Avec « L’adieu à la nuit », le réalisateur français André Téchiné filme la radicalisation vue par le prisme intime de la famille.
C’est l’été, dans le sud de la France. Muriel prépare la chambre qui accueillera bientôt son petit-fils. Avant de partir vivre au Canada, Alex vient passer quelques jours chez sa grand-mère pour lui dire au revoir. Il va retrouver les chevaux du manège dans lequel il a grandi, profiter de la nature et surtout retrouver Lila, son amie d’enfance avec qui il sort maintenant. Lorsqu’il arrive, le jeune homme n’affiche pourtant pas une mine si réjouie. « Il doit être fatigué », se dit Muriel qui ignore alors que son petit-fils n’a pas du tout l’intention de se rendre au Canada. Car Alex et Lila ont été endoctrinés par un groupe d’extrémistes religieux. Ils doivent réunir une importante somme d’argent afin de se rendre à Istanbul. Pour eux, rien n’a plus d’importance que ce djihad auquel ils se préparent en cachette.
Du cinéma ressenti
« L’adieu à la nuit » cultive soigneusement le mystère. André Téchiné nous place en effet dans une position d’observateur. On comprend que le jeune homme prépare quelque chose de grave. Il est nerveux, passe des coups de téléphone, s’isole et parle peu. Alors qu’il devrait être heureux de revenir prendre l’air de la campagne dans le manège de sa grand-mère, il affiche une mine sérieuse, rédige une lettre d’adieu et prie beaucoup. Des signes évidents, à notre époque, qu’il s’apprête à commettre l’irréparable. La tension est palpable, sans qu’on connaisse précisément les plans. On ignore également comment il a bifurqué vers l’islam radical alors qu’il n’était pas croyant. Alex est amoureux de Lila, elle aussi radicalisée, mais ses motivations semblent être plus profondes qu’une simple amourette. Là n’est pas le propos. L’adieu à la nuit tente, en réalité, de faire ressentir, plutôt que d’expliquer. Il montre la facette humaine de ces jeunes déshumanisés par leurs croyances destructrices. André Téchiné ne juge pas le groupe de djihadistes. Sans les glorifier non plus, évidemment, il suit les tourments de jeunes perdus qui se sont lancés dans un irréversible processus. L’ambition du réalisateur va même plus loin: nous montrer ce que sont les conséquences de la radicalisation d’un jeune sur son entourage. La caméra se concentre ainsi sur le visage inquiet de sa grand-mère, parfaite Catherine Deneuve qui collabore pour la huitième fois avec le réalisateur français. De l’incompréhension, elle passe, comme nous, à l’effroi, quand elle réalise ce que son petit-fils est sur le point de faire. Vient alors la volonté d’intervenir, puis le sentiment d’impuissance. Car il sera difficile pour elle de l’empêcher de mener à bien son projet. Endoctriné, Alex n’est plus capable de réfléchir comme une personne normale. Même lorsque celle qui l’a en partie élevé tente de lui faire entendre raison. Là encore, « L’adieu à la nuit » n’émet pas de jugement sur les réactions de la grand-mère. Il expose, avec empathie et en restant dans l’intime, le dilemme provoqué par cette dramatique situation qu’on espère voir vite reléguée au passé.
Elise LENAERTS