De nombreuses personnes se mobilisent le soir à 20h pour saluer le personnel en première ligne de cette crise du Covid-19. Les prises de positions ne manquent pas à ce sujet sur les réseaux sociaux. Voici la contribution de Cécile de Blic.

CC – By – SA Lionel Allorge
« Etre solidaire, ce n’est pas seulement respecter les mesures sanitaires. C’est aussi mesurer les fractures de notre monde. Les inégalités. Les failles de notre société.
Sans pour autant sombrer dans l’indécence d’une bourgeoisie naïve qui philosopherait avec emphase depuis sa maison de campagne.
Pour ma part, c’est sûr, je m’estime très chanceuse […] Mais aujourd’hui je pense à tous les autres.
A ceux qui vivent dans des logements insalubres. Sombres. Humides. Exigus.
A ceux qui vivent avec des personnes qu’ils n’ont pas choisi.
Ou qui vivent avec des personnes qu’ils ont certes choisi pour le meilleur et pour le pire, mais pour qui le pire semble arriver aujourd’hui.
Je pense en particulier à celles qui se sentent plus que jamais en danger. Pour rappel : il est déconseillé de sortir, mais il n’est pas interdit de fuir.*
Je pense à ces enfants qui ne tiennent pas en place.
A ces parents qui n’ont pas l’énergie de s’en occuper. Qui avaient certes choisi de devenir parents, mais qui n’ont jamais choisi d’être parents au foyer.
Je pense à ceux qui étouffaient déjà dans leur couple ou dans leur famille, et qui sont désormais privés d’exutoires.
A ceux qui seront bientôt amenés à vivre une naissance ou un enterrement, mais qui seront priés de vivre ces moments en petit comité ou par webcam interposée.

Photo d’illustration
Je pense à toutes les personnes qui souffraient déjà d’isolement, et qui ne s’autorisent même plus à espérer.
Je pense à toutes ces personnes doublement fragilisées car elles sont âgées, handicapées, précarisées, réfugiées, sans-papiers.
Je pense à tous ceux qui vivent de la mendicité, et, qui, exclus déjà de tout, se demandent ce que peut bien vouloir dire « être obligé de rester chez soi », quand justement, on n’en a pas, de chez-soi.
Je pense à tous ceux pour qui ce confinement signe au mieux un sursis, au pire un arrêt de mort: les restaurateurs, les artistes, les petits indépendants. Ceux qui n’ont plus de revenus et pas de perspectives.
Je pense à tous ceux qui n’ont même pas droit au confinement : aux travailleurs des usines qui ne fabriquent ni masques ni gels hydroalcooliques ; à ceux qui n’ont pas accès au télétravail et qui sont directement exposés parce qu’ils ramassent nos poubelles, livrent nos courriers, conduisent nos transports, passent nos articles aux caisses des supermarchés.
Je pense évidemment au personnel soignant qui depuis des années demande plus de moyens, mais qui aujourd’hui n’a plus le temps de s’en lamenter. Qui doit parfois penser que c’est bien gentil d’applaudir aux balcons, mais que c’est encore mieux d’aller voter ou manifester quand on en a l’occasion.
Que faudrait pas se plaindre d’avoir le vertige en s’accrochant aux cimes, alors qu’on a scié la branche sur laquelle on était assis.
En vrai, il y a tant de personnes à qui penser, et tant de choses à repenser. Rien que cela devrait occuper nos journées.
Et si certains se sont reconnus là-dedans, sachez que même si je ne peux pas faire grand chose depuis mon salon, je pense à vous. Les bonnes ondes devraient être les seules autorisées à traverser les murs de nos maisons barricadées.
Sachez aussi que je ne vous demanderai pas de croire que « tout ça, c’est un mal pour un bien », que « l’humanité en sortira grandie », que « cette décroissance forcée est notre ultime chance pour sauver la planète ». C’est ce que j’ai envie de croire, oui. Mais c’est facile d’y croire quand on est dans ma condition aujourd’hui.
Alors, oui, je mesure ma chance. Reste encore à savoir ce que je vais en faire.
Pour l’instant, j’ai l’impression qu’on est nombreux à tâtonner… on teste nos repères, nos limites. On réfléchit à ce qu’on peut faire, et à ce qu’on peut en faire.
Tout ça n’est qu’un début, on le sait…
Alors, plus que jamais, je mesure la chance que cette crise arrive à une époque où internet existe. Où il n’a jamais été aussi simple – et aussi urgent – de lire, écrire, s’informer, s’écrire, s’appeler.
Je ne sais pas comment on se retrouvera à la fin de tout ça, mais en attendant, je vais tâcher de me souvenir que « quand nous ne pouvons rien faire pour changer les choses, notre défi consiste souvent à nous changer nous-mêmes« .
A tous ceux qui ont déjà pris le parti d’agir pour informer, soigner, soutenir, aider : merci.
A tous ceux qui n’ont pas attendu cette période de confinement pour s’engager : merci.
Prenez soin de vous, et prenons soin de tout ce qui vit autour de nous.
Avec toute mon affection (sans masque, sans gants et sans filtre),
*Numéros d’urgence pour les personnes victimes de violences physiques et psychologiques :
En France : 3919 (pour les femmes) ; 119 (pour les enfants)
En Belgique : 0800/30.030 (pour les femmes) ; 103 (pour les enfants)