Lohengrin de Wagner et la « légitimité politique »


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Lohengrin de Wagner et la « légitimité politique »
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
5 min

L'œuvre de Richard Wagner Lohengrin sera représentée au théâtre de La Monnaie jusqu'au 6 mai. La mise en scène est assurée par Olivier Py. Se pose néanmoins la question de l'aspect politique de l’œuvre de Wagner?

Il est bien connu que Wagner était particulièrement apprécié sous le IIIe Reich. Mais comme le rappelle Olivier Py, Lohengrin n’est pas un opéra nazi. Le metteur en scène explique dans un entretien publié sur le site du théâtre de La Monnaie: "Lohengrin est plus politique que les autres opéras de Wagner; c’est une recherche de l’essence, de la légitimité politique". Wagner questionne dans cette pièce la légitimité du pouvoir et d'un certain nationalisme mais cela n'en fait pas, selon les termes d'Olivier Py, un "proto-nazi".

Au début de la pièce, le personnage de Gottfried de Brabant, héritier légitime du duc de Brabant, a disparu. Les personnages de Friedrich von Telramund et son épouse Ortrud convoitent le pouvoir et tentent d’accuser Elsa, sœur de Gottfried, du meurtre de son frère. Olivier Py explique qu'avec l'absence de Gottfried, c'est la légitimité elle-même qui est éclipsée. Mais en quoi Lohengrin est-il effectivement engagé ou non sur le plan politique ? Où commence éventuellement la récupération de l’œuvre du compositeur allemand un siècle plus tard ?

Contexte mouvementé

Pour mieux appréhender l’œuvre de Wagner Lohengrin, rappelons brièvement le contexte dans lequel Wagner a lui-même composé cet opéra. Il en écrit la musique entre 1846 et 1848, à Dresde. L’Europe est en plein « printemps des peuples ». « Ce climat inspire à Wagner une révolution de la place de l’opéra, qui ne doit plus être l’apanage de la cour mais du peuple », peut-on lire sur la page d’Olyrix consacré à Lohengrin[1]. Wagner puise dans les contes populaires et dans le christianisme les thèmes qui jalonnent Lohengrin. Il délaisse les mythes de l’Antiquité et les tragédies lyriques qui plaisent alors davantage à l’aristocratie allemande. Lohengrin laisse aussi entrevoir l’espoir d’un « souverain davantage pieux, attentif à la justice et pouvant réunir une grande Germanie libre ».

Quand l’insurrection éclate à Dresde en 1849, Wagner y participe personnellement. Mais les troupes prussiennes rétablissent rapidement l’ordre dans la ville et Wagner est contraint à l’exil. L’opéra Lohengrin sera joué pour la première fois à Weimar le 28 août 1850 sous la direction de Franz Liszt, beau-père de Wagner, en l’absence de ce dernier. Un succès. Cependant, la seconde partie du monologue In fernem Land est censurée, « seconde partie qui ne sera reprise qu'en 1936 à Bayreuth par Franz Völker à la demande expresse d'Hitler ». Dans cette seconde partie du monologue, Lohengrin se présente et il répond ainsi à la « question interdite »: celle de son identité, liée au sacré, puisqu’il se déclare chevalier et serviteur du Graal.

Transcendance et interdit

Cette « question interdite », c’est le personnage d’Elsa qui la pose. Sœur de Gottfried et épouse de Lohengrin, elle avait accepté d’aimer son mari avec une confiance absolue, sans jamais le questionner sur son identité. Mais son interrogation quant à l’identité réelle de Lohengrin la rattrape et elle faillit à sa promesse. Lohengrin doit alors la quitter. « Le fait qu’Elsa ne doive pas demander le nom du chevalier ni chercher à connaître son identité est un thème qui se retrouve dans de nombreux mythes occidentaux ». Ce thème est effectivement présent dans la mythologie grecque mais surtout, il renvoie à Eve, « dans un registre religieux tout wagnérien ». Selon Olivier Py, « Lohengrin est une transcendance à qui on ne doit pas demander son nom – ce qui est presque une définition de l’art. Sans connaître son nom, on ne peut pas l’appeler, et on ne court pas le risque qu’il soit récupéré – en politique notamment ». L’on pourrait avancer la même affirmation à propos du sacré, dont le personnage Lohengrin se fait également le symbole par sa référence à la chevalerie et au Graal.

Art et politique

De plus, à travers le rapport qui lie les personnages de Lohengrin et Gottfried, l’opéra questionne le rapport de l’art et de la politique, il « évoque les rapports entre l’artiste et le pouvoir, affirme Olivier Py, mieux, entre le poète et le pouvoir. Ce poète, c’est Wagner. Et ce pouvoir est un pouvoir appelé, attendu, qui unifierait l’Allemagne pour le meilleur et le pire. […] Les rapports entre l’art (voire la culture) et le pouvoir sont donc au cœur de Lohengrin ». Le personnage de Lohengrin incarne la figure de l’artiste autant qu’il personnifie l’espoir lié au domaine religieux, à la transcendance, qui peut soutenir le politique, mais pour autant Lohengrin n’est pas lui-même un personnage politique. Il y a, dans Lohengrin, un espoir, une attente, qui est portée par l’art, qui rend possible de nouveaux horizons. Lesquels ? À l’époque où Wagner écrit son opéra, Hitler n’était pas encore né. À l’attente et à l’espoir qu’ouvre l’œuvre de Wagner, on ne peut donc faire répondre de manière automatique l’ensemble de la politique menée par Hitler près d’un siècle plus tard. « Par ailleurs, ajoute Olivier Py, Lohengrin refuse la couronne: Wagner a compris qu’un poète qui se met à la place du roi est amené à perdre la transcendance ». L’art, pour servir le sacré, devrait donc garder une certaine distance avec la politique. C’est à cette condition seulement que l’art peut intervenir avec justesse et soutenir un pouvoir légitime.

L’opéra plaira tout particulièrement au jeune roi Louis II de Bavière, « sans doute flatté par la première scène qui appelle un prince à réunir l’Empire allemand » à travers le personnage d’Henri l’Oiseleur. Serait-ce pour la même raison que l’opéra a plu, par la suite, à Hitler ? Sans doute en partie. Mais selon Olivier Py, l’opéra Lohengrin témoigne d’un certain attachement à la monarchie: Gottfried de Brabant est bien l’héritier légitime, c’est lui que Lohengrin délivre et réhabilite finalement. Le metteur en scène voit même dans le personnage de Gottfried, qui interviendra à la fin de la pièce, un "révolutionnaire monarchique, car il croit à la force symbolique du prince", explique-t-il. Olivier Py affirme même: "Si Lohengrin s’en va [à la fin de la pièce, à l'inverse de Gottfried], c’est en quelque sorte pour ne pas devenir Hitler". Il précise: « Je suis de ceux qui pensent le nazisme comme un mouvement esthétique ». Même s’il est clair que le nazisme n’est pas seulement un mouvement esthétique, pour Olivier Py, la figure du prince qu’incarne Gottfried exclut celle du Führer.

Peut-être l’actualité de Lohengrin tient-elle à sa capacité à nous questionner, aujourd’hui encore, sur le thème de la délivrance et de la liberté, de la légitimité et de l’unité, autant de thèmes universels qui traversent toutes les époques…

Informations: https://www.lamonnaie.be/fr/program/429-lohengrin

MMH

[1] https://www.olyrix.com/oeuvres/556/lohengrin/a-propos

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