Cette année, le fil conducteur qui unit les trois lauréats tourne autour du partage des savoirs. Comme le précise Vincent Blondel, le recteur de l'UCLouvain, "ces trois acteurs alimentent la réflexion au sein de l'université". Nuccio Ordine milite en faveur d'un "savoir gratuit et désintéressé", Angélique Kidjo soutient un savoir "partagé avec les invisibles" et François Taddei pratique une traversée des savoirs.
"Nous devons former de futurs consommateurs passifs", dénonce, courroucé, le professeur Nuccio Ordine. Dans ce cadre, l'éducation se trouve évaluée "à partir des compétences à acquérir en vue de l'insertion des étudiants dans le monde du travail. L'objectif n'est plus de former des citoyens cultivés, mais des professionnels prêts à s'adapter aux exigences du marché". Surnommée durant son enfance "Quand-quoi-comment", l'artiste Angélique Kidjo défend, elle aussi, l'éducation, estimant que "la connaissance enrichit celui qui la possède; le savoir n'a pas de prix. L'argent est une arme atomique au sein des familles, au lieu d'être un outil au service des gens". Pour François Taddei, ingénieur et docteur en génétique, il importe désormais de "mutualiser les savoirs et les regards, au-delà des barrières disciplinaires qui sont confortables et apportent une limitation à la compréhension". Et de réfléchir à la question cruciale de la vulnérabilité. "Nous sommes dans des sociétés de compétition. C'est une de nos plus grandes faiblesses, individuellement et collectivement, de prétendre oublier nos vulnérabilités, qui sont fondatrices de qui nous sommes en tant qu'êtres humains. Nous sommes tous vulnérables, nous mourrons tous vulnérables, nous avons tous des moments de vulnérabilité. Etre capable de les assumer pour les dépasser, c'est essentiel. On a besoin de prendre soin de soi, des autres et de la planète simultanément." Et d'étendre sa réflexion aux défis sociétaux, technologiques et éthiques contemporains. "Nous ne sommes pas seulement vulnérables individuellement, comme nous l'avons toujours été, mais nous sommes aujourd'hui vulnérables collectivement. En tant qu'humanité, voire biodiversité, on met en danger notre existence. Ce qu'il y a peut-être de plus important, c'est d'apprendre notre interdépendance entre individus, mais aussi entre organismes vivants dans des écosystèmes complexes, qui peuvent s'effondrer brutalement."
Une évolution des connaissances
Les trois personnalités distinguées le 4 février par la remise du titre de docteur honoris causa ont en commun une même attention à l'histoire ancienne. Docteur en littérature italienne, Nuccio Ordine est spécialisé dans l'étude des écrits du théologien Giordano Bruno, un théologien de la Renaissance connu pour ses affirmations sur la pluralité des univers, loin d'une "vision insulaire des savoirs". Pour François Taddei, "le savoir est nécessaire pour comprendre les dynamiques du monde", tandis que la chanteuse Angélique Kidjo souligne l'importance de la tradition orale ancestrale. "Celle-ci perdure parce qu'on se parle, alors que le livre il faut aller le chercher." Entourée de livres durant son enfance, elle vit à présent à New York. Grande lectrice, la Béninoise œuvre en faveur de l'éducation des filles et des femmes en Afrique et dans son pays natal. Grâce à des parents attentifs, elle a elle-même bénéficié d'une éducation de qualité, favorisant le dialogue. "Maman avait une vision de la famille qui allait au-delà du rôle de la mère; en nous protégeant, elle nous a appris les valeurs. (...) Ma mère avait cette faculté de mettre les choses en perspective. Chez moi, j'étais libre de parler; il n'y avait pas de sujet tabou, à l'exception du racisme, de l'antisémitisme ou de la xénophobie. Mon père n'avait pas de place pour la haine. L'intelligence n'a pas de couleur; être patron, ce n'est pas une question de sexe."
Angélique TASIAUX
Retrouvez l'entièreté de l'article dans le numéro 7 du journal "Dimanche", en date du 16 février.