En 2018 étaient célébrés les 70 ans de la fondation de l’État d’Israël. Dans cette région où perdure un des plus anciens conflits du monde, deux artistes, Ariane et Alexandra, sont parties à la recherche d’artisans de la paix. Les personnes qu’elles ont rencontrées sont des gens ordinaires qui luttent, par des moyens non violents, pour le respect des droits humains dans un conflit où la paix semble introuvable.
A l’origine de ce road-movie palpitant que les spectateurs pourront découvrir dans nos émissions "En quête de sens – Il était une foi" lors des weekends de Noël et de Nouvel An (voir encadré p.5), il y a l’histoire d’un homme, Mati Klarwein (1932-2002). Sa famille d’origine juive quitte Varsovie en 1934 et fait partie des premières vagues d’immigrants Juifs qui vont s’installer en Palestine, à l’époque, sous mandat britannique. Avec un grand-père sioniste et un père qui deviendra l’architecte de la Knesset (le parlement du futur État d’Israël), le jeune Mati, quant à lui, décide d’ajouter à son prénom juif un prénom arabe, Abdul, signifiant "serviteur", en signe de rapprochement avec les Palestiniens. Par ce geste, Abdul Mati Klarwein invite chacun de ses amis juifs et palestiniens à faire de même en ajoutant à son nom, un prénom de l’autre communauté. "Si chacun fait cela, la réalité du pays changera", pense-t-il.
Deux artistes citoyennes-reporters
Inspirées par cet homme dont le geste prophétique a été posé au début de la fondation de l’État israélien, Ariane et Alexandra ont voulu trouver, aujourd’hui, des initiatives citoyennes pour la paix sur cette terre que certains qualifient de “sainte”, d’autres de “promise”, mais où la paix semble introuvable au niveau politique.
Ariane Cohen-Adad est violoniste. Dans son nom, à l’instar d’Abdul Mati Klarwein, elle porte la trace d’une histoire oubliée où ont dû se mêler deux familles, l’une juive, l’autre arabe. Le nom Cohen évoque les serviteurs et prêtres qui célébraient jadis dans le Temple de Jérusalem. Quant à Adad, il signifie "forgeron" en arabe. Ariane est accompagnée par Alexandra Jas, une artiste en acroyoga qui a participé à plusieurs projets de travail de mémoire en Europe. Ensemble, elles ont décidé de se rendre à Hébron, ville de Cisjordanie située en Territoires palestiniens.
Leur visite démarre au quart de tour! Pour visiter Hébron, elles ont fait appel à un guide dont le discours va très vite les surprendre. Nadav est Israélien et fait partie de Breaking the Silence (Briser le Silence), une association qui propose des tours guidés dans Hébron. Particularité de ces guides, ce sont d’anciens soldats de l’armée israélienne. Ils n’hésitent pas à dénoncer certaines actions auxquelles ils ont participé pendant leur service militaire. Une manière pour eux de ‘réparer’ quelque chose. Nadav les emmène visiter Shuhada Street. Pour la population palestinienne d’Hébron, Shuhada Street est devenue le symbole de l’occupation israélienne; c’est un quartier fantôme depuis que tous les magasins, les bureaux et la station de bus ont été fermés et interdits aux Palestiniens, il y a 20 ans. Plusieurs attaques-suicides et massacres y ont touché douloureusement chaque communauté. Aujourd’hui, quelques centaines de colons juifs se sont installés dans les maisons vides et forment les colonies du centre-ville.
Hébron, un condensé des tensions
Hébron, c’est un condensé de la tension israélo-palestinienne. Ville sainte pour les juifs et les musulmans, elle abrite le tombeau des patriarches où serait enterré Abraham et sa famille. C’est là aussi que le Royaume d’Israël a débuté, il y a plus de 4000 ans, quand les Hébreux ont conquis cette première ville du pays de Canaan, la Terre promise.
Ariane et Alexandra ne vont pas se contenter d’y rechercher des pacifistes locaux, elles vont décider, elles aussi, de poser des actes de résistance. C’est ainsi que le lendemain de leur première visite, elles retournent dans Shuhada Street avec la ferme intention d’y jouer du violon et d’y danser, pieds nus, en signe de vulnérabilité. Danser dans Shuhada Street, pour elles, c’est permettre à la Vie de refaire irruption dans cette ancienne artère commerçante qui grouillait jadis de vie, d’activités et de fêtes. Quand les soldats israéliens vont s’approcher - car toute manifestation est interdite dans la rue – les filles joueront "plus fort" pour se donner du courage et marquer leur détermination aux soldats. Elles les désarmeront par leur sourire et leur simplicité.
Paisible Bethléem
Nous étions arrivés depuis 48h en Israël et les filles avaient déjà provoqué l’armée et affronté les fantômes de Shuhada Street. Pour notre troisième jour, nous roulons vers Bethléem, une ville plus paisible où les touristes osent s’aventurer. Nous y recueillons le témoignage de parents des deux communautés qui ont perdu des enfants dans le conflit. Ainsi cette maman israélienne qui a perdu ses deux fils soldats: "Quand j’ai rencontré pour la première fois des mères palestiniennes dans ce groupe du Parents Circle Family, qui elles aussi avaient perdu un enfant, j’ai les ai regardées dans les yeux et j’ai compris que nous partagions la même souffrance". Puis, ce père palestinien: "J’ai rencontré le soldat qui avait tué ma fille et je lui ai dit: Tu n’es pas un héros, tu n’es pas un combattant. Tu n’as pas tué un ennemi ou un terroriste, tu as juste tué une fille innocente de dix ans. Je ne cherche pas la vengeance parce que je ne me venge pas sur une victime. Pour moi, tu es aussi une victime". Et la maman israélienne nous questionne alors: "Vous comprenez l’essence de ce travail que nous faisons dans ce groupe de parents? C’est la question de trouver l’humanité dans l’autre. Et quand tu peux trouver cette humanité, comprendre le besoin des autres, et comment ils voient leur Histoire, c’est le début de la fin du conflit parce qu’un des plus grands problèmes que nous ayons, c’est que nous sommes totalement coupés les uns des autres. Cette séparation totale crée de la peur. Cette peur génère de la haine. Et la haine engendre la violence". Ces paroles ne sont pas sans nous rappeler les écrits d’une jeune femme juive, Etty Hillesum, qui vivait à Amsterdam en 1942 et qui avait développé cette capacité à reconnaître l’humain chez ceux dont elle était la victime.
Retour à Hébron
De retour à Hébron, nous visitons le quartier palestinien, mais où que nous allions, nous nous retrouvons face à des barrières, à des rues fermées et à des check-Points, ces points de passage où l’on est contrôlé. Une jeune femme palestinienne que nous rencontrons dans la file nous invite à prendre le café chez elle. Elle n’a que 23 ans et semble manifester de l’empathie pour les soldats israéliens: "Vous savez... Les Israéliens doivent faire leur service militaire quand ils ont 18 ans. Ils sont encore jeunes. Ils ne connaissent encore rien de la vie".
A la fin de notre séjour, nous apprenons que l’inauguration d’un site archéologique va avoir lieu au sommet de Tel Rumeida, une des collines de la ville. Il y aura là des officiels, des archéologues et toute la communauté juive d’Hébron. Une occasion pour nous d’enfin rencontrer ces hommes et ces femmes qui viennent fonder ces colonies israéliennes en territoire palestinien. "Si vous sortez une caméra dans ces quartiers, il n’est pas rare de vous faire à votre tour filmer par l’un d’eux avec son téléphone portable pour vous perturber", nous avait prévenu Nadav, notre guide. La confiance ne semblait pas de mise, mais, une fois de plus, nous progressons avec une simplicité semble-t-il déconcertante puisqu’en dix minutes, nous franchissons sans peine deux contrôles militaires en signalant que nous sommes ‘invités à la party’. Là haut, l’ambiance est impressionnante, pour Alexandra surtout qui n’a jamais été confrontée à autant d’armes autour d’elle; celles-ci sont en bandoulière sur les soldats, mais également les colons
civils - et il s’agit d’armes de guerre - pour se protéger. Alexandra retrouve un peu de sérénité quand un des colons vient vers elle avec un accent parisien. Daniel a quitté Paris pour Hébron il y a 30 ans, il y a fondé sa famille et travaille aujourd’hui sur le site archéologique. Il nous explique que des ruines d’habitations juives datant de 2000 ans ont été mises à jour sur ce site: "Ces ruines traduisent un lien à la terre qui est important pour nous". "Hébron est la Cité éternelle du peuple Juif", déclare un officiel qui entrevoit un avenir "où nos enfants, nos petits-enfants et leurs descendants pourront venir ici". Murad, un activiste palestinien membre de Youth against Settlements (les Jeunes contre les colonies) nous explique que l’archéologie est parfois utilisée comme prétexte pour occuper des terres palestiniennes. Pour Yonathan, un archéologue israélien rencontré à Jérusalem, il est en effet essentiel d’utiliser l’archéologie de manière professionnelle: "Le site de Tel Rumeida raconte l’histoire d’Hébron depuis les origines, il y a environ 4000 ans. Il fait partie de la culture de tous les gens qui ont vécu à cet endroit. On ne peut pas baser l’histoire d’un lieu sur une seule période de l’Histoire. Vous devez tenir compte des différentes couches archéologiques, des différentes civilisations qui ont façonné l’endroit où nous vivons. Comprendre l’histoire de ce lieu pourrait être un puissant moyen pour apporter plus de tolérance et de compréhension entre les différentes communautés qui vivent là". Un peu plus tard, Ariane pourra faire l’expérience de cette réalité sur un autre site historique, la forteresse de Massada, où elle jouera avec un musicien juif passionné de musique palestinienne.Si la paix n’est pas pour demain, alors elle est pour aujourd’hui!
A l’heure où nous quittons notre hôtel pour reprendre l’avion, nous repensons à ce que nous a dit Joseph, un habitant de Bethléem: "Si la paix - d’un point de vue politique - n’est pas pour demain, alors elle est pour aujourd’hui!" La paix, c’est ce que nous en faisons chacun, dans chacune de nos vies, à l’instar de ces mères et de ces pères juifs et palestiniens qui, après la perte de leur enfant, sont capables de retrouver ensemble la paix dans leur cœur. La paix commence par ce que nous mettons en œuvre chacun aujourd’hui !
Au moment de payer le chauffeur de taxi qui nous conduit jusqu’au check point, nous recevons notre dernier cadeau; celui-ci considère les billets que nous lui tendons et nous répond : "Welcome in Palestine!" Pour lui - qui avait certainement besoin de cet argent - il était plus important de voir des étrangers venir leur rendre visite et ne pas les abandonner à leur sort. A bon entendeur !
L’équipe des reporters
Photos extraites du film "Breaking the Silence"
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