De la Chine au Moyen-Orient, en passant par la Hongrie, la contestation de la gestion de la pandémie est réprimée. Elle est aussi l’occasion de restreindre toute liberté d’expression.
Ceux qui ont regardé les reportages en provenance de Chine au début du mois de février, auront certainement gardé en mémoire, le visage d’un homme. Un homme dont le désespoir était si total qu’il préférait en perdre la vie: se filmant lui même, l’avocat Chen Qiushi déclarait ne plus supporter les mensonges des autorités chinoises sur la réalité de la pandémie et préférer prendre le risque de les dénoncer plutôt que de se taire. Après cette dernière vidéo qui a circulé sur le Net, plus personne n’a entendu parler de cet individu. Est-il quelque part dans un camp de rééducation? En prison? Ou décédé?
Ce témoignage bouleversant rejoint le nombre croissant de journalistes, de médecins ou de lanceurs d’alerte qui ont voulu révéler des vérités qui fâchent sur l’état de la pandémie dans leur pays. L’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters Sans Frontières (RSF) révèle que la pandémie a accentué la répression qui pèse sur la liberté d’expression dans nombre de pays. Personne ne s’étonnera que la Corée du Nord n’affiche aucun cas de contagion, alors même que les autorités font appel à la communauté internationale pour combattre la pandémie. Le silence y est absolu, car la simple consultation d’un site d’information venant de l’étranger en Corée du Nord est passible de peines graves qui peuvent aller jusqu’à l’internement en camp de concentration. Mais c’est dans la Chine de Xi Jinping, classé au 177e rang sur 180 que la répression a été la plus implacable: de nombreux journalistes, médecins ou blogueurs ont fait l’objet d’arrestations en raison des informations qu’ils avaient divulguées sur la pandémie. Le Dr Li Wenliang a été arrêté dès janvier, après avoir partagé le rapport du Dr Ai Fin qui mettait en garde contre la gravité de l’épidémie. Testé positif au coronavirus, il est décédé quelques jours plus tard, devenant un héros sacrifié aux yeux de nombreux Chinois. En cette période particulièrement critique où la version officielle de la gestion de la pandémie en Chine est remise en question par le monde entier, d’autres médecins ou blogueurs croupissent toujours dans des centres fermés.
Au Moyen-Orient: une occasion pour mettre fin aux soulèvements
Autre pays sous le feu des restrictions en matière de liberté d’expression: l’Iran. La dissimulation d’informations et la désinformation n’ont cessé d’accompagner la gestion de la pandémie qui avait son origine dans la ville sainte de Qom où de nombreux étudiants chinois viennent étudier le Coran. Comme à son habitude, l’Iran a accusé la politique américaine d’aggraver la situation sanitaire, peinant à reconnaître ses responsabilités. De son côté, l’Egypte n’a pas hésité à profiter de la pandémie pour fermer de nouveaux sites d’information indépendants et expulser les « indésirables », dont la correspondante du Guardian, Ruth Michaelson. D’autres pays du Moyen Orient, comme l’Irak, le Liban ou l’Algérie ont adopté la même attitude « opportuniste »: le coronavirus a été l’occasion idéale pour mettre un terme aux soulèvements qui étaient en cours dans ces trois pays, réclamant l’instauration d’un Etat de droit.
Mais il n’y a pas que dans les pays émergents ou instables que la pandémie a été l’occasion de restrictions contre la liberté d’expression. En Hongrie, la pandémie a permis de promulguer une loi d’urgence dite « coronavirus » permettant à cet Etat membre de l’Union européenne de punir de cinq ans d’emprisonnement la diffusion de fausses informations. Aux Etats-Unis, le commandant du porte-avion nucléaire Theodore Roosevelt, Brett Crozier a été démis de ses fonctions après avoir transmis une lettre d’alarme à l’US Navy qui est sortie dans la presse. Il a été accusé par le secrétaire à l’US Navy d’avoir « fait preuve d’un très mauvais jugement en période de crise ».
Pour Christophe Deloire, directeur général de RSF, « la crise sanitaire est l’occasion pour des gouvernements autoritaires de mettre en œuvre la fameuse ‘doctrine du choc’: profiter de la neutralisation de la vie politique, de la sidération du public et de l’affaiblissement de la mobilisation pour imposer des mesures impossibles à adopter en temps normal ».
Laurence D’HONDT
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