Le prix Nobel de la Paix a été attribué ce vendredi 5 octobre à deux personnalités qui luttent contre les violences sexuelles et la persécution des femmes : le congolais Denis Mukwege, gynécologue, maintes fois distingué dans le passé, et la jeune Yézidie Nadia Murad, ex-esclave sexuelle de Daech.
Le prix Nobel de la paix a donc été doublement attribué, ce vendredi, au célèbre médecin congolais Denis Mukwege et à la Yézidie Nadia Murad, ex-esclave de l’organisation Etat islamique (EI), « pour leurs efforts pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre ». A eux deux, médecin et victime, ils incarnent une cause planétaire qui dépasse le cadre des seuls conflits, comme en témoigne le raz de marée planétaire #metoo déclenché il y a un an en lien avec les révélations sur les agissements du producteur américain Harvey Weinstein.
« Denis Mukwege est quelqu’un qui a dédié toute sa vie à la défense des victimes des violences sexuelles perpétrées en temps de guerre. Sa colauréate Nadia Murad est le témoin qui relate les abus perpétrés à son encontre et d’autres », a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen.
L'homme qui répare les femmes
C'est sous ce titre que le docteur Mukwege est désormais connu, depuis le film-documentaire multi-récompensé que lui a consacré le réalisateur belge Thierry Michel (2015). Ce dernier voulait montrer l'engagement courageux de ce médecin dans un pays où la guerre ne cesse de jeter sur les routes de nombreux réfugiés et où les femmes sont toujours les premières victimes des exactions commises par les milices dans chaque village où elles passent. Aujourd'hui, dans son hôpital de Panzi, créé 1999 pour permettre aux femmes d’accoucher en sécurité, le docteur Mukwege se consacre au perfectionnement de la chirurgie réparatrice auprès des femmes victimes de viol. Le centre est devenu par les faits une "clinique du viol" depuis que le Kivu a sombré dans l’horreur de la deuxième guerre du Congo (1998-2003) et de ses viols de masse. Cette « guerre sur le corps des femmes », comme l’appelle le médecin, continue encore aujourd’hui. Le 25 octobre 2012, il est victime d'une tentative d'assassinat à son domicile, il est contraint de quitter pays. Menacé de mort, ce médecin au destin exceptionnel vit sous la protection des Casques bleus. Mais cela est loin d'empêcher notre homme de continuer son travail. Et de dénoncer. "En 2015, on avait observé une diminution sensible des violences sexuelles. Malheureusement, depuis fin 2016-2017, il y a une augmentation », confiait-il à l’AFP en mars dernier. Parmi les distinctions déjà reçues par le docteur Mukwege, citons le prestigieux prix Sakharov (2014), remis par le Parlement européen à des personnes ou des organisations en lutte contre l’oppression, l’intolérance et l’injustice.
En Belgique : Une étroite collaboration
En Belgique, l’ULB travaille déjà à l’hôpital de Panzi dans le domaine des formations aux techniques médicales et chirurgicales. L’UCL a décerné en 2014 un titre de docteur honoris causa au Dr Mukwege. L’ULiège a établi depuis 2014 une étroite collaboration entre l’équipe de psychologues de l’hôpital de Panzi et celle du Centre d’Expertise en Psychotraumatismes et Psychologie légale (chercheurs et étudiants) ainsi qu’avec le CHU de Liège et l’asbl Les Enfants de Panzi. En mai 2018, en concertation avec le Dr Denis Mukwege, l’Université de Liège a décidé la création d’une Chaire internationale sur « La violence faite aux femmes et aux filles dans les conflits », en abrégé « Chaire Mukwege ». Cette démarche initiée par le professeur émérite (ULiège) Véronique De Keyser vise à développer les recherches interdisciplinaires dans le domaine des violences sexuelles à l’égard des femmes et à fédérer sur cette thématique les connaissances de différents partenaires et universités dans le monde.
Victime de Daesh
A 25 ans, Nadia Murad a survécu aux pires heures traversées par les yézidis d’Irak persécutés par les djihadistes, jusqu’à en devenir une porte-parole respectée de sa communauté. Nadia Murad a passé 11 mois aux mains de Daesh, à Mossoul, en Iraq. Comme de nombreuses femmes yézidies, elle a été réduite en esclavage sexuel, avant de pouvoir s'échapper et trouver refuge en Allemagne, où elle vit toujours. Après avoir pris le contrôle de Kocho, le village de Nadia Murad, les djihadistes ont tué des hommes, transformé en enfants-soldats les plus jeunes et condamné des milliers de femmes aux travaux forcés et à l’esclavage sexuel. Nadia a vu périr sos ses yeux la plupart des membres de sa famille. Son histoire, elle a décidé de la raconter dans un livre autobiographique ("Pour que je sois la dernière", Fayard, 2018) et confie : "les mains qui vous touchent, ce sont les mêmes qui ont tué vos frères, votre mère." Pour son courage et sa force de témoigner, Nadia Murad a reçu avec son amie Lamia Haji Bachar, en 2016 le prix Sakharov du Parlement européen mais elle n’a de cesse de répéter que plus de 3 000 yézidies sont toujours portées disparues, probablement encore captives. Elle poursuit donc son combat pour la cause yézidie depuis l’Europe et bénéficie du soutien de l’avocate et militante des droits de l’homme libano-britannique Amal Clooney. La jeune femme yézidie milite surtout pour que les persécutions commises par les djihadistes en Irak en 2014 contre la minorité kurdophone soient considérées comme un génocide.
Les autres lauréats de la semaine
Lundi, le Nobel de médecine est allé à l'Américain James P. Allison et au Japonais Tasuku Honjo pour leurs découvertes ayant permis de faire avancer la connaissance dans le traitement du cancer.
Mardi, le Nobel de physique a été attribué pour une moitié à l'Américain Arthur Ashkin et pour l'autre moitié au Français Gérard Mourou et à la Canadienne Donna Strickland pour leurs travaux sur les lasers et l'optique.
Mercredi, le Nobel de chimie a été attribué pour une moitié à l'Américaine Frances H. Arnold et pour l'autre moitié à l'Américain George P. Smith et au Britannique Gregory P. Winter pour leurs recherches sur la production d'enzymes à l'aide de l'évolution dirigée.
Le prix Nobel de Littérature ne sera pas décerné cette année.
S.D.