
L’enseignement à domicile, c’est tout un projet! Il permet entre autres de se connecter à ses besoins
Il y a de nombreuses manières d’apprendre, tout peut être source d’apprentissage et cela peut se faire n’importe où: en vacances, au musée, lors d’une conférence, à l’école – bien sûr ! – mais aussi à la maison. Pourquoi certains élèves – et leurs parents – choisissent-ils de faire l’enseignement à domicile?
Sortir des murs de l’école pour apprendre n’est pas synonyme de faire l’école buissonnière. Au contraire! A la suite du dossier « Apprendre autrement » paru dans Dimanche n°30 (1), voici des témoignages d’élèves et de leurs parents sur ce qui les a motivés à choisir ce type d’enseignement.
Mais, avant cela, relevons le constat des neurosciences et de la gestion mentale (2): certains apprenants ont plus besoin de bouger ou d’être sur le terrain pour intégrer la matière. En outre, des jeunes – de plus en plus nombreux – ont besoin d’apprendre dans une plus petite structure – hors des grandes classes trop souvent surpeuplées – ou encore ils apprennent mieux quand ils se gèrent eux-mêmes.
Quand la tension monte
Par ailleurs, le monde de l’enseignement est de plus en plus sous pression. Il est interpellant de relever que le phénomène du burn out sévit de plus en plus dans les écoles. Pour diverses raisons, un certain nombre d’enfants et de jeunes ont davantage de mal à se concentrer sur les bancs de l’école. La présence des écrans et l’intrusion des réseaux sociaux – avant, et voire pendant, les cours – posent problème. Et puis, la course aux points et le « devoir faire » peuvent aussi épuiser certains élèves…
Pas question de pointer un doigt accusateur vers l’un ou l’autre acteur (écoles, professeurs, parents…). Les professeurs font, en effet, face à une multitude de facteurs et de défis. Ils font de leur mieux mais les réponses prennent parfois trop de temps à être mises en place, à grande échelle. Pour permettre à un jeune de continuer sa scolarité, l’école à la maison est donc une solution… positive et courageuse.
Se déployer dans un terreau adéquat
Choisir l’enseignement à domicile, c’est décider d’agir et de porter un autre regard sur l’apprentissage, les apprenants et les sources du savoir. Cela demande aussi de dépasser des freins et de s’affranchir de peurs (les siennes et celles des autres) : peur de ne pas être capable, peur que l’enfant perde ses amis ou de n’avoir pas le temps, ni l’énergie ni la disponibilité.
Une maman dont une des filles vient de commencer l’école à la maison explique: « En maths et en sciences, elle s’ennuyait; par contre en langues, elle n’entendait pas ce que les profs racontaient. Dès le retour de l’école, elle étudiait toutes les leçons par elle-même et arrivait à avoir toutes les solutions pour apprendre. Elle a pris conscience de l’avantage – pour elle – de suivre l’enseignement à domicile: « si je reçois déjà tous les cours et que je peux les étudier toute seule – ce que je fais déjà – pendant la journée, le soir je pourrai faire autre chose! » s’est-elle exclamée! »
Cette maman explique par ailleurs: « j’étais un peu stressée à l’idée de proposer [cette formule] à mon mari, mais il voyait sa fille malheureuse, qui revenait parfois complètement démontée, par terre. Il a dit: « si elle est d’accord, [je suis] d’accord. On en a discuté avec un prof qui nous a poussés dans cette direction. Quand elle a su qu’elle pourrait apprendre autrement, j’ai eu un autre enfant à la maison. »
Le potentiel d’épanouissement personnel revient souvent dans les différents témoignages, même si ce type d’enseignement n’est pas toujours facile à mettre en place. Une autre jeune scolarisée à domicile explique: « Au début, pas évident d’assumer que je faisais l’école à la maison, je faisais souvent semblant de rien pour éviter les regards (bizarres), et les (mauvaises) réactions – consciente que ce que je fais est hors du commun. Maintenant j’ai regagné en confiance, grâce à l’école à la maison justement, et j’ose plus m’affirmer. Je n’ai plus honte de dire comment et où j’apprends réellement. Je me rends compte aussi que je ne suis pas seule à avoir quitté l’enseignement classique. J’ai la chance d’avoir beaucoup d’activités extrascolaires, donc je ne craignais rien pour mon côté social. Le contact est certes différent que celui qu’on a à l’école, mais il me convient bien. »
Réussir autrement
Cette jeune complète son témoignage: « On s’était déjà rendu compte que l’apprentissage par bloc de matière me convenait. Etudier ainsi et à mon rythme, à la maison, me permet de m’éloigner un peu de la théorie et des exercices pour m’intéresser à la matière proprement dite, à des choses qu’on n’explique pas – faute de temps? – au cours. Un petit exemple: mon livre de biologie proposait de regarder des vidéos – « pour aller plus loin », était-il écrit – mais à l’école, devant étudier plusieurs cours à la fois, je ne savais plus où donner de la tête et donc je ne n’étudiais que superficiellement. » Et plusieurs jeunes rencontrés ont retrouvé leur motivation et ont éveillé leur intérêt pour les cours en utilisant des sources variées (vidéos, rencontres, lectures…). Mais pour cela, il faut disposer de temps!
Meilleur équilibre?
En outre, un des points positifs de l’école à la maison est la réduction du stress lié au besoin de tout faire en un laps de temps limité – le soir – et à la fatigue accumulée de la journée. Moins de stress, c’est plus de place pour la concentration. Et du coup, ils réussissent alors que cela n’allait plus du tout à l’école!
Pour la plupart, le passage de l’école (le bâtiment) à l’apprentissage à la maison se fait en concertation avec les professeurs, et aussi les médecins et psychologues (entre autres le centre PMS). « Notre fille a réalisé un test d’intelligence qui a pu la rassurer car elle avait perdu énormément confiance en elle. La psychologue l’avait bien cernée et n’était ni favorable ni défavorable à la piste du jury central et de l’enseignement à domicile. En famille, nous avons décidé de franchir le pas et ce, sans tarder » explique une autre maman qui sentait qu’il fallait sortir d’un cercle vicieux de démotivation et de perte d’assurance.
Le service de l’enseignement responsable du jury central francophone relève cependant que 30% des élèves abandonnent ce type d’enseignement après maximum un an. Sans doute parce qu’il doivent tout gérer eux-mêmes. Mais cela s’apprend, comme tout le reste d’ailleurs. Quand on cesse de fréquenter une école, on se responsabilise et on devient assez vite autonome.
Un autre tremplin?
L’école à la maison peut être considérée comme une réponse positive mais, hélàs, peu accessible à tous. Pour les élèves sensibles au stress ambiant et énergivore, c’est l’occasion de mieux se consacrer à leurs apprentissages. Franchir le pas reste difficile car, dès lors, toute la responsabilité de la réussite – et de l’acquisition du diplôme – repose sur les parents et… le jeune bien sûr.
Par ailleurs, fréquenter une école ce n’est pas seulement suivre des cours. C’est aussi réaliser des projets (théâtraux, musicaux, sportifs, de voyage…) avec les autres élèves et les professeurs. S’il faut quitter ses amis et toutes ces possibilités d’épanouissement pour tout construire soi-même, cela demande un certain courage. Aussi, l’idéal serait peut-être que les écoles proposent deux formules aux élèves, en fonction de leur façon d’apprendre. Certains préfèrent les cours dits « ex cathedra », d’autres sont plus à l’aise avec la méthode de la « classe inversée ». Dans ce cas, l’élève prend connaissance de la matière par lui-même – par exemple dans un local équipé d’ordinateurs et de livres – et interagit ensuite avec le professeurs et ses pairs. Cette formule existe; elle est déjà éprouvée et approuvée par des enseignants et des directions. Elle montre même que le taux de réussite augmente, entre autres, en stimulant la responsabilisation de l’élève. L’idée fait donc son bonhomme de chemin.
En fait, peu importe la manière dont on apprend, il faut garder l’objectif d’un équilibre entre besoins physiques, intellectuels et émotionnels. Cela permet aux jeunes de déployer leurs ailes et de s’investir pleinement dans leur vie adulte.
Nancy Goethals
(1) Dossier Apprendre autrement, « L’école buissonnière? », Dimanche n°30
(2) La gestion mentale est une démarche qui permet à chacun de découvrir comment il s’approprie le réel et accède au sens (source IF Belgique http://www.ifbelgique.be/gestion-mentale/presentation-generale. Voir par ailleurs l’article de Philippe Degouy « La révolution de l’apprentissage » et son entretien avec Laurence Ris « Les neurosciences questionnent aussi notre modèle de société », Dimanche n°29.
Note: Voici les chiffres concernant le nombre d’élèves pratiquant l’enseignement à domicile en communauté wallonie-bruxelles :
Enseignement à la maison | Structures privées hors article 3 | |
2013-2014 | 892 | 404 |
2014-2015 | 885 | 482 |
2015-2016 | 909 | 388 |
2016-2017 | 920 | 402 |
2017-2018 | 1 044 | 401 |
2018-2019 | 1 122 | 377 |
Sources: http://enseignement.be/index.php?page=28188