Le sujet est peu abordé et pourtant essentiel… Comment vit-on une parentalité bousculée par un séjour en institution psychiatrique pour une période plus ou moins longue? Il existe des pépites comme Espace Enfants à Manage, où l’accueil des familles prime sur les considérations médicales.
Les pièces sont coquettes et soignées, les murs colorés. Une attention à l’autre est perceptible dans la décoration. Ce lieu se veut un refuge, une bulle d’air au milieu des préoccupations de la maladie. « Dans ce coin à part, on accueille des parents, des grands-parents, des beaux-parents, mais pas des patients. Quand ils passent la porte de l’Espace Enfants, ils arrivent dans leur espace pour profiter de la visite avec leur(s) enfant(s). Ce lieu amène à la détente, au jeu et à vivre le lien qui ne serait peut-être pas possible dans un service », précise Stéphanie Tanghe, la coordinatrice d’Espace Enfants. A dessein, les blouses blanches ont été bannies parmi les membres impliqués dans l’encadrement. Pour bien distinguer la fonction des lieux, « lors des permanences, on se présente par notre prénom. Dans l’équipe des accueillants, il y a toutes sortes de professions: des infirmières, des ergothérapeutes, des éducatrices, la secrétaire de la direction de nursing, des assistants de première année de pédopsychiatrie… Leur mission, c’est d’avoir une présence bienveillante ».
Un abri bénéfique
Initiatrice du projet au centre psychiatrique Saint-Bernard, le docteur Van Leuven précise: « ce projet au cœur de la psychiatrie adulte s’inscrit dans la continuité d’autres projets déjà existants ». Il permet « le maintien d’un lien pendant l’hospitalisation dans des familles très souvent traumatisées par ce type de maladie ». L’intérêt porté aux enfants des patients est loin d’être prioritaire dans un traitement. « Quand on parle de la famille d’un patient en souffrance psychique, on parle de son conjoint, de ses parents, éventuellement de sa fratrie, mais rarement de ses enfants. » A côté d’un lieu réservé aux rencontres parents-enfants, des ateliers sont développés par le docteur Van Leuven autour de la notion de parentalité. « Comment préserver sa dimension de parent malgré ou avec la maladie? », s’interroge-t-elle. En effet, durant ces périodes complexes, « l’émotion dominante est la culpabilité et elle se décline dans les familles ». Alors, afin d’appréhender les difficultés ressenties dans le quotidien hors des murs de l’institution, des consultations « pour parler en famille » ont été mises sur pied. « Ça change toute une famille quand un membre est moins capable à certains moments. Ce n’est pas qu’il soit moins compétent. Les consultations permettent de voir comment chacun peut prendre sa part pour qu’avec cette maladie entrée dans la famille on puisse continuer à vivre, parfois mieux. Il y a quelque chose de l’ordre du vrai dans ces échanges. La maladie permet de dire des choses qu’on n’a jamais dites avant. » Tout un processus se joue lors des hospitalisations. Même en cas de crises aiguës, Frédérique Van Leuven observe que « les symptômes sont mis de côté, le temps de la rencontre avec les enfants. L’Espace Enfants est une bulle de santé dans un lieu qui accueille la maladie ».
Des familles en souffrance
A côté du patient en cours de traitement, il y a souvent une famille mise entre parenthèses. « L’hospitalisation fait fracture dans une famille. Un parent se trouve éloigné de son milieu familial pour quelques jours, quelques semaines ou parfois quelques mois. La question est de savoir comment transformer cette fracture en relation. Quand un parent est hospitalisé, les enfants ont souvent vécu des choses. Les enfants ont des doutes, des inquiétudes, parfois des angoisses très fortes. L’idée, c’est qu’un lieu de soins n’aggrave pas cette fracture. Il s’agit de faire d’un lieu de séparation un lieu qui rétablisse la relation, dans des familles marquées par les peurs et les non-dits », explique encore Frédérique Van Leuven. « Etre reconnus comme enfants est essentiel pour eux. On sous-estime le nombre d’enfants qui vivent seuls avec un parent malade. Ils peuvent témoigner d’une solitude extrême. »
La joie d’être ensemble
Deux après-midi par semaine, l’Espace Enfants ouvre ses portes aux familles qui le souhaitent. L’accès en est libre, hors réservation. « Les enfants se mélangent autour d’un jeu. Et les parents se détendent souvent grâce à eux », observe la coordinatrice. Ici se développe « une dimension communautaire entre les familles. C’est visible quand on anime les ateliers, où une dynamique spontanée d’entraide se crée. Un parent amène une difficulté et ce sont souvent les autres qui ont des paroles plus encourageantes et plus pertinentes que celles que nous pouvons avoir en tant que soignants. Cela met en évidence à quel point les personnes gardent leurs ressources. Quand les gens peuvent les activer, ils vont mieux! », se réjouit Frédérique Van Leuven. Du côté des enfants, les « personnes-ressources » présentes dans l’environnement jouent un rôle déterminant dans l’évolution des enfants, constate Stéphanie Tanghe, quelquefois témoin privilégiée de belles retrouvailles après de longues séparations. Et Frédérique Van Leuven d’ajouter que les hommes sont « parfois plus profondément atteints dans leur parentalité quand ils se retrouvent en psychiatrie. Un lien maternel est souvent plus soutenu qu’un lien paternel. Aussi faut-il encourager les pères à oser reprendre le lien avec leurs enfants. La maladie mentale est le dernier tabou dans notre société. On parle aux enfants de la mort, de l’inceste, du viol, de la guerre… Mais il y a une stigmatisation de la maladie mentale ».
Angélique TASIAUX
« Un lieu où on n’a pas peur de la vérité »
Habituées et convaincues des bienfaits d’Espace Enfants, trois anciennes patientes ont accepté de témoigner combien le fait de côtoyer cet environnement sécurisé a été précieux dans leur cheminement vers la guérison.
Agée de 41 ans, Cheyen (*) a connu un parcours pour le moins chaotique, après avoir sombré dans la cocaïne il y a onze ans. Diplômée en technique de communication et en secrétariat, la jeune femme a à son actif « un lourd passé psychiatrique, avec un trou sur la ligne du temps » de toutes ces années engluées dans la consommation de drogue. « L’Espace Enfants est une bonne alternative quand on n’est pas bien. C’est un endroit accessible. Je suis émerveillée devant les jeux de société, les livres, la pelouse. Les enfants et les mamans qui y viennent me bouleversent. Avec ma fille Fiona (*), le rôle de la maman a été inversé, l’inquiétude aussi. Cette enfant était ma béquille et ma force. Maintenant, je veux vivre pour moi et pour les personnes que j’aime. »
Carole (*) a quatre enfants. Ses deux plus jeunes sont des habitués de l’Espace Enfants. « Ils apprécient le cadre, les jeux. C’est mieux que de voir des malades et des personnes turbulentes. Et puis, il y a un accueil et des boissons. C’est plus positif. Ma filleule de deux ans et demi est aussi venue me voir. Ça m’a aidé d’avoir cette visite. Ici, on est déchargé de toute responsabilité; on a un encadrement et on se sent à l’aise. On connaît aussi les personnes. Mon ex-mari n’hésite pas à me confier les enfants, parce qu’il connaît l’endroit. Il est en confiance. C’est hors du contexte de l’hôpital. Je n’avais pas envie de les accueillir dans une grande salle où on vit entre malades. »
Mouvementée, la vie de Carol-Anne Potez a connu maints rebondissements. Âgée de 29 ans, cette jeune femme a déjà enduré onze années d’alcoolisme, aggravé d’une dépression. « A l’Espace Enfants, mon fils Tiago n’était pas en contact avec l’hôpital; il voyait d’autres enfants. D’ailleurs, il disait ‘je vais aller au pepas enfant et jouer avec mes copains’. Il voudrait revenir dans cet endroit où il a même appris à ranger ses jouets. Maintenant, je sais que si je ne vais pas bien, il n’ira pas bien non plus. »
A.T.
(*) Pseudonyme