« Grâce à Dieu » est un drame prenant, étouffant parfois, inspiré d’une affaire de pédophilie qui a secoué l’Eglise de France. Le réalisateur François Ozon livre une enquête et interroge, en évitant intelligemment le procès à charge.
Quand on regarde la filmographie de François Ozon, on ne peut lui attribuer un thème de prédilection. De « Huit femmes » à « Jeune et jolie » en passant par « Dans la maison » ou encore « L’amant double », le réalisateur français passe du drame musical au thriller sulfureux sans aucun problème. Ses films ne sont pourtant pas diamétralement opposés. François Ozon aime provoquer la discussion, s’intéresse à la psychologie, parfois en fouillant les coins les plus sombres de l’esprit humain. Son nouveau film, « Grâce à Dieu », inspiré de faits réels, ne déroge pas à la règle. Nous suivons trois personnages dans leur quête de justice et de vérité, face à l’institution de l’Eglise. Tout commence avec Alexandre, un catholique de quarante ans qui vit heureux avec sa femme et ses cinq enfants, à Lyon. Son enfance, en revanche, est à tout jamais entachée par les agissements d’un prêtre qui a sexuellement abusé de lui quand il était en charge des scouts. Lorsqu’il découvre que ce dernier est toujours au contact d’enfants, Alexandre décide de sortir du silence. Cet acte va entraîner un effet domino, encourageant d’autres victimes à s’exprimer, en créant l’association La Parole libérée.
L’intelligence d’un metteur en scène
Malgré l’émotion qu’implique un thème comme celui-ci, « Grâce à Dieu » n’est pas à charge de la religion catholique. Etouffant par moment, tout en étant grandiose, il interroge, bien sûr, le pesant silence de certains membres de l’Eglise, à commencer par le cardinal Barbarin. Alors que l’abbé Preynat avait avoué ses actes depuis des années, il n’a rien fait pour l’éloigner des enfants. François Ozon a ici l’intelligence de ne pas attaquer l’homme. Se servant de tout son talent de réalisateur, il parvient à monter un film-dossier qui soulève des questions mais n’impose aucun point de vue despotique. Cette délicatesse transparaît également dans le choix de renoncer à des images choquantes pour se contenter de témoignages, suffisamment évocateurs, pour nous faire comprendre la gravité des actes du père Preynat. Nous ne sommes donc pas dans un cinéma racoleur mais dans un drame abouti et finement écrit. Ce soin se retrouve dans la mise en scène. Le réalisateur filme cette recherche comme une enquête, s’adaptant à la personnalité de chacun des protagonistes. Cette richesse est notamment assurée par le choix de trois victimes très différentes. Alors que le premier, Alexandre, a conservé la foi, le deuxième, François, a rejeté en bloc l’Eglise. Le troisième, Emmanuel garde, quant à lui des séquelles et veut simplement que justice soit faite. Chaque homme a encaissé ce traumatisme à sa façon. Si Alexandre semble avoir réussi sa vie, Emmanuel, dont le caractère est plus sensible, est brisé. Ils reflètent les facettes d’un même problème, dont la clé se trouve dans la communication et le courage de sortir du silence, pour que ces drames ne se reproduisent plus. En relatant les faits, sans entrer dans la provocation gratuite, François Ozon signe donc un drame puissant, à classer parmi ses meilleurs films.
Elise LENAERTS