
Suzana Norlihan est invitée par Sant'Egidio à Anvers, ce jeudi 10 octobre à 19h00
Une musulmane s’engage pour lutter contre la peine de mort ? Oui, et de surcroît dans un pays majoritairement musulman! "La peine de mort peut aussi disparaître dans le monde musulman".
Tels sont les propos de l’avocate malaisienne, Suzana Norlihan Alias, arrivée en Belgique à l'occasion de la Journée internationale pour l’abolition de la peine de mort, ce jeudi 10 octobre.
Cette activiste des droits de l'homme et mère de famille mesure bien les risques de son engagement pour l’abolition de la peine de mort en Malaisie. "J’ai confiance en Dieu", dit-elle, "Il me protège!"
Elle est arrivée en Europe sur invitation de la Coalition mondiale pour l’abolition de la peine de mort. Mardi, elle a défendu ses opinions à la faculté de droits de l’université d'Utrecht, aux Pays-Bas; ce soir elle le fera à l’université d’Anvers. Elle se rendra aussi dans plusieurs écoles anversoises."Il est important de convaincre les jeunes de l'aberration de la peine de mort", dit Annemarie Pieters de la Communauté de Sant’Egidio. Elle est vice-présidente de la coalition mondiale d’organisations non-gouvernementales, de barreaux d’avocats et d’autres partenaires qui luttent ensemble contre la peine de mort.
Frère condamné
Dans son pays, Norlihan entend souvent le reproche qu’elle s’engage contre la peine de mort parce que son frère est condamné à mort. "Ce n’est pas vrai", dit-elle, "je m’engageais déjà pour cette cause deux ans avant l’arrestation de mon frangin. C’est l’injustice de la peine de mort constatée dans les prisons et les tribunaux qui m’ont mis sur cette voie: les condamnés à mort sont toujours les faibles, ils ont été défendus, ils sont - plus souvent que les autres détenus - victimes de faux témoignages, etc." Par ailleurs, l’implication familiale de Norlihan est double, car un de ses neveux a également été victime d’un meurtre. "J’ai pris l’initiative de réunir ma famille avec le meurtrier, et même l’épouse de feu mon neveu a compris qu’il venait d’un milieu très démuni et lui a pardonné."
Le tribunal cependant ne veut pas écouter la famille de la victime qui ne demande pas la peine de mort. "Quand une famille veut se remettre de traumatismes pareils, l’exécution du meurtrier n’est pas un soulagement, au contraire", dit-elle. Contrairement à l'opinion publique, les proches des victimes comprennent souvent mieux que la ligne entre le bien et le mal n’est pas toujours aussi tranchée. "La peine de mort est surtout défendue par ceux qui se croient eux-mêmes exempts de tout mal", dit Norlihan. "Ils croient pouvoir isoler le mal dans la société avec l’exécution du coupable. Mais c'est un leurre! Personne n’est parfait, tout le monde fait des erreurs. Et croyez-vous vraiment qu’un meurtrier, par exemple, réfléchit si oui ou non il court le risque d’être exécuté quand il commet son crime ? Non, son acte est souvent très impulsif."
Trafiquant de drogue
La peine de mort n’est donc pas un bon moyen de prévention, elle n’est pas non plus la solution aux problèmes de la société. En Malaisie, les trafiquants de drogue sont pendus. "Les autorités font comme s’il n’y avait pas de drogues dans la société et que le fléau pourrait être arrêté une fois tous les trafiquants exécutés. Mais cela n’est pas le cas; souvent, c’est même en prison que les détenus deviennent assujettis à la drogue", explique Norlihan.
Mais le chef de l’État malaisien n’avait-il pas annoncé récemment vouloir abolir la peine de mort ? L’avocate craint que cette annonce demeure lettre morte. "La discussion a été déléguée à une commission, qui est surtout peuplée de partisans de la peine de mort. Comme d’habitude, ils vont constater que la peine de mort est conforme aux prescriptions de l’islam." Les mots sont tombés: les prescriptions de l’islam. "Attention", souligne la spécialiste malaisienne, "le droit pénal dans mon pays est séculier et n’est pas dérivé de la sharia. Cette discussion ne devrait donc même pas avoir lieu. Par ailleurs, dans un contexte islamique, certains crimes - comme par exemple le meurtre - ne doivent pas mener automatiquement à l’exécution de la victime. Même la loi du talion – "Œil pour œil, dent pour dent" - prévoit la possibilité d’une compensation à la famille de la victime, à condition que le coupable admette sa faute et que la famille de la victime accepte la compensation."
Suzana Norlihan Alias est donc convaincue qu’il faut lutter pour l’abolition de la peine de mort, même dans des pays à majorité musulmane. Il est important que le message porté par cette femme courageuse puisse aussi être entendu dans nos contrées.
Benoit Lannoo/NG
La Communauté Sant'Egidio organise une rencontre avec Suzana Norlihan ce jeudi 10 octobre, à 19h00 à l'Université d'Anvers. Plus d'info: +32 (0)3 229 04 10 ou info@santegidio.be