Comme à son habitude, dans l’avion qui le ramenait à Rome dimanche 26 aout, après deux jours de rencontres et de célébrations en Irlande pour les Rencontres Mondiales des Familles, le pape a répondu aux questions des journalistes. Il est revenu sur la question des abus sexuels dans l’Eglise, celle des migrants mais aussi sur l’avortement et l’homosexualité.
Les propos du pape sur ce dernier sujet ont inspiré bon nombre de plumes ce matin. Tempête dans un verre d’eau? Ils sont en effet déjà nombreux à vouloir mettre l’accent sur un point en particulier, et, pour certains, à déformer les propos du pape interrogé sur ce qu’il conseillerait à un père qui découvrirait l’homosexualité de son enfant.
Se faire sa propre opinion
Or, la conférence de presse tenue dans l’avion du retour portait sur bien d’autres sujets que nos confrères ne semblent pas juger aussi intéressants. Les journalistes ayant suivi le pape lors de ce 24e voyage apostolique sont notamment revenus sur l’actualité brûlante des abus sexuels. Lors de ce son séjour, le pape a effectivement rencontré des victimes et leur a consacré une partie de son agenda. Il n’évacue donc aucunement la question, y fait face, même si cela, comme il le dit lui-même, est une souffrance. Il ne lui est pas agréable d’entendre ce que certains membres de l’Eglise ont pu commettre par le passé mais il faut pouvoir l’entendre et agir, comme il l’a écrit dans sa récente « Lettre au peuple de Dieu ». Une journaliste américaine de la chaine CBS souhaitait particulièrement l’entendre sur l’affaire McCarrick qui vient de rebondir suite aux révélations d’un ancien nonce aux Etats-Unis. Ce dernier aurait informé le pape des agissements du cardinal américain dès 2013, cardinal qui avait d’ailleurs été sanctionné par Benoit XVI. Le pape aurait ignoré ses informations et aurait même fait de Mc Carrick son « homme de confiance ». L’adage ne dit-il pas que l’on est souvent noirci par plus noir que soi? En effet, sans connaître tous les tenants et aboutissants, nous pouvons cependant relayer nos confrères du journal La Croix. D’après leur correspondant Nicolas Senèze, Mgr Vigano, qui porte donc les accusations, est retraité depuis 2016, s’était rallié aux « dubia », c’est-à-dire les doutes de quatre cardinaux sur la doctrine exprimée par l’exhortation apostolique Amoris laetitia et, enfin, est lui-même soupçonné aux États-Unis d’avoir obligé le diocèse de Saint-Paul Minneapolis à enterrer une enquête pour attouchements sur mineurs à l’encontre de son archevêque, Mgr John Nienstedt. Lors de la conférence de presse, le pape n’a donc pas souhaité en dire plus et a invité les journalistes à se faire leur propre opinion après lecture du communiqué (« qui parle de lui-même ») publié simultanément aux Etats-Unis et en Italie, samedi 25 août. Il dit attendre le travail des journalistes et leurs conclusions pour répondre aux éventuelles questions. « Etudiez, et ensuite, je vous répondrai », a répondu le pape à la journaliste insistante. « Et j’attends votre commentaire sur ce document. »
A chacun ses torts
Le pape François a également pris le temps de rappeler les procédures judiciaires actuellement en cours contre des évêques en matière d’abus sexuels et l’existence de plusieurs tribunaux, formés spécialement pour chaque dossier. Il a expliqué prendre parfois lui-même en charge certaines affaires, comme cela lui est autorisé dans le droit canonique, et a reconnu que pour certains cas, les preuves sont claires.
Pour clôturer l’échange, il a expliqué avoir proposé au groupe de victimes qu’il a rencontrées de demander pardon pour des faits concrets lors de la messe célébrée au Phoenix Park, ce qu’elles ont accepté et qui a été fait. Parmi celles-ci, se trouvait Marie Collins, victime irlandaise d’abus sexuels et membre fondatrice de la Commission pontificale pour la protection des mineurs dont elle a démissionné en mars 2017, face aux résistances rencontrées à l’époque au sein même du Vatican. Le pape a aussi déclaré que le fait pour un enfant ou une mère de vouloir retrouver sa mère/son enfant après avoir été injustement séparés par une institution religieuse n’était pas un péché mortel, comme cela leur a été martelé pendant des années. « C’était douloureux », a affirmé le pape, mais il repart « avec la consolation [d’avoir pu] aider à éclairer ces choses-là. »
Enfin, concernant la question de la journaliste française du journal Le Monde sur le « cas Barbarin » et la pétition qui circule en France pour réclamer sa démission, le pape a dit ne pas voir « quelque chose de méchant dans le fait d’enquêter » mais a surtout rappelé le tort que peuvent causer les journalistes lorsqu’ils condamnent des suspects avant même que la justice ne le fasse. Il demande donc à la presse de respecter le principe de « présomption d’innocence. »
Pour un « accueillir raisonnable »
Une journaliste italienne a souhaité entendre le pape sur l’actualité des migrants et plus particulièrement sur le cas du navire « Diciotti », qui a accosté à Catane après de longues négociations. Le pape confesse ne pas être personnellement intervenu dans cette affaire mais souligne le travail du courageux père Aldo et de la conférence épiscopale italienne. Le cardinal Bassetti, présent en Irlande, a suivi de près l’évolution de la situation et l’un de ses secrétaires, le père Maffeis, a négocié avec les autorités italiennes. Une centaine de migrants ont ainsi pu être pris en charge par la conférence.
« La question des migrants est une chose aussi vieille que la Bible. Et Dieu nous commande d’accueillir le migrant, l’étranger « , a notamment dit le pape. Mais ce à quoi il faut parvenir, « c’est un accueillir raisonnable et cela concerne toute l’Europe« . Le pape dt avoir pris conscience de la manière dont il fallait aborder la question migratoire avec l’attentat de Zaventem, perpétré par des terroristes, jeunes Belges, fils de migrants, non intégrés, ghettoïsés. Il parle ensuite de la Suède, modèle en matière d’accueil mais qui connait aujourd’hui aussi des difficultés par manque de moyens. Pour François, l’intégration est réussie quand les migrants sont pris en charge dès leur arrivée, apprennent la langue, sont scolarisés, travaillent. Mais certains pays n’ont pas les moyens comme d’autres de le faire. Il évoque aussi la vertu de la prudence, qui est celle du gouvernant, sur le nombre et les possibilités de l’accueil. Le dialogue reste souverain et doit permettre à l’Union européenne de trouver des solutions. L’intégration est donc la condition pour accueillir mais le pape termine en nous alertant sur ce qui arrive aux migrants refoulés vers leur pays d’origine et repris par les trafiquants. « Les femmes, les enfants, ils les vendent, les hommes, ils leur font subir les tortures les plus sophistiquées. » Avant de renvoyer, il faut donc « bien penser ».
Un problème anthropologique
Le pape est clair sur ce point : le problème de l’avortement n’est pas un problème religieux. « Nous ne sommes pas contre l’avortement à cause de la religion. » C’est un problème humain qui doit être abordé dans une approche anthropologique. Car il s’agit de débattre de l’éthique d’éliminer un être vivant pour résoudre une difficulté. Et de s’insurger contre ceux qui veulent aborder la question de l’avortement d’abord comme une question religieuse.
Accueillir l’homosexualité
Le pape admet qu’il y a toujours eu des homosexuels et des personnes à tendances homosexuelles. Il invite les parents à « Prier, ne pas condamner, dialoguer, comprendre, donner une place au fils ou à la fille, donner une place pour qu’il s’exprime. » Le pape dit aussi qu’il est important de savoir à quel âge se manifeste cette tendance. S’il s’avère que cette tendance apparaît dès l’enfance, « Il y a beaucoup de choses à faire par le biais de la psychiatrie pour voir comment sont les choses « . Telle est in extenso la phrase prononcée par le pape François. Bien loin des déformations fantasmatiques de certains. Ce que nous reprochons surtout à nos collègues, c’est de s’être focalisés sur une seule phrase et d’avoir évacué tout ce que le Saint Père explique par la suite … qui est très fort et engagé! Pour François, le silence n’est pas un remède. « Ignorer son fils ou sa fille qui a des tendances homosexuelles est un défaut de paternité ou de maternité. Tu es mon fils. Tu es ma fille. Tel que tu es. » Et d’insister encore une fois sur la nécessité du dialogue et la notion d’accueil au sein de la famille. « Parce que ce fils ou cette fille a droit à une famille. C’est un défi sérieux qui relève de la paternité et de la maternité. » Et de remercier, avec un grand sourire, le journaliste pour cette question.
Invité ce matin sur les ondes du service public, Tommy Scholtès, porte-parole des évêques de Belgique, a estimé que le pape François a voulu exprimer l’idée de « vérifier simplement et avoir un accompagnement, il faut aider un enfant à se situer, aider les parents à entrer dans une situation, à la comprendre, la psychiatrie et la psychologie sont des manières d’accompagner la réflexion des personnes concernées. On ne reste pas seul dans des inquiétudes ou des jugements. » Aujourd’hui, l’Eglise sait que l’homosexualité ne relève pas de troubles psychiatriques mais de la nature d’une personne, a aussi affirmé le porte-parole des évêques.
Et nous aimerions clôturer cet article en dénonçant haut et fort, et en cela nous ne faisons que répercuter ce que disent les psychiatres eux-mêmes, donc de dénoncer le fait de lier les affaires de pédophilie dans l’Eglise (et ailleurs) et l’homosexualité, comme le font régulièrement certains humoristes et pas qu’eux malheureusement ! L’une et l’autre sont deux choses distinctes et vouloir constamment faire le lien entre les deux est nuisible et malhonnête. En atteste le flux de commentaires haineux et insultants sur les réseaux sociaux déclenchés par cette pseudo-polémique.
Sophie Delhalle