Le CCNE (comité consultatif national d’éthique) vient de rendre public son rapport de synthèse des débats menés dans le cadre des Etats Généraux de la bioéthique. Sans grande surprise, le rapport reflète les divergences mais révèle néanmoins un socle de valeurs partagées par les Français, notamment sur la fin de vie.
Sur la chaîne de télévision française ARTE, le président de la CCNE, Jean-François Delfraissy, était l’un des invités du 28 minutes pour débattre du rapport de synthèse rendu public le jour même de l’émission, mardi 5 juin. Il précise tout d’abord que ce rapport n’a pas pour ambition d’exposer les positions mais bien les arguments concernant les questions de bioéthique en vue d’une modification future de la législation française. Le débat télévisuel portait plus particulièrement sur l’extension de la PMA (procréation médicalement assistée) qui n’est autorisée en France que pour les couples hétérosexuels. D’autres pays, comme l’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas, ont déjà étendu ce droit aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Les Françaises voulant recourir à la PMA doivent donc se rendre à l’étranger. Sur les ondes de RCF, Pierre-Henri Duée, membre du CCNE, a pour sa part confié que les Français trouvent « qu’on meurt mal en France, que la loi Claeys-Leonetti n’est pas suffisamment appliquée ». Mais de souligner aussi la présence d’un fil conducteur positif: le souci de l’autre et la volonté d’être solidaire avec les plus vulnérables.
Pour ou contre
A l’heure où 60% des Français se sont exprimés en faveur de l’extension de la PMA, les catholiques tiennent à rappeler certains fondements essentiels à leurs yeux comme la famille et le droit au père. C’est Tugdual Dervil, délégué général d’Alliance Vita, qui occupe le devant de la scène pour défendre le droit de l’enfant à avoir un père. « Avoir un père et une mère sont deux réalités complémentaires. Le déficit de père est une source de souffrance. Peut-on vouloir programmer des enfants sans père alors qu’il y a déjà tant de souffrance dans les familles monoparentales soutenues par des femmes seules ? », a-t-il notamment déclaré.
Interrogé, début mai, sur France Inter, l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, était longuement revenu sur la révision des lois de bioéthique, et en particulier sur l’enjeu de l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. Selon l’archevêque de Paris, la PMA placerait les enfants dans des situations dont ils seraient les « victimes ». Néanmoins, il faut faire la différence entre les enfants vivant dans des familles monoparentales et ceux qui seraient issus de PMA : « Là, on crée quelque chose. On crée une situation », a-t-il insisté.
Le CCNE reconnait d’ailleurs la participation constructive de l’Eglise catholique qui a notamment permis la tenue de débats dans les villages plus reculés et que ces initiatives ont bien complété la dynamique de démocratie sanitaire mise en route avec les Etats Généraux. Le Comité regrette cependant le manque d’investissement des autres cultes.
Selon un sondage publié le 24 mai par le Quotidien du Médecin, près de la moitié des médecins français sont opposés à l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Ainsi, 45 % des médecins sont opposés à l’accès de la PMA aux couples de femmes, contre 44 % qui y sont favorables. Ils sont 48 % à s’opposer à l’extension de la PMA aux femmes seules. Dans l’ensemble, 65 % des médecins estiment que la législation française actuelle en matière de bioéthique est « équilibrée », tandis que 27 % la jugent « trop restrictive ». Une petite minorité, 7 %, la juge au contraire « trop permissive ».
Absence d’unanimité
Le 23 mai dernier, Emmanuel Macron recevait une vingtaine de personnes, médecins et experts, pour débattre du sujet. Ont notamment pris la parole lors de ce dîner – organisé dans la plus grande discrétion – le président de l’association des familles homoparentales (ADFH), Alexandre Urwicz, et une adhérente d’« IciMamaSolo », qui rassemble des femmes seules ayant eu recours à la PMA. Cette dernière a exposé sa démarche, qui l’avait conduite à l’étranger pour être inséminée. Tugdual Dervil était également présent. Lors de cette rencontre, Macron aurait conclu que « nous étions désormais au carrefour des possibles, ouvert par la technologie, et que nous pouvions désormais introduire dans la loi quelques-uns de ces possibles. » Le président français observe donc une grande réserve sur la PMA : il consulte mais ne s’exprime pas. Or, pour rappel, il avait fait de l’extension de la PMA l’un de ses arguments forts de campagne. De plus, la majorité LREM apparait divisée sur la question. Ce que craignent aussi certains députés comme Laurent Wauquiez (LR), c’est d’assister à un glissement de la PMA vers la GPA (grossesse pour autrui). Démagogie, dénoncent les représentants des LGBT, puisque la GPA est interdite dans tous les cas. Emmanuel Macron a d’ailleurs clairement fermé la porte sur ce point.
La PMA en chiffres
Selon une très récente enquête, un enfant sur trente est conçu grâce à l’assistance médicale à la procréation en France. La FIV (fécondation in vitro) est aujourd’hui la méthode la plus utilisée et représente « 70 % des enfants conçus » par PMA. En moyenne, 300 000 enfants ont été conçus avec cette technique entre 1981 et 2014. Et si cette tendance se poursuit, on atteindra 400 000 enfants en 2019. Dans l’imaginaire collectif, la PMA est souvent associée à l’idée du recours à un tiers pour avoir un enfant, avec un don d’ovules, de spermatozoïdes ou d’embryons. En réalité, la quasi-totalité de ces enfants sont conçus par leurs deux parents. A noter aussi que le taux de réussite de la PMA est évaluée à 17 – 18%.
Pour le président du CCNE, les questions de bioéthique sont complexes et ne peuvent être définitives. Il convient de trouver le point d’équilibre. Il reconnaît aussi qu’il y a une demande sociétale et médicale forte pour légiférer en ces matières. Certains commentateurs se sont montré critiques envers la méthode employée par le CCNE; pour eux, le rapport ne dit pas dans quel sens la loi doit évoluer. Néanmoins, le Comité rendra son avis en septembre prochain, et non pas en juillet comme initialement annoncé.
S.D.