"Nous donnons enfin du poids à l’essentiel", constate le grand rabbin de Bruxelles après un mois de confinement. Et pourtant, la communauté juive a dû s'adapter à des mesures restrictives pour la célébration du temps fort de l'année, la Pessah.
Cette année, les grandes fêtes des trois religions monothéistes se déroulent en petits comités. Du 8 au 16 avril, les juifs célébraient la Pessah, la Pâque qui commémore la sortie du peuple hébreu de l'Egypte où il était esclavage. Habituellement célébré en présence de plusieurs générations d'une même famille, la fête a dû être réorganisée en raison des mesures sanitaires de confinement. Certains ont pu mettre en place des repas retransmis par vidéo, notamment au sein des cercles communautaires en Belgique. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles cette fête de la Pâque est tellement attendue par les familles, comme l'explique le grand Rabbin de Bruxelles, Albert Guigui (en photo ci-contre): "C’est le moment où le dialogue intergénérationnel est rétabli, puisque l’enfant pose les quatre questions à son père, qui de son côté va répondre à son fils." Thomas Gergely, directeur de l'institut d'études du judaïsme à l'ULB, poursuit l'explication: "Le plus jeune pose quatre questions à l'aîné des personnes rassemblées à ce moment-là pour demander 'En quoi cette nuit est-elle différentes des autres?' Alors évidemment cette année, avec les mesures de distanciation sociale et l'impossibilité de se réunir nombreux, et surtout la volonté de préserver les personnes âgées, le mode de célébration de cette soirée a dû être revu. Selon les maîtres du Talmud, si on se trouve seul pour ce repas, on peut se poser les questions à soi-même."
Ce repas du Seder au cœur de la fête de la Pâque a aussi une dimension symbolique pour les juifs hier comme aujourd'hui. Le grand rabbin de Bruxelles précise: "C’est durant cette fête que le peuple juif est passé de l’état d’esclave à celui de peuple libre. Cette fête incarne les valeurs fondamentales de nos démocraties, à savoir: la défense de la liberté, la lutte contre l’esclavage et le respect de la dignité humaine. Elle est enfin la fête de l’espoir puisque c’est le moment où la nature rompt ses chaînes hivernales pour renaître à la vie." Cette commémoration du passage de l'esclavage à la liberté avait cette année un goût amer puisque elle a été vécue en situation de confinement. Les personnes étaient isolées, mais reliées par la prière.
Pour ce temps de fête comme pour les moments de célébration hebdomadaire, les juifs souffrent de ne pas pouvoir se rendre à la synagogue. Le téléphone et les moyens de communications modernes permettent de maintenir un lien avec les fidèles. Le grand Rabbin de Bruxelles concède: "Il manque bien sûr, ce contact humain, direct qui enrichit la relation. Mais, c’est mieux que rien." Pour la communauté juive, le sentiment d'isolement est encore renforcé par le fait que lors du Sabbat, jour du repos hebdomadaire, l'usage des technologies leur est interdit. "Dès lors, toute communication téléphonique ou web est interrompue", confirme le grand Rabbin. Les croyants rivalisent d'inventivité pour maintenir un contact social – en toute sécurité – pour la prière. Ainsi, le rabbin Albert Guigui raconte qu'à Anvers où les maisons habitées par des juifs sont assez proches les unes des autres, il n'est pas rare que les chants et les prières se répandent d'un balcon à l'autre, ou d'une fenêtre à la voisine.
Ecoutons enfin Thomas Gergely, professeur honoraire à l'ULB, et à ce titre habitué à confronter les interrogations des jeunes: "L'annonce du confinement m'a permis de prendre conscience des autres crises sanitaires que nous avions déjà traversées. Je me suis rappelé de la grippe asiatique qui a fait 2,5 millions de morts en 1956-57, puis de la grippe de Hong-Kong (1 million de morts). A chaque fois, les consignes sont identiques: prendre ses distances, se laver les mains, etc. J'ai l'impression que l'Histoire repasse les mêmes plats. Pour le public étudiant auprès duquel j'enseigne, l'impact est plus impressionnant. Ils découvrent que rien de ce qui semblait assuré et garanti ne l'est réellement. Depuis 1945, l'Europe vit en situation de paix. Cette paix semble la norme. Heureusement… Espérons que ce miracle se poursuive le plus longtemps possible."
AF de BEAUDRAP
Quelle leçon garder de cette épidémie? La réponse d'Albert Guigui
En fait, il a suffi d’un virus invisible, meurtrier, pour que toute notre puissance fonde comme neige au soleil. Notre économie s’est écroulée comme un château de cartes et les valeurs auxquelles nous avons cru prennent de l’eau. Dieu veut nous dire: "Je veux un autre monde, un monde différent, un monde d’un autre sens." Dieu veut nous dire: "Je ne suis plus intéressé par les foules, les grands rassemblements. Ce qui m’intéresse désormais; c’est le monde intérieur de l’homme isolé, singulier et seul. Je veux un travail personnel de chacun dans son individualité."
Le temps est venu de révéler notre richesse intérieure, de se découvrir, de découvrir nos proches dans toutes sortes de situation. Mesurons-nous à nous-mêmes. Mettons à jour nos forces, nos qualités. Frayons un chemin personnel qui ne singe pas l’autre, qui ne craint pas le regard de l’autre. Un chemin qui nous correspond. Ne plus s’enfuir devant nos vies établies et prévisibles.
L’isolement que nous vivons aujourd’hui est un chemin dans lequel les priorités de nos vies changent. De nombreuses choses dont la valeur était indiscutable jusqu’alors sont maintenant reléguées au second plan et inversement, ce qui nous paraissait tellement évident, comme la santé, avoir de quoi manger, être en vie, devient notre inquiétude de tous les jours. Nous donnons désormais enfin du poids à l’essentiel. Et c’est, je pense, un des grands enseignements que nous devons tirer de cette pandémie.
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