"L'amour seul ne justifie pas tout." C'est en tout cas l'avis de la théologienne Marie-Dominique Trébuchet, interviewée par le journal La Croix, concernant le débat bioéthique sur la PMA. C'est aussi l'avis de la Conférence des évêques de France à travers la voix de Mgr Eric de Moulins-Beaufort.
Tout au long des débats sur la révision des lois de bioéthique,nos confrères du journal La Croix ont choisi de donner la parole à différentes personnalités pour éclairer, dans leurs domaines respectifs, les travaux parlementaires en cours.
Après d’âpres discussions entamées mercredi 25 septembre et après l’examen de plus de 600 amendements, l’article 1 du projet de loi bioéthique (concernant l'extension de la PMA) a été adopté en première lecture à une large majorité : 55 voix pour, 17 voix contre et trois abstentions.
"Nous sommes inquiets pour notre société française"
Avant ce vote, plusieurs évêques de France avaient écrit aux fidèles de leur diocèse pour exprimer leurs inquiétudes quant à ce texte, dont ils dénoncent les « transgressions éthiques ». Rappelons aussi le discours de Mgr Eric de Moulins-Beaufort et l'appel de plusieurs associations (dont LaManifPOurTous) à investir les rues de Paris ce 6 octobre pour manifester contre la loi autorisant l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Mgr Aupetit, archevêque de Paris, a pour sa part annoncé qu'il ne marcherait pas, ayant des obligations fixées depuis longtemps pour cette date. Mais il a, à plusieurs reprises, affirmé que "manifester est un droit citoyen".
Les évêques de France avaient également affirmé leur position sur le projet de loi de bioéthique, lors d’une rencontre au Collège des Bernardins, à Paris, le 16 septembre dernier. Dans son discours d'introduction, Mgr Eric de Moulins-Beaufort archevêque de Reims et président de la CEF, s'était exprimé ainsi: " Nous sommes inquiets pour notre société française et, plus globalement, pour les sociétés occidentales. [...] nous avons été entendus [...] Mais nous ne pouvons que constater que nos responsables politiques et beaucoup de nos parlementaires restent aveugles aux enjeux de ce qu’ils vont décider parce qu’ils sont fascinés par les promesses des techniques médicales et les techniques juridiques." Et d'ajouter: "nous entendons, nous comprenons la souffrance de celles et de ceux qui ne peuvent avoir d’enfants par leur union avec une personne de l’autre sexe qui a décidé de les aimer. Nous entendons et nous comprenons la souffrance des femmes homosexuelles qui aspirent à avoir un enfant. " Mais pour autant, " la beauté de l’amour d’un parent pour son ou ses enfants ne suffit absolument pas à justifier que l’on livre la procréation à la manipulation médicale et la filiation aux bricolages que l’habileté des montages juridiques sophistiqués font imaginer."
"L'amour ne suffit pas"
La théologienne Marie-Dominique Trébuchet, directrice de l’Institut supérieur de sciences religieuses (IER), souligne les limites des arguments des députés favorables à l’extension de la PMA et s'étonne d'avoir vu "un hémicycle aussi peu rempli, sur des sujets d’un tel enjeu". Elle souligne toutefois "la qualité des prises de parole et d’écoute des différents députés". L'une des questions abordées était de savoir sur l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et femme seule relevait de la bioéthique ou du droit à l'égalité. Pour la théologienne, "Comme les évêques de France, je crois pour ma part que cette loi relève avant tout d’un choix politique : le critère clé, pour ses promoteurs, est celui de l’égalité. Dans une telle société, composée d’individus, chacun doit pouvoir exercer sa liberté et faire ses choix individuels."
Vers une rupture profonde
L’argumentation déployée en faveur de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes l’est souvent à partir du seul critère des conséquences d’un tel choix. Mais cette option "conséquentialiste" est insuffisante pour juger d’une telle évolution, estime Marie-Dominique Trébuchet. D'autres argumentent sur la réalité des faits, arguant que des enfants en France sont déjà nés par PMA. Or, souligne la théologienne, en éthique, une situation "de fait" n’est pas normative en elle-même. Et de poser la question: "S’il n’existe pas aujourd’hui un modèle unique de famille, faut-il pour autant institutionnaliser un mode de filiation radicalement nouveau, au risque d’une rupture profonde ?"
On a vu également, selon la théologienne, la question du genre s'introduire dans les débats. Certains députés ont en effet insisté sur la dimension culturelle et sociale de la filiation, quitte à évacuer complètement la dimension corporelle. "La filiation serait ainsi un pur fait social". Ceux qui tentent de souligner la place du corporel prennent le risque de se voir soupçonnés de vouloir tout ramener au biologique. "L’amour a enfin été très présent dans ce débat" poursuit l'observatrice. Mais celui-ci est aussi soumis au discernement éthique. L’amour seul ne justifie pas tout." conclut-elle.
S.D. avec LaCroix