit Péguy; et elle ne va pas de soi. Quand souffle le vent de la fatalité, quand tout semble être en voie de disparition, quand les repères sont chamboulés, quand l’humain tremble de peur et fait face à sa finitude, le désarroi et la peur supplantent l’espérance. Les promesses idéologiques des lendemains qui chantent, surgissent de partout. Cependant, face à la peur, l’utopie politique, écologique, esthétique et technicienne ne suffit pas. La biogénétique avec sa promesse d’un homme augmenté, un cyborg (organisme cybernétique sans limite), prouesse du paradise-engeneering ne tient pas. La peur requiert l’irruption de l’intemporel dans le temps, c’est-à-dire la force folle d’espérer contre toute espérance. Dans des moments de tourment et d’égarement, l’espérance est cette vertu surnaturelle, intemporelle et transcendantale qui nous permet de tenir et d’affronter la peur. Mais l’espérance doit-être réaliste, accompagnée de résolutions concrètes et réalisables. L’espérance est toujours, sinon plus grande, du moins à la hauteur de la catastrophe.

L’espérance, c’est cette capacité d’entrevoir dans les ruines ou dans la poussière qui sort des décombres, de nouvelles possibilités d’une reconstruction, sans naïveté. C’est se permettre de voir dans les flammes qui consument une civilisation la lumière et la chaleur qui éclairera et réchauffera le futur. C’est un brin de folie dans le raisonnement, souvent trop logique et trop bien construit pour être réel. L’espérance défie la raison car elle la transcende. "L’espérance est naissance perpétuelle, elle est force, nouveauté, une fraîcheur d’aube, une jeunesse, une ardeur, un élan" [1]. C’est voir dans la semence une promesse de pousse, de bourgeon, de fleur et de fruit. C’est agir aujourd’hui pour le transformer, c’est agir maintenant pour que demain soit meilleur. L’espérance est "action", elle n’est ni promesse creuse ni idéologie.

Si l'espérance t'a fait marcher
Plus loin que ta peur
Tu auras les yeux levés
Alors tu pourras tenir…

Si l’espérance te donne la force de marcher plus loin que tes peurs… plus loin que tes angoisses, tu pourras alors lever les yeux au-dessus de toute destruction, prendre de la hauteur et commencer à vivre vraiment. Tu pourras cesser de te momifier et commencer à libérer toutes tes potentialités, en les engageant aujourd’hui, ici et maintenant. Tu pourras tenir - comme c’est le cas de tant d’êtres humains - debout au milieu des villes dévastées, désertes et réduites en un amas de cendres, larmes aux yeux, mais l’espérance chevillée au corps.

Tenir jusqu’au soleil de Dieu, envers et contre tout!

Rodney Barlathier, sdb
Prêtre salésien

 

 

[1] Charles Péguy, Porche du mystère de la deuxième vertu in Œuvres poétiques et dramatiques, Gallimard, Paris 2014, p. 649.

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