Témoignage d'un aumônier qui a visité les rassemblements de jeunes cet été.
Juillet 2019. Une prairie en Ardennes, un camp scout. C’est le jour des promesses, l’occasion pour toute la troupe de vivre un moment différent, plus posé et plus intérieur. Cette année, le staff a souhaité proposer, avec l’aide de l’aumônier, une activité un peu particulière. Les jeunes, âgés de 12 à 15 ans, sont amenés à se succéder par petits groupes dans un endroit aménagé à l’écart. Voilà qu’un premier groupe en revient pour laisser la place aux suivants ; ces derniers les interpellent : "Qu’avez-vous ? Vous avez l’air bizarres…" Ils voient en effet que leurs amis, à l’issue du temps qu’ils viennent de vivre, se déplacent sans rien dire, calmes et sereins.
Ce qui leur est arrivé ? Trente minutes de silence. Un espace a été préparé à cet effet, parsemé de bouts de papier avec des citations d’origines variées (textes fondateurs du scoutisme, extraits d’Evangile, auteurs divers…) ; des couvertures et des coussins invitent à s’installer ici ou là ; une musique méditative complète l’invitation au recueillement. Dans un coin, on peut se servir une tisane. Avant de découvrir les lieux, les scouts avaient reçu à quelques dizaines de mètres de là certaines consignes : "Nous vous offrons un moment rien que pour vous, vivez-le comme vous voulez. Vous n’aurez pas à en rendre compte. Prenez dans les textes ce que vous souhaitez. Simplement, profitez de ce temps. Nous n’imposons qu’une seule chose : le silence pendant trente minutes. Si quelqu’un veut quitter plus tôt, il peut retourner dans le camp." Et voilà ces ados qui entrent ensemble dans le lieu du recueillement. Ils vont s’y répartir paisiblement, s’appropriant chacun à sa manière l’expérience proposée. Aucun rappel à l’ordre ne sera nécessaire. Après environ 15 minutes, tous ont fini par s’installer ; le calme est total. Les deux animateurs et l’aumônier présents, disponibles pour un éventuel conseil ou une question, retiennent leur souffle. La demi-heure s’écoule, rien ne bouge.
Merci!
Au bout du compte, il faudra leur faire signe pour leur demander de se lever et de laisser la place à d’autres. On les raccompagne donc vers la prairie ; le silence se prolonge… Finalement, l’un ou l’autre jeune articulent un mot à l’adresse de leurs animateurs : "Merci !" ; d’autres expriment à quel point ce moment leur a fait du bien. Les visages sont beaux, parfois rayonnants. Plus tard, après que toute la troupe y soit passée, le staff s’approche au complet : "à notre tour ! Nous aussi, on a envie…" Tard le soir, les animateurs et moi étions autour du feu. Chacun disait sa joie d’avoir pu offrir aux scouts ce temps de silence, sa surprise devant leur enthousiasme, le bienfait qu’il avait lui-même retiré de ce moment. Et l’un d’eux de poser la question : "Mais comment faire pour s’arrêter ainsi dans notre vie de tous les jours ?". Puis un autre : "En fait, prier, c’est quoi ?"
Les expériences de ce type vécues dans plusieurs camps scouts et guides en juillet dernier me font penser à ce passage d’Evangile où Jésus voit que la foule qui l’entoure est affamée. Pour celui ou celle qui remplit une mission pastorale, il n’est pas toujours aisé de savoir de quoi ont faim les personnes rencontrées. Les faits rapportés ci-dessus sont quant à eux assez clairs sur ce point. La quasi-totalité de ces jeunes ont exprimé à quel point ils sont affamés de silence, d’intériorité, de recueillement. C’est pourquoi ils ont accueilli cette offre avec beaucoup de gratitude et s’en sont abreuvés autant qu’ils pouvaient. Tout cela m’enseigne sur la pédagogie de Jésus : il commençait par prendre les gens là où ils en étaient, se souciant de les soulager de leurs maux. Après, ceux qui le voulaient se mettaient à le suivre. Je suis frappé d’être le témoin de cette souffrance de notre temps : nous sommes souvent dépossédés de nous-mêmes, au point que trente minutes de seul-à-seul avec soi-même sont reçus comme un moment salutaire. Quel bienfait quand on peut sentir son cœur et son âme être à nouveau irrigués ! Ainsi peuvent se préparer les chemins de la prière, même pour ceux qui s’en croient très éloignés.
Eric Mattheeuws
Titre, chapô et intertitre de la rédaction