L’humanité, depuis ses origines, cherche des réponses au mystère de la mort. Pour la foi chrétienne, la « réponse » à la mort est la résurrection. La résurrection du Christ n’efface cependant pas le scandale de la mort, mais nous invite à regarder par-delà de l’horizon de notre finitude.
Depuis les origines de l’humanité, la réalité de la mort comme fin inéluctable de l’existence induit un questionnement fondamental sur le sens de notre condition humaine. Sans crainte de se tromper, on peut dire que toute personne, d’une façon ou d’une autre, est confrontée à ces questions existentielles par excellence: pourquoi dois-je mourir? Quel est le sens de ma vie si elle est destinée à s’achever par ma mort?
Depuis les origines de l’humanité, celle-ci a développé un certain nombre de réponses au problème de de la mort. Parmi ces réponses, il y a la quête d’immortalité, comme en témoigne par exemple l’Epopée de Gilgamesh, écrite au 18e siècle avant Jésus-Christ, en Mésopotamie, et qui est l’une des plus anciennes œuvres littéraires connues de l’humanité. Mais cette quête ne peut aboutir et d’ailleurs, sans doute l’immortalité entraînerait-elle également des questions et des problèmes essentiels, peut-être aussi difficiles à résoudre. Comment en effet imaginer que notre vie, telle que nous la connaissons concrètement, ne finisse jamais ? Mais telle n’est donc pas notre destinée.
La mort dans l’Ancien Testament
Parmi les réponses de l’humanité à la question de la mort, il y a celle de l’Ancien Testament. La conception qu’Israël développe au sujet de la mort, et de l’après-mort, connaît cependant une longue évolution. Dans les livres les plus anciens (Genèse, Exode, livres de Samuel et des Rois, etc., se situant entre 1.300 et 600 avt. J.-C. environ) la mort ne fait pas l’objet d’une réflexion particulièrement développée. Dieu est le maître de la vie et de la mort, qui est perçue comme la fin naturelle de la vie. La fidélité à Dieu est récompensée par une longue vie, couronnée par une descendance, comme Dieu le fait dire, par le prophète Nathan au roi Saül: « Lorsque tes jours seront accomplis et que tu reposeras avec tes pères, j’élèverai ta descendance après toi » (2 S. 7, 12). Une « mauvaise mort », à l’inverse, consiste à mourir jeune, sans descendance.
A leur mort, les humains descendent au shéol, pour y mener une semi-existence diminuée, sans souffrance, mais également sans joie, sans relation à Dieu et aux autres. A ce stade, donc, il n’est pas question de résurrection des morts – à part quelques miracles de retour à la vie, qui doivent donc être considérés comme des « réanimations ». Si le prophète Ezéchiel, pendant l’exil à Babylone au 6e siècle avt. J.-Chr., parle des ossements desséchés qui reprennent vie par l’Esprit de Dieu (Ez. 37), il s’agit d’une évocation symbolique de la « résurrection » du Peuple sur sa terre.
Une foi nouvelle
Il faut attendre le livre de Daniel et le deuxième livre des Maccabées, au 2e siècle avt. J.-C., pour trouver les premières affirmations claires d’une foi en la résurrection des morts à la fin des temps. En 167 avt. J.-C., les Juifs subissent une violente persécution de la part du roi grec Antiochos Epiphane, qui veut faire disparaître leur foi et leurs traditions. Certains, parmi les Juifs pieux, résistent et subissent le martyr. En témoigne le récit poignant du martyr de sept frères et de leur mère (2 M. 7), qui proclament leur assurance dans une résurrection future. La situation dramatique suscite en effet une réflexion nouvelle, qui sera portée notamment par les pharisiens: si Dieu, qui est juste, ne sauve pas ses fidèles et ne juge pas les pécheurs en cette vie, il le fera dans le vie nouvelle, qui est sa propre Vie.
Quant au livre de Daniel, de genre apocalyptique, il écrit ceci: « Ce sera un temps d’angoisse tel qu’il n’en est pas advenu depuis qu ‘il existe une nation jusqu’à ce temps-là. En ce temps-là, ton peuple en réchappera, quiconque se trouvera inscrit dans le Livre. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l’opprobre, pour l ‘horreur éternelle. Et les gens réfléchis resplendiront, comme la splendeur du firmament, eux qui ont rendu la multitude juste, comme les étoiles à tout jamais » (Daniel 12,1-3).
Le fondement du christianisme
Cette foi nouvelle en la résurrection peut être considérée comme un aboutissement de la foi séculaire d’Israël en un Dieu qui est le Vivant, juste et fidèle, et qui ne peut « m’abandonner à la mort ni laisser (son) ami voir la corruption », comme l’écrit le psaume 15. Ce verset sera appliqué par Pierre à Jésus-Christ, le jour de la Pentecôte, lorsqu’il annonce à la foule que Dieu a ressuscité ce Jésus qu’ils avaient livré à la mort (Ac. 2, 12-25). Aux Sadducéens qui rejetaient cette foi en la résurrection, portée par les Pharisiens, et qui étaient venu l’interroger à ce sujet sujet, Jésus avait répondu: « En ce qui concerne la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse ce que Dieu lui a dit, dans l’épisode du buisson: Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob? Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Vous êtes complètement dans l’erreur » (Mc. 12, 26-27).
C’est la foi en la résurrection du Christ qui est le fondement historique, théologique et spirituel du christianisme. S’il n’y a pas de résurrection du Christ, il n’y a pas de foi chrétienne, pourrait-on dire en paraphrasant saint Paul. Cette résurrection constitue la réponse chrétienne à l’énigme de la mort. Cette « réponse » ouvre un horizon à l’humanité, absolument nouveau et original, porteur d’une espérance inédite dans l’histoire. Si la résurrection nous invite à porter notre regard plus loin que la vie présente, elle ne résout pas pour autant le mystère de la mort, elle n’efface pas sa réalité, elle n’en atténue pas le scandale. Nulle part, dans les évangiles, on ne trouvera une explication de Jésus à la question : « Pourquoi la mort ? ». Personne, d’ailleurs, ne lui pose cette question.
On est par contre frappé par l’attitude de Jésus à la mort de son ami Lazare, lorsqu’on l’amène devant son tombeau: « Alors Jésus pleura » (Jn. 11, 35). Telle est la réaction de Dieu face à la mort de l’homme… Pourtant, juste avant, Jésus disait à Marthe: « Je suis la Résurrection et la Vie: celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn. 11, 25). De son côté,saint Paul écrit aux chrétiens de Rome: « Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ, notre Seigneur » (Rm 6, 23). Si, pendant des siècles, on a souvent interprété la mort physique, naturelle, comme une conséquence du péché originel qui nous avait déchu de l’immortalité comme don « préternaturel », l’évolution récente de la théologie chrétienne tend davantage à distinguer mort naturelle et mort spirituelle. D’une part, La mort « naturelle », comme achèvement de notre vie, n’est pas synonyme de chute dans le néant, car le lien avec Dieu persiste et s’accomplit en vie éternelle, par-delà la mort. D’autre part, la mort spirituelle, comme rupture radicale avec Dieu, débouche sur le néant.
Jésus a connu l’abîme de la mort, mais il l’a traversée par sa fidélité, son amour jusqu’à l’extrême de Dieu et des humains. En traversant la mort à notre tour, unis au Christ par la foi et la confiance, nous aurons part à la résurrection de celui qui est la Résurrection et la Vie. Cette résurrection accomplira notre finitude.
Christophe HERINCKX, docteur en théologie