Lors de la prière du Regina coeli, le Pape François, a de nouveau lancé un appel aux dirigeants internationaux pour que la justice et la paix l’emportent sur la guerre en Syrie. Entre-temps, de nombreux responsables religieux orientaux réagissent et fustigent les alliés franco-anglo-américains.
L’actualité au Proche-Orient s’est de nouveau invitée ce dimanche 15 avril place Saint-Pierre. Après avoir récité la prière du Regina coeli, le Pape François a confié aux fidèles présents, être «profondément bouleversé par la situation mondiale actuelle». Il a regretté la difficulté à «se mettre d’accord pour une action commune en faveur de la paix en Syrie et dans d’autres régions du monde». Sans évoquer les récentes frappes menées par les alliés franco-anglo-américains, François a assuré prier incessamment pour la paix et a renouvelé son invitation à «toutes les personnes de bonne volonté à continuer à faire de même».
La semaine dernière, à l’issue de la messe célébrée à l’occasion du Dimanche de la Miséricorde, le Pape avait dénoncé les bombardements qui avaient fait les jours précédents plusieurs dizaines de morts dans la Ghouta orientale, en Syrie. Il avait évoqué précisément l’attaque supposée chimique lors de laquelle plusieurs dizaines de civils avaient perdu la vie. Ce sont ces attaques qui ont motivé les États-Unis, le Royaume-Uni et la France à intervenir et à lancer une centaine de missiles sur trois sites syriens liés aux activités chimiques du régime syrien.
Déjà le Pape avait affirmé qu’il «n’y a pas de bonne ou de mauvaise guerre, et rien, rien ne peut justifier l’utilisation de tels instruments d’extermination contre des populations sans défense».
Entretien téléphonie entre le pape François et le patriarche de Moscou
Le patriarche orthodoxe de Moscou, Kirill, s’est entretenu au téléphone avec le pape François, ce samedi 14 avril: « Les chrétiens ne peuvent rester indifférents face à ce qui arrive », a révélé le patriarche à l’agence russe Tass. Un message répercuté aussi en Italie par Andrea Tornielli sur la Stampa.
Le patriarcat entend poursuivre le dialogue avec le Saint-Siège en vue de mettre fin à l’effusion du sang: « Nous avons entrepris cette initiative, conscients que les chrétiens ne peuvent pas rester indifférents face à ce qui se passe en Syrie. Cela a été clairement un dialogue de paix. » La Syrie est d’ailleurs mentionnée dans la Déclaration commune de La Havane du patriarche et du pape François, conclue le 12 février 2016.
Le paragraphe 10 lançait un appel à l’aide humanitaire pour la Syrie et l’Irak: « En Syrie et en Irak, la violence a déjà emporté des milliers de vies, laissant des millions de gens sans abri ni ressources. Nous appelons la communauté internationale à mettre fin à la violence et au terrorisme et, simultanément, à contribuer par le dialogue à un prompt rétablissement de la paix civile. Une aide humanitaire à grande échelle est indispensable aux populations souffrantes et aux nombreux réfugiés dans les pays voisins. »
De sévères critiques dans le chef des Orientaux
Alors que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) est sur place à Damas pour entamer son enquête sur des allégations d’attaque chimique sur Douma, dans la Ghouta orientale, les responsables chrétiens de Syrie et de la région critiquent sévèrement les bombardements occidentaux du 14 avril 2018. Ils se demandent pourquoi les Etats-Unis – suivis par la Grande-Bretagne et la France – ont bombardé la Syrie sans mandat de l’ONU et sans attendre les résultats de l’enquête de l’OIAC.
« Avec ces missiles, ils ont jeté le masque« , lance pour sa part Mgr Georges Abou Khazen, vicaire apostolique des catholiques de rite latin. « Avant, c’était une guerre par procuration. Aujourd’hui, ce sont les principaux acteurs qui se battent. Cela fait sept années, la huitième a commencé, que l’on se bat sur le sol syrien et maintenant que les acteurs mineurs ont été vaincus, les véritables protagonistes du conflit sont descendus dans l’arène« , a-t-il déclaré le 14 avril 2018 à l’agence SIR à Rome.
Pour Mgr Antoine Audo, archevêque chaldéen d’Alep, il est surprenant que l’attaque ait eu lieu juste au moment où était sur le point de commencer en Syrie la mission des inspecteurs de l’ONU appelés à enquêter sur l’utilisation d’armes chimiques attribuée au régime de Damas. Pour le prélat, l’attaque cache la « volonté de pouvoir » de l’Occident – qui alimente le commerce des armes – et des alliés saoudiens dans la région. Sur les ondes de Radio Vatican, le prélat estime absurde que Damas utilise ce type d’armes au moment même où son armée a repris la région de Ghouta qui était depuis des années aux mains des djihadistes. Pour Mgr Audo, la Syrie paie au niveau régional le prix du conflit à distance entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, un peu comme en Irak voisin, et espère un accord entre les Etats-Unis et la Russie.
« Nous savions que les Etats-Unis avaient l’intention de bombarder après l’attaque chimique présumée sur le Ghouta orientale, mais l’espoir était qu’il y aurait d’abord une enquête objective sur l’utilisation d’armes chimiques et qu’il n’y aurait pas de tirs de missiles avant d’avoir les résultats« , affirme quant à lui le Père Bahjat Elia Karakach, curé de la paroisse de la Conversion de Saint Paul, dans le quartier de Bab Touma, à Damas. Le quartier chrétien avait été visé en début d’années par les roquettes des groupes djihadistes retranchés dans la Ghouta.
Sur le site du service d’information religieuse italienne SIR, le franciscain de la Custodie de Terre Sainte déplore le fait que « la volonté est de détruire la Syrie ».
Réaction du patriarche d’Antioche, le cardinal Raï
Dans un appel destiné à la communauté internationale, daté du 12 avril, alors que les menaces de frappes occidentales se précisaient, le patriarche d’Antioche des maronites, le cardinal Bechara Boutros Raï fustige le jeu des grandes puissances qui « battent le tambour d’une nouvelle guerre contre la Syrie ». Il fustige aussi vertement les pays occidentaux « qui n’ont pas le moindre sentiment humain envers les millions de Syriens innocents contraints de fuir leur terre », alors que le Liban a reçu des millions de réfugiés syriens sur son sol. Le cardinal Raï s’inquiète de cette nouvelle escalade et évoque la nécessité de trouver une issue diplomatique à la guerre en Syrie pour éviter une internationalisation de la guerre qui ravage le pays depuis sept ans. « Ils disent qu’ils font la guerre pour établir la démocratie en Syrie, en Irak… Donc, si vous voulez la démocratie, appliquez-la et écoutez ce que les gens disent. Vous voulez savoir quel sera le sort d’Assad ? Que le peuple syrien décide ! Ce n’est pas à vous de décider qui sera le président en Syrie, en Irak, au Liban…. Laissez le peuple décider, si vous prétendez appliquer la démocratie. La démocratie n’est pas seulement des mots: elle doit être appliquée », a-t-il martelé sur les ondes de Radio Vatican.
S.D. avec agences