La semaine dernière, dite de Carnaval, 130 jeunes ont enfilé le costume – au sens propre comme au figuré – de sénateurs et sénatrices, ministres, président du sénat, conseillers ou conseillères d’état, journalistes… En effet, depuis onze ans, le Jeugd Parlement Jeunesse investit le Sénat pour simuler une session parlementaire bilingue presque aussi vraie que nature.
Plus couramment appelé « JPJ », le Jeugd Parlement Jeunesse réunit des jeunes entre 18 et 25 ans, issus des trois communautés linguistiques, de toutes les régions de Belgique et aux profils de formation les plus variés possible.
L’opportunité d’un laboratoire grandeur nature
Le JPJ tient en partie du laboratoire car les jeunes y expérimentent « pour du beurre« tout le travail effectué pour aboutir au vote d’un projet de loi; cependant tout se passe in situ – dans le vrai Parlement – avec le concours logistique des fonctionnaires du Sénat.
Pendant cette session particulière, les jeunes viennent se frotter à l’exercice –pas si facile ! – du débat parlementaire sur quatre projets de loi qu’ils proposent et concoctent eux-mêmes. En amont de cette semaine intense à plusieurs points de vue, il y a tout un travail de préparation orchestré par une trentaine de participants : les organisateurs. Ces derniers ont déjà participé à au moins une session du JPJ et ont décidé de s’investir davantage. La centaine d’autres participants vit l’expérience pour la première fois.
Mais qu’est-ce qui pousse ces jeunes à sacrifier une semaine de cours ou de congé?
(Se) comprendre et apprendre
L’avis est quasi unanime : en tant que jeunes citoyens – et très prochainement (futurs) électeurs -, ils et elles veulent découvrir le fonctionnement du système parlementaire. La plupart avoue ne pas s’y connaître, voire même ne rien comprendre. Ils veulent aussi apprendre à se forger une opinion en la mesurant à celle des autres.
Par ailleurs, le projet de créer une simulation du Parlement fédéral a pour but de rapprocher les communautés linguistiques. Et il semble que la sauce prenne ! En effet, pendant une semaine, ils se rencontrent, débattent, parlent la langue de l’autre et s’aperçoivent que c’est très enrichissant.
« En une semaine, dit Florine, j’ai amélioré ma compréhension à l’audition et je suis plus à l’aise pour parler en néerlandais. Pas pendant les débats – où nous profitons des services des interprètes – mais quand la journée est finie et que nous nous retrouvons à l’auberge de jeunesse et faisons des activités tous ensemble. » Moonray renchérit en néerlandais : « Ici, je me sens à l’aise pour parler avec des francophones. On se fait même des amis. » Alexandre conclut par ailleurs: « et on découvre d’autres cultures, d‘autres façons de penser. Tant pendant les débats où l’on se surprend à découvrir que dans un même parti, les visions sont parfois différentes selon qu’on soit Flamand ou francophone. »
Des bénéfices multiples
Que ce soit la première expérience de simulation ou non et quel que soit le rôle qu’on endosse, les bénéfices personnels semblent indéniables. A commencer par l’acquisition de plus de confiance en soi pour prendre la parole en public; les timides sortent donc de leur réserve. La preuve par Rodolphe qui en est à sa quatrième année de participation. Il a été tour à tour sénateur, co-président de parti, en charge de l’organisation pratique et, cette année, président du conseil d’administration de l’asbl JPJ. « J’étais timide et j’ai appris à m’exprimer en public. Je n’ai plus peur de donner mon avis, de défendre un projet… »
Par ailleurs, nombreux sont ceux qui pensent, comme Adelin, Emily, Alexander ou Valentine, que le fait de confronter leur opinion, d’écouter les avis des (vrais) experts, de rencontrer l’autre et de pratiquer une ou plusieurs autres langues leur apprend énormément.
Rodolphe se prend à rêver : « Ce qui serait vraiment bien c’est que le JPJ soit reconnu comme stage par les écoles et universités. Pour le moment – même si les universités sponsorisent le projet – il n’y a qu’une simple validation de participation. Il en faudrait plus. »
En attendant, des jeunes prennent leur avenir en main. Le slogan des JPJ prend donc tout son sens « Ne crains pas le futur, schep haar (crée-le)« . Les participants sont invités à s’investir mais chacun à son rythme. Et c’est là une des forces du projet: nul besoin d’être expert, les nouveaux venus apprennent leur « métier » grâce à l’esprit de collaboration et à une efficace répartition des tâches.
Le bilinguisme, une priorité
Il existe bien sûr d’autres simulations parlementaires mais le JPJ est le seul lieu où les débats se font dans les langues nationales – en réalité en néerlandais et français vu le peu de représentants germanophones. Que les participants soient uni- ou plurilingues, ils considèrent que cette spécificité est un plus à trois points de vue : l’apprentissage personnel, la prise de confiance et la meilleure connaissance de l’autre.
Notons toutefois que le défi du bilinguisme est à relever sans cesse. Le JPJ a une tendance à attirer plus les francophones et il s’avère que les deux communautés ont des façons différentes de s’investir. « Les francophones sont plus fougueux et théâtraux », les Flamands sont plus rigoureux » relève Rodolphe. C’est en effet confirmé dans les faits et dans les dires par Carlos, son vice-président néerlandophone ou certains présidents de parti. Gaspard – qui siège comme (seul) représentant de la communauté germanophone – insiste sur l’importance de représenter les 3 communautés linguistiques « Rencontrer les autres cultures est très enrichissant, c’est une force plus qu’un boulet ».
En route vers la diversité
De là se pose la question de la façon de recruter les 130 participants (pas un de plus vu le nombre de sièges au Sénat). Le bouche-à-oreille peut laisser craindre un manque de diversité, voire un certain élitisme. Ce que n’ont pas manqué de pointer les journalistes du JPJ « ce type de candidature est bien sûr inévitable mais participe à cet esprit de groupe fermé. La com’ générale de l’organisation est quant à elle principalement orientée sur les universités, ce qui exclut une partie de la jeunesse belge » relève Amaury, journaliste du JPJ, dans une carte blanche.
Mais cette année les organisateurs ont voulu relever le défi – c’est d’ailleurs aussi une exigence des sponsors, les institutions publiques et les universités. Ainsi, ils se sont rendus dans les établissements plus techniques pour présenter le projet. Le JPJ a aussi payé Facebook pour toucher un public plus large et a créé une vidéo « viens donner ton avis ». Il semble que toutes ces actions aient produit du résultat.
Par ailleurs, le JPJ est très fier d’avoir lancé une coopération avec les écoles secondaires en leur proposant une simulation d’une journée. L’expérience a été très positive. A réitérer en 2020, elle amènera – on l’espère ! – davantage de diversité.
Simplement oser
Gary est passionné de politique et a joué le rôle de ministre. Pour lui, « beaucoup n’aiment pas la politique car on ne leur pas appris à comprendre ce que c’est« . Ceux qui ont rejoint le JPJ ont fait confiance à leurs amis ou professeurs enthousiastes, ils ont osé dépasser leurs peurs de l’inconnu, de l’autre, de parler… Pendant la semaine, ils ont expérimenté et tenté d’être créatifs. Au terme de cette onzième édition, la satisfaction des participants semble de mise ; même s’il reste encore de nombreux défis à relever. C’est d’ailleurs cela qui rend le projet passionnant.
Premier bilan
De l’avis de tous, la session 2019 était plus décontractée – y compris au niveau vestimentaire car seule une tenue correcte est à présent exigée. Dans le Citizen – le journal du JPJ – Louis estime que « l’esprit du JPJ, cette simulation où se mêlent le sérieux et l’humour, le réel et la fiction, les langues et les cultures, s’y est manifesté dans toute sa vigueur.«
Ainsi donc, l’expression de laboratoire prend tout son sens. Alors que le Sénat a retrouvé son calme et ses vrais politiciens, c’est l’heure des premiers bilans – objectifs et constructifs – de cette semaine. Il faut continuer les avancées telles que l’ouverture aux jeunes de toutes catégories sociales et de formations variées. Il faut aussi remettre en question les (dys)fonctionnements qui pourraient saborder la raison d’être du JPJ – pour rappel, le rapprochement des différentes communautés. Et surtout il faut garder à l’esprit que le JPJ doit rester un terrain d’expérimentation. Si la simulation devient trop réaliste, elle risque de limiter la créativité. Certains participants ont en effet relevé que le JPJ avait une tendance à être très juridique; ceci risquerait de rebuter ceux qui viennent des hautes écoles ou d’autres formations.
Gérer de subtils équilibres
Il reste que les équilibres ne sont pas faciles à trouver. Chacun doit y mettre de la bonne volonté. Heureusement, depuis onze ans au JPJ – mais aussi dans les autres simulations parlementaires -, les jeunes sont prêts à retrousser leurs manches. Ils prennent leur place de citoyens critiques et engagés, et ce avec un certain enthousiasme.
Plusieurs membres du JPJ déplorent cependant le manque de reconnaissance du « vrai » monde politique et de la presse qui s’intéressent peu au projet. Pourtant le travail accompli est intense et mené le plus rigoureusement possible. Gageons dès lors qu’avec l’augmentation de la diversité, le JPJ gagnera en visibilité et crédibilité.
Notons tout de même que des collaborations avec des experts externes ont lieu. Ceux-ci viennent apporter leur éclairage sur les projets de loi imaginés et rédigés par les jeunes ministres du JPJ. Ainsi donc des liens peuvent se créer mais ils sont à l’initiative des participants au JPJ. Et relevons aussi qu’un journaliste est venu apprendre les rudiments de son métier au comité de rédaction du JPJ.
Pour conclure, c’est un bel exercice de démocratie où chacun.e apprend à respecter le travail des politiciens, des journalistes et tutti quanti. Se faisant l’écho de tous les interviewés, Moonray conclut: « C’est une fameuse expérience et je la recommande vraiment à tout le monde ».
Il existe de nombreuses formules de simulation parlementaire – régionales, nationale, européenne et même ONUsienne. Depuis 2008, un millier de jeunes a participé à celle du Jeugd Parlement Jeunesse. Qui que l’on soit, on a son mot à dire. L’invitation est donc relancée à tous les jeunes pour prendre leur place et jouer leur rôle de citoyens.
Nancy Goethals
Dans une prochaine édition du journal Dimanche, retrouvez par ailleurs ce qui motive les jeunes à s’engager pour la société .