
Montagnes du Simiens (c) Corentin Laurent
L’Ethiopie et l’Erythrée ont mis fin à vingt ans de conflit. Les deux voisins se sont mis d’accord pour renouer leurs relations diplomatiques et ouvrir leurs frontières. Samedi 14 juillet, le président érythréen Isaias Afwerki s’est rendu à Addis Abeba avec une délégation; une visite présentée comme historique. Les catholiques d’Erythrée souhaitent accompagner spirituellement ce nouveau climat de détente.
Ainsi, depuis le 8 juillet et jusqu’au 6 août prochain, l’Eglise érythréenne a invité tous les fidèles du pays à prier pour l’instauration d’une paix réelle et durable.
Dans une lettre apostolique, signée le 3 juillet dernier, l’archevêque métropolite d’Asmara, Mgr Menghesteab Tesfamariam souligne qu’il «faut avant tout remercier Dieu et tous ceux qui s’engagent comme artisans de paix», mais qu’une prière constante pour la paix est nécessaire. L’archevêque explique ainsi que les responsables catholiques du pays ont décidé de ce mois d’intercession: depuis le 8 juillet, des temps de prière sont ainsi organisés dans toutes les paroisses, églises, chapelles et monastères du pays.
Afin que cette période soit fructueuse, l’archevêque exhorte les pasteurs à aménager des temps pour méditer sur la justice, la paix et la réconciliation. Des réflexions qui, précise-t-il doivent être nourries de la Parole de Dieu et de l’enseignement de la doctrine sociale de l’Eglise.
Depuis l’annonce, le 8 juillet, de la reprise de leurs relations diplomatiques, les deux frères ennemis de la Corne de l’Afrique ne cessent de multiplier les gestes de rapprochement et d’apaisement: le 16 juillet, le président érythréen Issaias Afeworki a rouvert son ambassade à Addis, le 18 juillet, un avion de la compagnie Ethiopian Airlines avait relié Addis Abeda à Asmara, capitale de l’Érythrée, le lendemain, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a nommé un ambassadeur en Érythrée.
L’accord conclut entre l’Éthiopie et l’Érythrée a donc déjà produit ses effets comme cette reprise des communications et des liaisons aériennes. Les retombées économiques sont très attendues par les populations de ces deux pays. Ce processus de réconciliation pourrait en effet offrir une embellie économique aux deux pays. L’accès à la mer par l’Érythrée est en effet crucial pour l’Éthiopie, pays enclavé.

Harar, dans l’est de l’Ethiopie (c) Corentin Laurent
Témoignage : l’Ethiopie hors-circuit
Nous avons pris rendez-vous avec Corentin Laurent, dont nous vous avions déjà évoqué en mars dernier l’exposition de photos sur Jérusalem. Comme prévu, il a donc repris son sac à dos pour se rendre en Ethiopie. Il y a séjourné pendant un mois, traversant quatre des neuf régions du pays.
« Quand je suis parti, je ne savais pas où j’allais. » Un véritable aventurier, ce Corentin, qui privilégie les circuits hors sentiers battus, pour aller à la rencontre des locaux. Notre photographe amateur s’est d’abord rendu à Awra-Amba, seul village communautaire où l’on prône l’égalité homme/femme. Ce peuple est régi par des dirigeants « neutres » et les règles de vie ne peuvent aucunement reposer sur des prescrits religieux. La liberté religieuse est respectée mais toute considération religieuse ne peut interférer dans la gestion commune du village. Le principe d’humanité est ainsi élevé au dessus de celui de religion.
Même s’il a fait beaucoup de rencontres et s’il a pu admirer des paysages magnifiques, Corentin garde un souvenir mitigé de ce dernier voyage : « Etre touriste blanc en Afrique reste compliqué car on essaie souvent de vous extorquer de l’argent et cela empêche de nouer des relations saines avec les locaux. En Ethiopie, voyager seul et hors circuit touristique est aussi très difficile. » Corentin peut se dire satisfait de son périple mais ne retournera pas de si tôt dans ce pays. Certaines zones sont d’ailleurs interdites aux touristes ou nécessitent d’être accompagné d’un guide armé. Certaines peuplades comme les Afar ont conservé un esprit très guerrier et territorial; ils s’attaquent donc aux touristes audacieux qui s’aventurent sur leurs terres. « Chez ce peuple, il y a une prolifération d’armes importante. J’ai d’ailleurs cru comprendre que la dot pour un mariage était une arme. Les jeunes garçons de 15 ans en paraissent trente de plus. »

Eglise Saint-Georges, Lalibela (c) Corentin Laurent
Corentin ne pouvait pas prendre de photo des bâtiments publics et/ou militaires, des camps de réfugiés,… Mais il les a vus et peut nous les décrire: « Je suis passé en taxi le long d’un camp de réfugiés érythréens de l’ONU, dans le Nord de l’Ethiopie. C’est comme un village au milieu du désert. Le discours officiel est que les réfugiés sont libres de quitte le camp et de se déplacer. Je ne sais pas dire si cela est vrai. Ce qui m’a marqué, c’est la file de femmes et d’enfants pour se servir à l’unique point d’eau du camp. Pour les avoir vu aussi, ce camp est très différent des camps installés en Jordanie. »
D’après Corentin, l’identité éthiopienne existe mais les revendications/particularités régionales restent fortes. L’Ethiopie compte neuf régions et près de 90 dialectes, l’amharique (langue sémitique) étant la langue nationale. Les chrétiens orthodoxes sont majoritaires, riches de leur histoire et de leur patrimoine. Comme à Lalibela, un village très chrétien où les églises – une dizaine – sont taillées dans la roche. Ces grottes sont encore très fréquentées par les chrétiens orthodoxes, leur accès étant payant pour les touristes.
Corentin a également visité Harar, la quatrième ville sainte pour les musulmans. Près d’une centaine de mosquées sont réparties dans la ville où la population se montre très accueillante. « Cette ville ressemble fort à Jérusalem avec ses innombrables petites ruelles et ses maisons de toutes les couleurs. » Pour notre voyageur, la cohabitation entre musulmans et chrétiens se passe bien. Il arrive qu’une église soit même « collée » à une mosquée.
« Mon but n’est pas de dresser un portrait sombre de l’Ethiopie, mais de montrer une réalité sombre de ce pays, qui, ne nous le cachons pas, est une dictature. Pourtant, il y a énormément de touristes. Je ne m’attendais pas à en voir autant. Certains Éthiopiens se sont confiés à moi. Ils se sentent libres malgré tout. Ils voient que les choses évoluent mais le contrôle sur la presse et l’internet est évident, la présence armée bien réelle. »
Sophie Delhalle