Même s’il a fait durer le suspense jusqu’au dernier moment, le président de la République Démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila (photo) ne briguera pas un troisième mandat à la tête de l’Etat, puisque la Constitution le lui interdit. Mais son « dauphin » est controversé.
Il n’y aura pas de scénario à la « burundaise » en RDC. Il avait promis de respecter la Constitution, ce qui avait fait sourire beaucoup de confrères qui n’en croyait pas un mot. Et pourtant, même si le suspense a duré jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire à quelques heures de la fin du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle prévue le 23 décembre prochain, c’est finalement le secrétaire permanent du parti présidentiel, le PPRD (Parti pour la Reconstruction et le Développement), Emmanuel Ramazani Shadary, qui a été désigné pour se présenter au scrutin présidentiel au nom du Front Commun pour le Congo (FCC), une plate-forme qui regroupe les partis de la majorité présidentielle actuelle.
Homme providentiel?
Sans pouvoir tirer de conclusions hâtives de cette décision, il y a d’abord lieu de remarquer que le président sortant a respecté la Constitution et sa parole, comme il l’avait annoncé – de manière toutefois sibylline – devant la Chambre des députés et le Sénat réunis en Congrès le 19 juillet dernier.
Reste maintenant à savoir si le « dauphin » désigné et donc candidat de la majorité, est véritablement l’homme providentiel et du changement. Ancien ministre de l’Intérieur, il a « permuté » sa fonction en février dernier avec Henri Mova Sakanyi, ancien ambassadeur de la RDC en Belgique, qui a repris les rênes du ministère alors qu’il était le secrétaire général du PPRD. Mais, Emmanuel Ramazani était en poste au moment des marches pacifiques organisées par le Comité Laïc de Coordination (CLC) en décembre 2017, pour demander le départ du président Kabila et le respect intégral des Accords dits de la Saint-Sylvestre, conclus en décembre 2016 sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui n’a pas ménagé ses efforts pour mettre autour de la table la majorité et l’opposition. Or, ces marches ont été violemment réprimées, provoquant de nombreux blessés et des morts. A plusieurs reprises, les évêques congolais avaient dénoncé cette situation, parlant d’une répression inadmissible face à des chrétiens dont les seules armes étaient la Bible et des feuilles de palmiers.
Pour cette raison, notamment, Emmanuel Ramazani a été placé sur la liste noire des sanctions de l’Union européenne (UE), visant une quinzaine de dignitaires congolais pour entrave au processus électoral. S’il est élu à la magistrature suprême, que se passera-t-il?
Candidat unique de l’opposition?
Ceci dit, le candidat de la majorité n’est pas le seul à traîner quelques « casseroles ». Jean-Pierre Bemba, qui a passé dix ans dans les geôles de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité, avant d’être acquitté à la surprise générale, est toujours sous le coup d’une condamnation de la même CPI pour subornation de témoins; condamnation contre laquelle il a fait appel et qui devrait être jugée en octobre prochain.
Autre incertitude: l’opposition parviendra-t-elle à se mettre d’accord sur une candidature unique? Pas sûr, tant les ego sont grands entre Bemba, Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe et Moïse Katumbi qui ne pourra pas être candidat, ayant été interdit de rentrer au pays, ce qu’ont dénoncé les évêques congolais. Aux côtés de ces candidats, on retrouve aussi l’ancien ministre Tryphon Kin-Kiey Mulumba, dernier porte-parole du président Mobutu, avant de se joindre à Kabila père et ensuite à l’actuel président dont il fut deux fois le ministre. Pourtant membre de la majorité présidentielle, sa candidature surprise a entraîné une série de démissions au sein de sa propre formation politique. Il se présente donc sous une étiquette indépendante. Au total, neuf candidats – dont une femme – se présentent pour le scrutin présidentiel, sauf si l’opposition se met d’accord sur une candidature unique.
La CENCO se réjouit, mais met en garde
Dans un communiqué publié le 7 août, la CENCO a tenu à féliciter la Commission électorale nationale indépendante (CENI), ainsi que les autorités du pays et les acteurs politiques « pour les efforts fournis jusqu’à ce niveau ». « Elle souhaite que le processus électoral se poursuive en conformité avec la Constitution et l’Accord de la Saint-Sylvestre et soit ouvert à tous les candidats qui en remplissent les conditions et se clôture dans la paix », ajoutent Mgr Marcel Utembi, archevêque de Kisangani et président de la Conférence épiscopale, et Mgr Fridolin Ambongo, archevêque coadjuteur de Kinshasa et vice-président. Nénmnoins, les évêques congolais se disent « vivement préoccupée par la volonté affichée par ceux qui sont au pouvoir d’exclure certains candidats à la présidence de la République. A ce propos, la CENCO est très peinée par le sort inacceptable réservé à Monsieur Moïse Katumbi, sujet congolais, à qui les autorités refusent l’entrée dans notre pays, en l’obligeant de rester à l’étranger. » N’hésitant pas à parler de « ségrégation », la CENCO « exhorte vivement les autorités congolaises à revenir sur leur décision en laissant notre compatriote Moïse Katumbi entrer au pays et déposer sa candidature comme tous les autres candidats. Nous estimons que la vraie bataille, pour l’instant, doit être électorale, dans le respect des droits de tous et de chaque individu, dans la paix et l’égalité des chances. La crédibilité des scrutins est à ce prix », poursuit le communiqué, qui rappelle que c’est à la CENI qu’il revient de statuer sur la validité ou non d’une candidature. « Maintenir une telle décision est un grand recul pour la démocratie. »
La CENI et son président sortent évidemment grandis de cette période pré-électorale, même si certains contestent encore une partie du fichier électoral et surtout la fameuse « machine à voter », dont 35.000 exemplaires ont quitté la Corée du Sud pour rejoindre la RDC. Des machines qui sont déjà prêtes pour les élections du 23 décembre 2018.
Corneille Nangaa, président de la CENI, a réussi son pari de maintenir le calendrier électoral. Et si les trois scrutins (présidentiel, législatif et provincial) se tiennent à la fin de l’année, c’est la première fois dans l’histoire de la République du Congo qu’une alternance à la tête de cette vaste république se fera démocratiquement. On ne peut que s’en réjouir, surtout pour le peuple congolais.
Jean-Jacques Durré