
A chacun son style d’assise (c) Sophie Delhalle
Cette rentrée scolaire ressemblera sans nul doute à toutes les autres … à ceci près que, pour certains enfants, désormais, la classe se déroulera en mode « flexible ». Les élèves pourront choisir de s’installer selon leur préférence afin de réaliser les exercices distribués par l’enseignant. Début de l’anarchie? Pas du tout. Ce serait même plutôt le contraire.
Avant les grandes vacances, nous sommes allés rendre visite à la classe de 2e et 3e maternelles de madame Isabelle. Depuis un an déjà, cette enseignante débordante d’énergie a opéré un virage radical dans l’organisation de sa classe. Elle a adopté une tendance venue d’outre-atlantique qui s’appelle en anglais le « flexible seating ». Cette pratique consiste à prévoir différents types d’assise pour favoriser les apprentissages en partant du principe que si l’enfant est installé dans une position confortable pour lui, il assimilera mieux la matière et les savoirs. Et ça marche, d’après madame Isabelle, convaincue par cette méthode qu’elle combine avec les « octofun » (intelligences multiples) et la gestion des émotions.

Des enfants très concentrés. (c) Sophie Delhalle
Un succès grandissant
« Il s’agit d’offrir aux enfants le plus grand nombre possible de positions de travail différentes : ballons, élastiques sous les chaises, places assises, debouts ou couchées, fauteuils, chaises, tabourets, … L’important est que l’enfant se sente physiquement et donc psychologiquement le mieux possible pour aborder son travail. » nous explique Isabelle. Les débuts furent d’ailleurs très prometteurs. « J’avais introduit quelques ballons dans ma classe de 2ème et 3ème maternelles, mais les enfants se les disputaient. Puis j’ai découvert presque par hasard des articles sur le « flexible seating » et j’ai intégré un groupe Facebook québécois sur le sujet. » De nombreux enseignants belges s’y trouvaient d’ailleurs également, l’une d’entre eux a même décidé d’ouvrir un groupe identique pour la Belgique. Ils sont aujourd’hui 3609 enseignants (essentiellement du maternelle et du primaire) à avoir rejoint ce groupe fermé où ils échangent sur leurs pratiques/envies de classe flexible. Et à en juger par les photos publiées, ils seront donc très nombreux à expérimenter le « flexible setting » avec leur classe dès cette rentrée. Avec la possibilité de démarrer en douceur quand la flexibilité est réservée à certains moments de la journée (classe semi-flexible).
Une atmosphère studieuse

Un, deux, trois, … (c) Sophie Delhalle
En fait, contrairement aux idées reçues, le fait d’accorder plus de mobilité aux élèves dans une classe ne produit pas plus de bruit ou de désordre mais permet finalement d’autoréguler les comportements. L’enfant que l’on autorise à occuper la place qui lui paraît la plus confortable pour apprendre va être plus concentré sur la tache à accomplir et produira un meilleur travail. D’un exercice à l’autre, l’enfant peut même adopter différentes positions (debout, assis sur un ballon, à genoux,…) mais peut bien entendu aussi rester assis sur sa chaise s’il le souhaite. Libre à chaque élève de tester ses propres sensations et de s’installer là où il se sent le mieux pour réaliser ce qui lui est demandé. Cette organisation libre du travail n’engendre donc pas plus de « brouhaha » dans la classe comme nous avons pu le constater nous-même.
Vivre et apprendre ensemble

Expérience menée par l’ULiège: l’enfant reçoit un bracelet quand il adopte un bon comportement ; il peut décider de le garder pour lui ou de l’attribuer à la classe afin d’obtenir un privilège pour l’ensemble des élèves. (c) Sophie Delhalle
La classe flexible s’accompagne bien entendu de règles de vie, comme dans toute autre classe; l’enseignante invite les élèves à se déplacer pour l’interpeller, le son de la voix doit être modulé pour permettre à chacun de se concentrer, l’élève peut, dès qu’il a terminé son travail, choisir une activité dans les différentes zones prévues dans la classe. Des règles de savoir-vivre indispensable et dont les enfants ont compris l’importance dans la classe de madame Isabelle. Nous avons d’ailleurs interrogé les principaux intéressés sur l’organisation de leur classe flexible. Ils sont tous très contents de la nouvelle classe de madame Isabelle. La moitié des enfants s’est prononcée en faveur de l’assise classique, tandis que l’autre moitié préfère les ballons. Quelques-uns ont même marqué leur préférence pour la station debout ou à genoux. Nous pensons que la gestion des émotions mise en place par l’institutrice aide également beaucoup à la création d’une atmosphère propice aux apprentissages. Madame Isabelle est à l’écoute de que ces élèves ressentent et les aident à trouver par eux-mêmes une solution pour relâcher la tension et retrouver un esprit apaisé pour envisager à nouveau les apprentissages. Et cela fonctionne ! Sur ce plan, l’institutrice est comblée : « J’ai beaucoup moins de problèmes de discipline depuis que j’ai intégré les émotions dans ma classe. Les enfants ne se bagarrent plus. » D’ailleurs, la directrice de l’école a tout de suite accepté le projet. « Les parents ont vite compris les bénéfices de ce type de pédagogie. Le reste de l’équipe pédagogique n’a pas encore adopté ce genre de pratique. » Mais comme nous l’avons également constaté de visu, d’autres pratiques telles que les intelligences multiples ont été introduites dans les espaces communs (cour de récréation), l’école est également engagée dans un projet de recherche de l’ULiège sur le « Soutien aux Comportements Positifs » donc « l’école bouge », se réjouit notre institutrice. Ce n’est malheureusement pas le cas partout, comme nous l’ont confié d’autres enseignants, en proie à de fortes résistances que ce soit dans le chef de leur direction, de leurs collègues ou des parents.
Satisfaire les besoins fondamentaux
Et nous laisserons le mot de la fin à madame Isabelle: « Les enfants sont bien dans leur peau, épanouis, ils travaillent à leur rythme et dans la position dans laquelle ils sont le plus à l’aise. J’avoue que je n’ai jamais eu des enfants aussi avancés en termes de compétences dans tous les domaines. Mais pour moi, mes méthodes de travail forment un tout qui pourrait se résumer simplement : le respect des besoins de l’enfant. Les neurosciences nous l’ont appris, un enfant dont les besoins fondamentaux (et bouger en fait partie) ne sont pas satisfaits est incapable d’apprendre. »
Merci à madame Isabelle et à ses petits élèves de l’école de la FWB de Herve. Nous leur souhaitons une bonne rentrée … flexible!
Sophie Delhalle