
(c) Asbl Agora
Henri Kichka, rescapé des camps de la mort, nous a quittés, neuf jours après avoir fêté ses 94 ans. Il témoignait régulièrement lors de voyages à Auschwitz, organisé par l’asbl Agora, où il partageait son histoire, qui est aussi celle de millions de Juifs, qui n’ont pas eu la chance, comme lui, de survivre à l’abomination nazie.
« Henri nous a accompagnés à Auschwitz à de nombreuses reprises« , raconte Patrick Willems, fondateur et président de l’asbl Agora, dans la province de Liège. Un homme à la personnalité forte, attachante et atypique, ajoute-t-il. « Même s’il ne nous accompagnait plus, pour raison de santé, nous avions gardé contact avec lui et mon ami Nicolas Labiouse l’avait eu au téléphone le jour de son anniversaire, il y a quelques jours donc. » Dans cette conversation, Henri Kichka « rouspétait » sur ces conditions de confinement dans sa chambre de maison de repos. « C’est horrible, … horrible ; je ne peux pas passer le pas de ma porte », disait-il. Lui qui avait connu bien pire, pense alors Nicolas. « Mais ça va aller », avait-t-il ajouté.
Les membres de l’asbl Agora resteront aussi marqués par cette espèce de théâtralité qui marquait le personnage. « Il en a fait verser des larmes tant son récit nous prenait aux tripes« , raconte Patrick. Mais il en a fait sourire aussi beaucoup avec son humour et ses jeux de mots. « Il passait sans cesse de l’un à l’autre. C’en était déconcertant« . L’an dernier, Henri Kichka avait encore reçu chez lui dans son salon des jeunes qui allaient participer à un voyage encadré par l’asbl. « Il aimait ce contact avec la jeunesse« .
Avec Jacques Rotenbach, son « complice », « il a été le premier témoin à nous accorder sa confiance et son soutien inconditionnel » se souvient Patrick Willems. « Quand on l’appelait pour lui demander de nous accompagner, c’était toujours oui. Sans jamais rien nous demander en échange. » Henri Kichka aura effectué sept voyages avec l’asbl Agora entre 2002 et 2015, et ce n’est que contraint et forcé par son état de santé fragile qu’il y renoncera.

(c) Asbl Agora
Dans la nuit des camps
Né à Bruxelles le 25 avril 1926, au sein d’une famille juive d’origine polonaise, Henri Kichka commence à témoigner dans les années 1980. Il parlait beaucoup de sa famille, dont il est d’ailleurs le seul rescapé. En 2005, il écrit son autobiographie Une adolescence perdue dans la nuit des camps. Son parcours est assez unique car il a survécu à plus de 30 mois de détention, ayant transité par plusieurs camps. Dans la nuit du 3 au En 1949, Henri épouse Lucia (décédée en 2001) avec qui il aura quatre enfants dont le caricaturiste Michel Kichka. En 1952, il obtient la nationalité belge.
« Faire la visite du camp d’Auschwitz avec Henri était toujours marquant« , reprend Patrick. « Le travail des guides sur place est exceptionnel, ils permettent de mieux comprendre l’histoire des camps, et notamment celle des camps de femmes qu’Henri n’a pas connu. Mais son histoire personnelle, racontée dans des lieux qu’il a connus, l’émotion qu’il peut faire naître en témoignant, ça, les guides ne peuvent pas le rendre« . Henri effectuait toujours les visites avec son calot de prisonnier vissé sur la tête, un choix personnel. Il montrait aussi souvent son tatouage sur le bras, surtout aux jeunes, « c’était essentiel qu’ils voient ça. Comme une preuve supplémentaire« .
Depuis l’annonce de son décès, nombreux sont ceux qui expriment via les réseaux sociaux, leurs condoléances à la famille Kichka et aussi leur reconnaissance envers « ce grand monsieur » dont le témoignage aura marqué de nombreuses générations. Sur son blog, le fils d’Henri, Michel Kichka écrit : « un petit coronavirus microscopique a réussi là où toute l’armée nazie avait échoué. »
Sophie Delhalle
Photos: (c) asbl Agora