RD Congo : Sur la trace des minerais de conflits


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RD Congo : Sur la trace des minerais de conflits
Par Manu Van Lier
Publié le - Modifié le
9 min

La majorité des ressources mondiales de métaux rares se trouve en République Démocratique du Congo. Cette richesse du sous-sol est pourtant source de conflits qui entraînent le peuple congolais dans un climat de violence, de pauvreté et de désolation.

Le marché du numérique et de l'électronique a connu une progression fulgurante ces dernières années. Smartphones, ordinateurs, télévisions et autres objets connectés font désormais partie de notre quotidien et ne cessent de nous éblouir par leurs capacités. Toutefois, ces technologies de pointe nécessitent énormément de métaux rares: or, étain, cuivre, coltan, tungstène, cobalt ou malachite… la liste est encore longue. A cette surconsommation numérique sont venues s'ajouter les technologies de transition énergétique. Les politiques environnementales prônent le "tout à l'électrique" alors que la fabrication des batteries et de multiples composants demande une très grande quantité de métaux. Loin d'une exploitation mesurée, respectueuse de l'environnement et des travailleurs, l'extraction de ces minerais précieux se fait dans des conditions archaïques et au détriment d'une population, sacrifiée à des fins économiques.

Une région aux mains des groupes armés

A l'est de la RD Congo, le Sud-Kivu suscite les convoitises en raison de ses réserves en minerais. Quelques sociétés internationales y sont déployées pour une exploitation industrielle, en délocalisant parfois des villages entiers pour installer des sites miniers (voir l'exemple de Cinjira en page 8) et en payant des taxes très marginales qui généralement ne reviennent pas à la population locale, l'argent partant vers Kinshasa ou étant détourné. En parallèle, la province compte 900 mines où travaillent 80.000 exploitants artisanaux: creuseurs, pileuses et parfois des enfants. C'est autour de ces mines artisanales que gravitent les groupes armés. D'après l'institut de recherche IPIS, ils seraient au nombre de cent-vingt dans l'est du Congo. Leur présence s'est intensifiée dans les années qui ont suivi le génocide de 1994 au Rwanda. Des génocidaires rwandais, les Interahamwes se sont réfugiés dans les forêts du Kivu. Organisés par la suite en FDLR (Forces de libération du Rwanda), ces groupes ont multiplié les attaques contre des villages en pillant, violant et tuant. Des groupes de défense se sont alors formés. A côté des groupes d'origine tribale Maï-Maï ou militaire, comme le M23, les groupes de défense ont rapidement évolué en groupes armés. Les plus actifs sont les Raïa Mutomboki ("les citoyens en colère"), semant la terreur dans les territoires de Shabunda au nord de la province et Kalehe, à l'ouest. Ces groupes ont progressivement abandonné leur combat contre les FDLR pour se concentrer sur le contrôle des ressources. Ils prélèvent des taxes illégales dans les carrés miniers ou sur les routes en y installant des barrières (roadblocks). Le choix pour la population est simple: payer ou risquer de se faire tuer.

Sans être inquiétés par les autorités

Dans un message publié le 21 juin, les évêques congolais s'étonnent que l'armée, soutenue par la MONUSCO ne parvienne pas à neutraliser les groupes armés, nationaux et étrangers qui "prolifèrent, sèment la mort et la désolation, comme si l’Etat n’existait pas ! (…) Les populations ont le sentiment d’être abandonnées." Ces groupes rebelles participent aussi pleinement au trafic de minerais par des filières clandestines vers les pays voisins qui, en contrepartie, les fournissent en armes. Plusieurs observateurs, membres de la société civile mais également un haut gradé de l'armée congolaise (FARDC), nous confient que certaines milices seraient dirigées par des hommes politiques ou protégées par des militaires et des magistrats corrompus. L'abbé Jacques Bulambo Wilondja, membre de l'Observatoire national des ressources naturelles, confirme: "avec les groupes armés, toutes les ressources possibles sont exploitées: bois, essences rares, défenses d'éléphant et bien sûr les minerais". Mais ils ne sont pas inquiétés par les autorités: "des rebelles sont aux ordres de politiciens basés à Kinshasa. Plusieurs quartiers miniers appartiennent à des officiers militaires".

"La violence dépasse l'entendement"

Pour s'assurer la main mise sur un territoire, les groupes armés multiplient les violences et font régner un climat de terreur. La présence des groupes armés est ainsi devenue la première cause des déplacements massifs de population: 800.000 personnes au Sud-Kivu sont aujourd’hui encore déplacées dans leur propre pays. Les morts se comptent par dizaines chaque semaine, sous le regard impuissant de la population rurale. Les viols de masse se répandent également. Dans la province, 700 cas ont été recensés entre avril et juin 2019. Ils sont généralement le fait d'une ethnie qui s'en prend à une autre. "Les viols collectifs sont méthodiques. Ils sont devenus des armes de guerre à moindre coût. Ils ne concernent plus uniquement des femmes: les hommes, les enfants et les bébés en sont aussi victimes", analyse le docteur Christine Amisi, secrétaire général de la Fondation Panzi. "La violence dépasse l'entendement. On soigne des enfants dont les organes génitaux sont détruits. Les femmes sont victimes de coups de machettes dans l'appareil génital ou de tir par balle. Les hommes sont violés devant leur famille ou leur communauté pour les humilier et les détruire mentalement." Ces pratiques barbares étaient auparavant le fait des FLDR, elles sont aujourd'hui reprises par des militaires ou des membres de groupes armés. Cependant, lorsque les agresseurs sont identifiés et que la procédure juridique aboutit à un procès, les peines sont lourdes: "un auteur de viol encourt 15 ans de prison. Lorsque les actes sont jugés comme crime contre l'humanité, la peine est la perpétuité. Mais encore faut-il pouvoir identifier les auteurs et surtout pouvoir financer les démarches juridiques", déplore Christine Amisi. La Fondation Panzi plaide en faveur d'un fond national d'indemnisation des victimes. Elle souhaiterait également la création d'une instance judiciaire internationale pour le Congo afin de juger les crimes de violence sexuelle.

Manu VAN LIER

Après les groupes armés (portraits)

Des groupes armés au commerce de poulets

A Muchinga, sur le territoire de Walungu, nous rencontrons Claude Dirindomongane et Papy Kashira. Avec beaucoup de fierté, les deux hommes nous présentent un centre de formation pour l'élevage de poulets. Ce centre s'inscrit dans un projet de démobilisation mené conjointement par la Caritas et la MONUSCO. Sur un terrain appartenant à la paroisse de Nyantende, des personnes vulnérables, envoyées par la paroisse, côtoient d'anciens membres de différents groupes armés. Cette mixité permet d'éviter la stigmatisation des anciens combattants et de faire un premier pas vers leur réintégration dans la communauté.

Papy a eu près de 500 combattants sous ses ordres

Papy Kashira était enseignant au Nord-Kivu. Au décès de son père, il s'est rapidement trouvé à court d'argent pour poursuivre ses études. Marqué par les atrocités commises par les FDLR dans sa région, il a accepté de rejoindre le FDN, Force de Défense Nationale, dirigé par un seigneur de guerre.

"On a réussi à chasser les FDLR de ce territoire. Après j'ai intégré l'armée régulière. Je suis parti à Kisangani pour y recevoir une formation, je devais recevoir une bourse pour poursuivre cette formation mais celle-ci a été détournée. Dégoûté par cette corruption, je suis retourné chez moi avant de rejoindre un autre groupe armé, Raia Mutomboki (signifie Citoyens en colère). J'y suis resté six mois. J'ai réalisé que ce n'était pas ma place. A "Kamina", on a enterré plus de 470 personnes fauchées par une maladie. Dans la forêt, je ne pourrais même pas estimer le nombre de morts. Dans les groupes, il y des questions d'influences. Quand vous ne touchez pas d'argent à la fin du mois, vous devez trouver un moyen de survivre. Quand vous êtes armés, vous pouvez demander ce que vous voulez. Mais il faut savoir que derrière les groupes armés, il y a des gens influents, des politiciens, des hauts gradés de l'armée ou de la police, qui habitent en ville ou dans la capitale. Ce sont ces personnes qui touchent le plus. J'y avais retrouvé d'anciens élèves, des jeunes de 14 à 16 ans, que j'ai tenté de convaincre de déposer les armes. J'ai contacté la MONUSCO qui m'a sorti, moi et 35 autres membres de Raia Mutomboki. Ils nous ont désarmés et encadrés dans un processus de démobilisation. De retour à Bukavu, j'ai pris la tête d'un groupe de réflexion d'anciens combattants qui militent aujourd'hui pour conscientiser la population et dissuader les hommes de partir en forêt. Il faut accepter la souffrance, la misère. On a participé à un projet de réduction de la violence communautaire. Puis la MONUSCO et Caritas nous ont aidés en mettant sur pied ce projet communautaire d'élevage de poules. A présent, nous vivons bien en comparaison à ce que nous avons connu dans la forêt. C'est un message que je transmets aux jeunes lorsque j'ai l'occasion de témoigner dans différentes localités du Sud Kivu."

Claude Dirindomongane: "j'invite les milices à déposer les armes"

Claude Dirindomongane, 53 ans, est originaire du Sud Kivu mais il a démarré au Nord dans l'armée avec le général Lafontaine. Il a réalisé que le gouvernement n'était pas en mesure de le prendre en charge. Il a décidé de quitter l'armée pour partir combattre dans plusieurs zones, tant au nord qu'au sud Kivu.

Il a souhaité quitter les groupes armés car il a pris conscience du caractère irresponsable de quitter sa famille pour les combats. Il regrette son passé. Claude a fait partie de beaucoup de groupes et sait que ce qu'il a commis est grave. Il a notamment volé ses frères et sœurs. Il a fait partie du mouvement M23 – "ce que j'ai fait avec M23, je sais que ce n'était pas bon. Je demande pardon à Dieu pour cela".

Aujourd'hui il se sent libre. Sur base de la formation reçue dans le cadre de ce projet soutenu par Caritas, il a pu installer un élevage de poulets chez lui. Cette activité, si elle se développe bien, pourra lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille. Malgré ce qu'il a fait, sa communauté l'a accueilli. Comme il a participé à des actions loin de sa communauté, celle-ci ne lui en veut pas.

Quel regard portez-vous sur les gens qui sont restés dans un groupe armé?

Pour certains, le fait de ne pas intégrer un groupe armé peut vous coûter la vie ou au moins des années de prison. Claude souhaite sensibiliser les membres de ces milices et les inviter à déposer les armes et à rentrer dans leur famille. Beaucoup de personnes sont mortes autour de lui, sur le front. Chaque jour il y a des combats, des morts, sans que les personnes engagées dans ces groupes armés ne connaissent vraiment l'objectif de ces combats.

Quels sont les objectifs des groupes armés?

Ces groupes se sont formés en réponse aux attaques des FDLR (militaires génocidaires rwandais qui vivent depuis 94 dans les forêts du Kivu) contre la population. Claude a rejoint les groupes armés parce que les FDLR étaient venus piller chez lui. Il était commerçant, les assaillants lui ont volé tout ce qu'il possédait. Les FDLR occupent des carrés miniers pour s'assurer des entrées financières. Après la démobilisation, c'est important de développer une activité génératrice de revenus. Sans cela, le retour dans un groupe armé se présente comme la solution de facilité car là il a la possibilité de voler. Mais ce retour veut aussi dire mettre sa vie en danger.

Votre avenir?

Je vais poursuivre mon entreprise d'élevage et la développer. J'ai huit enfants, âgés de 12 à 32 ans. Deux travaillent, les autres sont scolarisés. Avec mon expérience, je pourrai enseigner les méfaits des groupes armés à mes enfants.

Photos: © CathoBel - Photo de Une: © Justice et Paix

 


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