Le Dieu des chrétiens


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Le Dieu des chrétiens
La Trinité par Roublev
Par Christophe Herinckx
Journaliste de CathoBel
Publié le
6 min

Dieu est Celui qui parle et dont la Parole crée et recrée. Bien loin des dieux des panthéons païens, ces idoles qui ne parlent pas comme les décrit la Bible, Dieu en christianisme est Parole faite chair, pour restaurer la parole déchue qui trompe et fait violence.

Parole créatrice

L’activité créatrice de Dieu est une action qui fait surgir un monde où l'homme est équipé par le créateur pour vivre dans la création. Il y vivra selon les modalités du travail et du langage. Dès le début de la Bible, Dieu en effet parle et sa parole est associée à son souffle, son Esprit. Le souffle qui plane sur les eaux primordiales accompagne les paroles créatrices de Genése 1.

Ce Verbe fait naître du chaos un monde qu’il organise: des lumières distinctes des ténèbres, un jour distinct de la nuit, la terre et les eaux, etc. Cette parole créatrice est séparatrice et organisatrice d’un monde travaillé par elle, et qui n’est pas laissé à son état naturel. Tout le récit du début de la Bible montre un Dieu bon dont la parole donne la vie et le souffle jusqu’à l’homme qu’il fait naitre, lui aussi séparé entre homme et femme, comme en vis-à-vis. Ils se reconnaîtront créés à l’image de Dieu dans leur différence par la parole reconnaissante: "l’os de mes os, la chair de ma chair" (Gn 2, 23).

A cette humanité, Dieu parle pour donner le monde qu’il a créé, tiré du néant et organisé pour que s’y déploie la vie. L’homme est appelé à son tour à exercer sa parole en nommant les animaux (Gn 2, 19). Par le souffle qu'il a reçu de Dieu, l’homme peut à son tour entrer dans une dynamique créative, puisqu’il participe à celui de Dieu.

Parole pervertie

Cette autonomie reçue est blessée par la tentation du serpent de la Genèse. Il pervertit la parole créatrice. Dieu avait dit: "Tu peux manger de tous arbres" sauf celui de la connaissance du bien et du mal. Et le serpent dit à Eve: "alors Dieu a dit: vous ne mangerez pas de tous les arbres…". Voici le mensonge des origines qui est en réalité de tout instant. Et devant la correction que fait Eve de cette parole mensongère, le serpent émet alors un doute sur l’intention créatrice: "Dieu sait que le jour où vous en mangerez vous serez comme de dieux". L’évangéliste Jean appelle ainsi le Satan, père du mensonge, celui qui pervertit la parole.

Mensonge et perversion promettent toujours de devenir comme des dieux: "vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux" (Gn 3, 5) La toute-puissance imaginaire se substitue à la condition humaine finie et mortelle. Elle promeut une pseudo-divinisation à la manière parfois des médias et du consumérisme. Jésus renverse cette inclination. Il accepte d’être la Parole de Dieu, le Verbe, le Logos entièrement humain, sans tricher. Et cela pour exprimer l’amour de Dieu jusqu’à l’abaissement le plus total (Ph 2) solidaire de tous les exclus de la parole libre. Ce renversement est rappelé aux disciples à Emmaus (Lc 24).

"Le Verbe fait chair, instaure à nouveau une parole recréatrice du monde que le mal a déshumanisé"

Parole recréatrice

C’est ce mensonge et cette perversion de la parole que combat Jésus en Luc 4, au début de son action publique. Le Satan le conduit au désert pour le tenter. Il lui présente des défis toujours actuels: changer des pierres en pain, se jeter du haut du temple et se soumettre pour l’adorer. Et il justifie ces défis par la parole de Dieu dans les Ecritures de l’Ancien Testament. Jésus oblige alors, dans cette scène inaugurale, le mal à se dévoiler comme perversion. Lui, le Verbe fait chair, instaure à nouveau une parole recréatrice du monde que le mal a déshumanisé. Le prologue de Jean atteste de ce nouveau monde inauguré dans l’incarnation du Verbe et que les évangiles décrivent à l’envi.

Au défi de toute-puissance de changer les pierres en pain, Jésus oppose le pain qui donne la vie, à savoir son propre corps, la veille de sa passion dans la dernière Cène. Aux anges qui doivent soutenir le pied de Jésus, que le Satan veut voir se jeter du haut du temple, Jésus oppose la compagnie de l’ange consolateur de son agonie. Quant aux royaumes qu’il doit recevoir du Satan s’il l’adore, Jésus oppose le Règne de Dieu qu’il inaugure selon les critères des Béatitudes. Ce combat d’une existence livrée comme celle de Jésus est gagné sur la croix. En ne trichant pas avec le don de lui-même, en accordant en lui-même le dire et le faire, Jésus rend possible désormais que la parole ne mente plus entre les hommes. C’est une grâce et un combat.

Pâques

Dans sa passion et sa résurrection, qui résument son existence livrée pour une parole qui ne mente plus mais qui fasse vivre, Jésus communique la force de vivre comme lui à tous ceux qui le désirent. Toutes les pages des évangiles l’exposent sous divers aspects.

Du haut de la croix où la vie authentique est livrée jusqu'au bout, nous comprenons que Dieu n’abandonne pas sa création au néant. Le bon larron s’en rend compte, comme le centurion romain qui s’exclame: "Vraiment cet homme était le Fils de Dieu" (Mc 15, 41). Nous saisissons que Dieu n’a pas créé l’homme pour la mort. Il ressuscite Jésus au matin de Pâques, Premier-né d’une multitude. Il vaut ainsi la peine de tenir une parole non mensongère qui permet à l’autre de naître, de mûrir et de grandir, comme l’a fait Jésus à temps et à contretemps pour chacun. Il vaut la peine d’en mourir comme l’ont attesté à sa suite tous les martyrs de la vérité.

A la Pentecôte se manifeste l’acte "recréateur" de la Parole qui avait été ensevelie un temps. Comme dans la Genèse, où le souffle participe à la création, la communauté du ressuscité est ranimée par le souffle de Dieu. Après le chaos de la passion, la déroute de tous les disciples, le don de l’Esprit redonne la parole aux apôtres figés par la peur au cénacle. Ils sortent et ils parlent pour que chacun les entende dans sa langue. La parole est de nouveau libre, comme "desensevelie". Ce sont différentes langues, comme il y avait un processus de différenciation dans la genèse, qui reçoivent la vérité de la parole libérée de la mort.

A Emmaüs, Jésus ressuscité opère cette recréation. Les deux disciples n’arrivent pas à croire au témoignage des disciples et des femmes concernant la résurrection de Jésus: "leurs yeux étaient empêchés de le reconnaitre" (Lc 24, 16). Alors ils fantasment et ne croient pas. Jésus ressuscité s’avance pour renouveler l’acte créateur de la parole. Un échange de paroles avec eux lui permet de les renvoyer à celle des Ecritures.

Jésus ne s’autorise pas de lui-même mais il renvoie à Dieu qui a déjà parlé dans l’histoire. Il a annoncé que le Messie passerait par des souffrances pour entrer dans la gloire. C’est la fin de l’imaginaire et l’entrée dans le réel d’une humanité contingente et mortelle, mais vivante d’une Parole sûre pour la vie éternelle. Là où, au commencement, manger de l’arbre défendu avait introduit la mort, manger le pain de l’hospitalité à Emmaüs rend la vie. Les disciples retournent à Jérusalem pour cette solidarité nouvelle qui fait l’Eglise. Ils prendront la Parole en public quand le souffle de Pentecôte aura restauré la communication universelle.

Jean-Louis Souletie, ICP-Theologicum


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