Aujourd’hui, l’"obligation" de la messe dominicale à fait place à l’invitation, qui suppose une découverte, à commencer par celle du Christ. Il faut également découvrir le sens de l’eucharistie, action de grâce du Christ à laquelle est associée l’assemblée des chrétiens.
"Faites ceci en mémoire de moi". Ces quelques mots de Jésus à la Cène sont comme la raison majeure de notre participation à l’eucharistie. Il s’adressent aux invités du Jeudi saint autour de la table, et à travers eux, à tous les disciples qui viendront plus tard. Mais pourquoi si peu d’invités au dernier repas de Jésus? Sans doute parce qu’il fallait avoir partagé l’intimité du Maître et apprécié ses paroles et son action pour saisir la richesse du don total de sa vie: "Ceci est mon corps livré pour vous" ; "Ceci est la coupe de mon sang… qui sera versé pour vous et pour la multitude… ". C’est le langage du don que Jésus utilise abondamment: "Il les aima jusqu’à l’extrême!" (Jean 13, 1).
"Faites ceci en mémoire de moi". Le Christ veut associer l’Eglise à la grande action de grâce de sa vie, de sa mort et de sa résurrection, en un mot à l’aventure du salut. "En mémoire de moi" signifie non seulement "se souvenir" de ce qu’il a vécu et enseigné, mais en "faire le mémorial", acte sacramentel par lequel l’Eglise confesse le salut de Dieu présent à travers l’histoire. Ce "mémorial actif" est l’adhésion de l’Eglise au "Berger de toute humanité" qui ne cesse de donner sa vie pour le salut du monde. Le concile Vatican II le dit clairement: "Pour l’accomplissement d’une si grande œuvre - l’oeuvre de notre salut - le Christ est toujours présent à son Eglise, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe…" (Sacrosanctum Concilium 7).
Dans mon commentaire de l’eucharistie, je vais présenter le sacrifice d’action de grâce du Christ, auquel l’Eglise est invitée à s’associer pour s’offrir à son tour: "Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire… " (Prière Eucharistique III). Nous constaterons aussi que les trois personnes divines, Père, Fils, Esprit Saint, sont associées dans l’œuvre du salut de l’humanité: "Par le Christ, avec lui et en lui, à toi Dieu, le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles. Amen" (Doxologie finale de la Prière Eucharistique)
Le Christ convoque son Eglise et lui parle
Le Christ opère le "rassemblement" de tous ses disciples, dispersés pendant la semaine. L’"assemblée" des croyants est le "sacrement" du Corps ecclésial du Christ destiné à grandir. Nous sommes réunis "Au nom du Père et du Fils et de Saint-Esprit", de même que par le baptême nous sommes devenus enfants du Père, disciples du Fils unique, et Temples de l’Esprit. Le chant du "Gloire à Dieu" adressé à la Trinité ranime notre capacité de louange. La prière d’ouverture, prononcée par le prêtre, est la prière de tout le Peuple de Dieu: "Nous te demandons...".
Dans les lectures bibliques, Dieu nous adresse la Parole et se fait connaître : "Par cette révélation, le Dieu invisible, dans son amour surabondant, s’adresse aux hommes comme à des amis et est en relation avec eux, pour les inviter à la vie en communion avec lui et le recevoir dans cette communion" (Vatican II, Dei Verbum 2). Nous entendons aussi le message des apôtres du Christ, habités par l’Esprit de Pentecôte. Enfin, le Christ nous propose la Bonne Nouvelle comme lorsqu’il prêchait en Galilée: "Evangile de Jésus-Christ… ". Après chaque lecture, l’assemblée répond à Dieu par quelques mots: "Nous rendons grâce à Dieu!" ou "Louange à toi, Seigneur Jésus!". C’est le dialogue de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Nous répondons aussi par les paroles du psaume: "D’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge" (Psaume 89). Au concile Vatican II, l’Eglise a redécouvert la richesse de la Parole de Dieu, une parole "habitée". Une parole qui est nourriture comme le sera le corps du Seigneur: "L’Eglise ne cesse de prendre le pain de vie de la table qui est celle de la Parole de Dieu, aussi bien que du Corps du Christ, et de la présenter aux fidèles" (Dei Verbum 21).
Le Christ nous invite à nous unir à lui pour l’action de grâce
Le sacrifice eucharistique, don total du Christ, est "pour la gloire de Dieu et le salut du monde". La procession des offrandes évoque le rassemblement des pains et des poissons que Jésus a multipliés pour nourrir les foules affamées. Signe prophétique de ce que serait l’eucharistie à travers les siècles. La IVe Prière eucharistique mérite d’être découverte par les chrétiens pour qu’ils puissent s’y joindre et que le "nous" de la prière devienne une réalité vécue. En termes bibliques, elle exprime magnifiquement la richesse du Mystère pascal du Seigneur.
Dans cette prière eucharistique, nous rendons grâce à Dieu pour le ministère terrestre du Fils bien-aimé, sa "parole vivante" par qui Dieu a tout créé. L’assemblée se joint ensuite au chœur céleste (Isaïe 6) des anges et des saints pour chanter la gloire du Seigneur: "Saint le Seigneur!". La prière se poursuit. Elle évoque le péché de l’humanité et la "miséricorde" de Dieu, qui a "multiplié les alliances" en notre faveur et nous a formés par les prophètes "dans l’espérance du salut". Le Seigneur Jésus, "mort et ressuscité pour nous", a communiqué au monde son Esprit sanctificateur.
La communion avec le Seigneur et entre nous est le sommet de la participation à l’eucharistie
A ce moment, l’Eglise demande que descende ce même Esprit Saint (épiclèse) sur le pain et le vin pour qu’ils deviennent "corps et sang du Christ" et, plus tard, sur tous les fidèles présents pour "qu’ils soient rassemblés un seul corps".
"Quand l’heure fut venue…", le Christ fit le don de lui-même: "Ceci est mon corps… Ceci est la coupe de mon sang… ". A ce don toujours actuel répond la confession de foi de l’assemblée : "Nous proclamons ta mort. Nous célébrons ta résurrection. Nous attendons ta venue dans la gloire!". Tout est dit. Le mémorial se prolonge dans la prière du prêtre, et nous offrons le sacrifice du Christ "qui sauve le monde". L’eucharistie est à la fois sacrifice du Christ et sacrifice de l’Eglise à la suite du Maître. Les trois prières qui suivent demandent que nous soient donnés les fruits de l’Esprit: la fidélité de l’Eglise de la terre, le salut des défunts, le bonheur céleste pour ceux qui espèrent rejoindre les bienheureux. La grande élévation ponctuée par la doxologie trinitaire met un point final à la prière qui est immédiatement suivie par le Notre Père, prière fondamentale des chrétiens.
Le Christ nous introduit dans la communion divine
Suit le geste de la paix, fruit du Mystère pascal. La paix avec Dieu nous vient de la mort et de la résurrection du Seigneur. La fraction du pain est ponctuée par le chant de l’"Agneau de Dieu" immolé et sauveur. Un pain unique est rompu pour la multitude et partagé par tous. C’est le Christ, source de l’unité de l’Eglise (1 Cor. 10). L’eucharistie est offerte aux croyants: "Mangez-en tous…" et "Buvez-en tous…". La communion avec le Seigneur et entre nous est le sommet de la participation à l’eucharistie qui s’achève par l’oraison finale et l’envoi: "Allez dans la paix du Christ". Les chrétiens sont appelés à vivre en disciples-missionnaires.
La rencontre du Christ, l’éveil à la foi par la catéchèse, la découverte de la Parole de Dieu et l’expérience de la vie fraternelle sont des préalables indispensables à la célébration de l’eucharistie, de même que l’apprentissage de la prière personnelle. Enfin, insistons sur la qualité des célébrations. Il y a un "art de célébrer" à découvrir, chacun faisant avec conscience ce qui lui revient: qualité du service liturgique des lecteurs et des chantres, gestes et paroles sobres et "habités" de la part des ministres. Valeur du silence et de l’intériorité qui donneront sens aux paroles et aux gestes porteurs de signification. Bonne route !
Abbé André HAQUIN, professeur émérite à la faculté de théologie de l’UCLouvain