Dans le Credo, la catholicité de l’Eglise désigne sa dimension universelle, également au sens où elle tient « le tout de la foi ». Cette universalité est appelée à s’incarner dans la diversité légitime des cultures, mais aussi des différentes Eglises dites particulières.
« Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique« . L’adjectif « catholique » qui, avec trois autres, qualifie l’Église dans le Symbole de foi de Nicée-Constantinople (381), n’est pas biblique. L’expression « Église catholique » apparaît pour la première fois chez Ignace d’Antioche (IIe s.) et dans certains symboles de foi primitifs, puis se généralise avant que le Symbole de 381 ne confesse l’Église comme catholique, symbole reçu jusqu’aujourd’hui par toutes les Églises chrétiennes.
Qu’y signifie cette note ou qualification de l’Église? Elle désigne l’Église tout entière ou universelle, celle qui est répandue sur toute la surface de la terre. Mais le mot « catholique » appliqué à l’Église n’a pas un sens seulement « quantitatif » (géographique), mais aussi qualitatif: l’Église « catholique » est celle qui tient le tout de la foi (kath’holon en grec, « selon le tout »). En ce sens, « catholique » est synonyme d’ »orthodoxe » (qui tient la foi droite). Ce sera le cas jusqu’à la fin du XVIe s. où, dans le contexte de la Contre-réforme, ces adjectifs vont prendre leur sens confessionnel actuel et désigner des Églises séparées.
Dans les premiers siècles chrétiens, l’Église catholique (ou orthodoxe) est la Grande Église (traditionnelle, fidèle à la foi des Apôtres, une, sainte) par opposition aux petits groupes nouvellement apparus, jugés sectaires, hérétiques et schismatiques. Le « catholique » du Credo a donc une signification plus riche que l’adjectif « universel ».
Une catholicité vivante et dynamique
La double signification originelle de la catholicité (universalité, totalité de la foi) trace une exigence pour une catholicité vivante et dynamique: le tout de la foi doit être mis en relation avec tout l’univers, dans la diversité de ses cultures et manières d’être humain jusqu’à la fin des temps; en d’autres termes, pour être effective, la foi doit s’incarner à la manière du Verbe fait chair et s’inculturer en chaque culture humaine, tâche infinie et incessante jusqu’à la seconde venue (eschatologique) du Christ. La totalité (l’unité) de la foi est donc appelée à prendre corps dans la diversité des manières humaines d’être au monde. Il en va de même pour l’Église: l’Église entière, une et unique, n’existe que dans et à partir de la multiplicité et diversité des Églises locales (diocésaines).
Grâce à des pionniers comme Yves Congar, o.p., Henri de Lubac, s.j., et l’abbé Gustave Thils, à la fin des années 1930, le catholicisme a pu commencer à sortir d’une compréhension apologétique, juridique et géographique de la catholicité, forgée à partir de la seconde moitié du XVIe s. au cours de la période qui suivit le concile de Trente et vit l’essor de la Contre-réforme catholique. Selon cette compréhension, seule l’Église catholique (romaine) est catholique, car elle seule est universelle, présente partout dans le monde, et maintenue dans l’unité grâce à la papauté.
Universalité
Le renouveau théologique amorcé dans les années 1930 préparera le concile Vatican II (1962-1965) et sera consacré par celui-ci. Parmi plusieurs passages, c’est le n° 13 de la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium qui traite le plus spécifiquement de la catholicité. Le Peuple de Dieu qu’est l’Église du Christ est présenté comme un et unique; simultanément, il est destiné à se dilater aux dimensions de l’univers entier et à toute la suite des siècles (universalité spatiale et temporelle) pour accomplir le dessein de Dieu de rassembler dans l’Esprit de son Fils ses fils et filles dispersés (unité de l’humanité). Un, unique et universel, le Peuple de Dieu est présent dans tous les peuples de la terre, empruntant à ceux-ci ses propres citoyens (diversité). Tous ces fidèles dispersés à travers le monde sont maintenus en communion les uns avec les autres grâce à l’Esprit Saint (union).
C’est pourquoi, l’Église ou Peuple de Dieu, prémices d’un Royaume qui n’est pas de ce monde, ne retire rien aux richesses temporelles de quelque peuple que ce soit, mais au contraire valorise et assume les capacités, ressources et formes de vie des peuples en ce qu’elles ont de bon, en les assumant les purifie de fait, les renforce et les élève. C’est une récapitulation (transfigurante) de toute valeur humaine dans le Christ qui est ici visée. C’est l’aspect d’universalité (qualitative) de la catholicité. C’est ensuite l’aspect de diversité (dans l’unité) de la catholicité qui est détaillé.
Le tout de la foi doit être mis en relation avec tout l’univers, dans la diversité de ses cultures et manières d’être humain
Diversité
La catholicité implique en effet que chacune des parties apporte ses propres dons à toutes les autres parties et à l’Église entière, de sorte que le tout et chacune des parties s’accroissent par cet échange mutuel universel et cette convergence vers une plénitude dans l’unité. Ainsi donc le Peuple de Dieu ne naît pas seulement du rassemblement des peuples divers (catholicité de mission ou d’annonce de l’Évangile à tous les humains), mais aussi de fonctions diverses qui le constituent en lui-même (catholicité interne de la vie ecclésiale). Entre les membres de l’Église, il existe en effet une diversité soit de charges (certains exercent un ministère ordonné ou pastoral au service des autres), soit de condition et de mode de vie (la plupart ont choisi le mariage, certains la vie religieuse et consacrée).
Cette catholicité interne de l’Église consiste aussi en une légitime diversité d’Églises particulières au sein de la communion de l’Église entière. Il s’agit d’Églises régionales, correspondant à une culture particulière et jouissant de traditions propres, comme les patriarcats orientaux. Le primat romain a le devoir de garantir leurs légitimes diversités, tout en veillant à ce que celles-ci soient profitables à l’unité ecclésiale. D’où des liens de communion intime et d’échange entre les diverses parties de l’Église en ce qui concerne les richesses spirituelles, les ouvriers apostoliques et les moyens matériels.
Telle est la catholicité interne de l’Église, une (comm)union vivante et un service mutuel dans la diversité. Cette catholicité ne peut cependant rester vivante que par une catholicité d’annonce de l’Évangile, en s’ouvrant à l’universalité et à la diversité de l’humanité (ce n’est qu’en relation avec l’autre que l’Église peut être elle-même, c’est-à-dire catholique). Aussi, au terme du même n° 13 de Lumen Gentium, est-il précisé: à cette unité catholique du Peuple de Dieu qui préfigure la paix universelle, tous les humains sont appelés; lui appartiennent sous diverses formes ou lui sont ordonnés soit les fidèles catholiques, soit les autres chrétiens, soit enfin tous les humains sans exception, appelés qu’ils sont au salut par la grâce de Dieu.
La catholicité de l’Église catholique romaine doit s’exercer, se convertir et se parfaire tout d’abord en relation avec les autres Églises chrétiennes , qui revendiquent aussi d’être catholiques au sens du Credo. Le dialogue œcuménique, en surmontant le scandale des divisions entre chrétiens, n’a-t-il pas pour finalité que l’Évangile puisse être annoncé à tous les humains et à toutes les cultures de manière crédible?
Joseph FAMEREE, Professeur à la faculté de théologie de l’UCLouvain