Comment révise-t-on une Bible? Comment ne pas trahir les écrits originaux? Comment fait-on évoluer les textes bibliques? Valérie Duval-Poujol, bibliste baptiste, a piloté le projet d’actualisation de la Bible en français courant. Rencontre.
Docteure en histoire des religions et en exégèse, Valérie Duval-Poujol est la première femme évangélique en France à avoir obtenu une thèse qu’elle a consacré à la Septante. Aujourd’hui, la théologienne baptiste enseigne notamment le grec biblique, la critique textuelle du Nouveau Testament et la Septante à l’Institut Catholique de Paris.
Retour à la source
« J’ai toujours été intéressée par les questions de traduction », nous confie-t-elle. Valérie Duval avait d’ailleurs commencé par une maîtrise en traduction (langues modernes) pour revenir ensuite à sa passion de la Bible. « La Bible, c’est une passion depuis toujours, surtout en tant que femme, je voulais vérifier par moi-même si ce qu’on me disait de la Bible était vrai. Et je me suis rendu compte que ce ne sont pas les textes qui sont sexistes mais bien nos traductions. » Cette quête de vérité ‘à la source’ fut donc son moteur personnel. Comme théologienne, Valérie Duval-Poujol a bien sûr rencontré des résistances mais, comme elle le dit si bien, « on va là où les portes s’ouvrent et il y en a de plus en plus ». Ceci grâce notamment au mouvement œcuménique et à cette dynamique de rencontre entre chrétiens. « Il y a un terrain favorable, de vraies collaborations possibles », se réjouit la bibliste qui est vice-présidente de la Fédération protestante de France*.
Une révision respectueuse
Pourquoi une révision de la Bible Français courant? Parce qu’en trente ans, la langue française a évolué. Depuis 1982, la Bible Français Courant, l’une des vingt traductions francophones existantes, a trouvé son public et méritait une actualisation approfondie, la première révision datant de 1997. Mais toujours dans le respect des textes grecs et hébreux, insiste Valérie Duval. « La Bible Nouvelle Français courant conserve toutes ses caractéristiques. Elle constitue une première entrée dans le texte biblique pour un large public, initié ou non. ‘Langage courant’ ne signifie pas familier mais accessible, clair et naturel. Nous avons souhaité la réviser dans un souci d’actualisation de la langue mais aussi de grande fidélité aux textes originaux. » Cette Bible a aussi pour particularité d’être la seule traduction francophone interconfessionnelle et internationale dans la francophonie. « Cela fait partie de son ADN », indique la théologienne.
Des Belges à la manœuvre
Pour cette traduction actualisée, le souci de l’autre fut donc central. « Nos formulations devaient pouvoir être lues et acceptées par des protestants, des catholiques et des orthodoxes. » Le comité scientifique présidé par Valérie Duval-Poujol a donc veillé à l’harmonisation du texte, sur lequel s’est penchée une soixantaine de réviseurs, représentant les différentes confessions du christianisme et la diversité de la francophonie (de Suisse, de Belgique, du Canada, de la République démocratique du Congo et de France). Ont participé au projet une dizaine de femmes, « c’est insuffisant, estime Valérie, mais c’est déjà bien ». Et parmi les experts, on trouve également des Belges: Jean-Marie Auwers, spécialiste du cantique des cantiques, Maurice Gilbert, fin connaisseur des Livres des Sages, Claude Lichtert, spécialiste d’Isaïe et de Jonas, et enfin Camille Focant, spécialiste de Marc. « Si l’un des réviseurs proposait de changer un terme dans l’évangile de Marc par exemple, raconte la théologienne, ce changement devait également être opéré dans tous les autres textes du corpus biblique. »
Qu’est-ce qui a changé?
« Il fallait éviter les termes connotés, développe Valérie Duval, comme le mot ‘race’, qui induisent le lecteur en erreur sur l’essence du texte, ou des termes désuets comme ‘indigents’, ‘sots’. Dans le Lévitique, on parle de ‘bête tarée’, ce mot prête aujourd’hui à sourire. Nous avons aussi évacué les termes ambigus ou obscurs, ceux dont l’acception a évolué depuis les temps bibliques, par exemple le mot concubine. » Mais, la bibliste insiste, ce travail d’actualisation ne cède pas à un quelconque effet de mode, « nous sommes toujours restés fidèles au grec et à l’hébreu ». La volonté du comité fut aussi de travailler à une traduction épicène, c’est-à-dire moins sexiste, une dynamique déjà bien ancrée chez les exégètes canadiens. « Nous avons ajouté le mot ‘sœurs’ quand la précédente traduction ne citait que le mot ‘frères’, explique encore la théologienne. Dès que la langue grecque ou l’hébreu sous-entendait qu’un terme désignait un groupe d’hommes et de femmes, nous l’avons écrit en toutes lettres. Et le mot ‘homme’ n’est dès lors utilisé que pour signifier ‘mâle’. »
De l’oralité du texte
Pendant trois ans, les réviseurs ont envoyé leurs propositions, étudiées par les quatre membres du comité scientifique. Un travail de longue haleine, avec de nombreux allers-retours vers les différents experts collaborant au projet. « Des échanges très riches », se souvient Valérie, et une nécessité de « se mettre à l’écoute des textes et non pas de nos traditions et cultures respectives ». Ce qui la frappe, après ces trois années de travail intense, suivies de neuf mois de labeur éditorial, c’est l’actualité intrinsèque de textes millénaires « qui nous parlent encore aujourd’hui » en dépit du décalage entre la culture de l’époque et la nôtre. Une attention particulière a également été portée à l’oralité du texte. Si les catholiques ont depuis longtemps conçu une liturgie qui prend en compte cette dimension, la TOB (traduction œcuménique de la Bible), qu’utilisent aussi les protestants, est beaucoup trop littéraire pour se prêter à la lecture à haute voix. La Nouvelle Français courant répond donc à cette exigence d’oralité, partagée par toutes les confessions chrétiennes.
Pour Valérie Duval-Poujol, l’une des grandes satisfactions au terme de ce chantier biblique est d’avoir pu réunir la diversité du protestantisme autour de ce projet qui témoigne aussi de la vitalité de l’œcuménisme en ce troisième millénaire.
Sophie DELHALLE
* Fondée en 1905, la Fédération protestante de France rassemble, en 2012, plus d’une trentaine d’unions d’Eglises, et plus 80 associations, représentant environ 500 Communautés, Institutions, Œuvres et Mouvements pour un témoignage commun.