Je n’ai plus envie de faire des homélies. Tenter de rendre actuelle une expérience vécue, il y a très longtemps, par d’autres, est-ce possible? Est-ce utile? Est-ce honnête?
Quand je compare ce que disent les curés, un même dimanche, quand je relis mes commentaires d’évangiles des années antérieures, je suis sidéré: chacun actualise le texte en fonction de ses lectures récentes; chacun interprète selon ses états d’âme. Moi aussi. Finalement, les évangiles, c’est de la plasticine que nous modelons selon nos goûts. Selon… Toujours selon…
Pierre, André et les autres ont certainement vécu une expérience extraordinaire. Elle m’est rapportée aujourd’hui. Non pas comme une merveilleuse histoire qui n’arrive qu’aux autres, mais comme une invitation pressante à recommencer, à risquer à mon tour une mise totale sur Jésus. L’Evangile (avec un grand E) arrive ainsi jusqu’à moi comme un appel au bonheur. Il est une saveur, une eau rafraîchissante, un dynamisme, une lumière capable de révéler à mes gestes les plus quotidiens une dimension toute divine. Tant bien que mal, les évangiles (avec un petit e) ont raconté comment les premiers compagnons de Jésus avaient réagi, il y a 2.000 ans, à cette mise à feu. Tant bien que mal, avec des images, des exagérations, des mots qu’on n’arrive plus à traduire, des circonstances ultra-particulières! Tellement particulières que pour les comprendre quelque peu, il faudrait que je devienne Juif, sous l’occupation romaine, face aux grands-prêtres d’une religion sclérosée. Ou alors, il faudrait qu’on m’explique – est-ce Dieu possible! – une situation qui n’existe plus, une culture terminée, une géographie, un vocabulaire.
J’y renonce! Pas tellement pour laisser ce travail à des spécialistes mais parce que je ne sais pas si la piste est bonne.
Et d’ailleurs, si Jésus revenait, s’acharnerait-Il à reproduire littéralement ce qui avait fait jadis sa vie? Et la marche sur les eaux? Et Cana? Et les 2.000 cochons expédiés dans la mer? Est-ce important tout cela?
Ce qui me passionne, c’est tout autre chose: c’est l’expérience de foi que chacun doit faire maintenant avec Jésus. Aussi intense que celle des Douze mais tout autre. Une expérience neuve, vécue au présent (c’est aujourd’hui), au pluriel (tous ensemble), à l’impératif (parce qu’il y a urgence). Une expérience qui, mise sur papier, ferait aussi un évangile et me donnerait la clef pour comprendre tous les évangiles du monde. Car tout n’a pas été dit: « Celui qui me suit fera des merveilles plus étonnantes que les miennes », dit Jésus.
Quelques thèmes musicaux essentiels ont été pieusement recueillis; il nous reste à les danser, à les chanter avec nos voix, nos goûts, nos rythmes, nos inventions (comme disaient si joliment les musiciens).
Alors… si nous nous y mettions! Sans doute écouterait-on nos trouvailles avec bien plus de joie qu’on n’accueille aujourd’hui les besogneuses redites, aux relents archéologiques de nos homélies.
Tous les chrétiens ne doivent pas être des biblistes. Pas plus que des théologiens, d’ailleurs. Mais ils doivent être des vivants qui donnent envie de chanter, des sources qui cascadent joyeusement dans les cailloux, une pâte qui lève dans le pétrin du monde.
Faire des homélies? NON!
Etre des homélies? OUI!
Père Loup