La situation est terrible pour les civils de la Ghouta. Dans sa lutte contre les rebelles et terroristes qui contrôlent l’enclave, Bachar al-Assad est soutenu par la Russie. Comment comprendre cette situation ?
Les attaques contre la Ghouta se poursuivent. Pour la population, la situation est terrible. Il y a quelques jours, le pape avait lancé un appel pour « faire cesser la violence ». Le régime syrien, soutenu par la Russie, poursuit cependant la lutte contre les rebelles qui se trouvent dans la Ghouta. Cette zone est en effet contrôlée par des terroristes et des djihadistes, divisés en plusieurs factions : Jaïch al-Islam, Failaq al-Rahman, Ahrah al-Cham… Sans la Russie, la situation de Bachar al-Assad serait précaire et Damas tomberait probablement aux mains des terroristes. Mais pourquoi Poutine soutient-il Bachar al-Assad? Afin de comprendre la situation en Syrie, revenons brièvement sur les causes profondes de l’alliance syro-russe…
Base navale de Tartous
La Russie n’a pas d’accès à la Méditerranée. C’est pourquoi, en 1971, un accord entre la Syrie et l’URSS a permis aux Russes d’installer une base navale à Tartous. Tartous permet notamment aux navires de guerre russe de rejoindre leurs bases de la mer Noire sans passer par les Détroits turcs. Une alliance syro-russe est donc importante pour la Russie du point de vue géopolitique.
Commerce des armes
Selon Amnesty International, la Russie vend environ 10% de ses armes à la Syrie. Rappelons que la Russie est le deuxième plus gros exportateur d’armes au monde, après les États-Unis. Du côté syrien, c’est 48% des armes achetées qui viennent de Russie, selon un rapport du Stockholm International Peace Institute. En 2007, les deux pays avaient en effet signé un accord sur l’achat d’armements, notamment de missiles. Les rebelles pourraient mettre fin à cet accord s’ils accédaient au pouvoir. Poutine a donc intérêt à soutenir Bachar al-Assad à cause du commerce des armes.
Pétrole
Lukoil, le plus gros producteur russe de pétrole, réalise de nombreux investissements en Syrie. Mais également en Europe.
Or depuis plusieurs années, deux projets de gazoducs se concurrencent l’un l’autre: dans le premier cas, le pétrole viendrait du Qatar, dans le second cas, il viendrait d’Iran. Et dans les deux cas, pour être acheminé vers l’Europe, le pétrole devrait passer par la Syrie. C’est ce qu’explique le professeur Mitchell Orenstein, du Centre Davis d’études russes et eurasiennes de l’université Harvard.
En 2009, Bachar al-Assad s’était opposé à la proposition du Qatar en vue de la réalisation de ce projet, sous la pression de la Russie: en effet, si le pétrole importé en Europe vient du Qatar ou d’Iran, c’est forcément au détriment du pétrole russe: « la Russie, qui ne voulait pas voir sa position dans les marchés européens du gaz être compromise, a exercé une forte pression sur Assad dans cette optique. »
En revanche, les États-Unis soutiennent le gazoduc qatari: une manière de limiter l’influence économique possible de la Russie sur l’Europe. Par ailleurs, le soutien des États-Unis au Qatar est aussi un « moyen de contrebalancer l’Iran ».
Les États-Unis ont donc tout intérêt à faire tomber Bachar al-Assad: ce serait une manière de concurrencer la Russie, en l’atteignant du point de vue du marché du pétrole. Selon le journaliste Nafeez Ahmed, « fin 2011, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et Israël apportaient une aide secrète aux factions rebelles en Syrie dans le but de provoquer l’ "effondrement" du régime d’Assad "de l’intérieur". »
La Russie a donc tout intérêt à soutenir Bachar al-Assad pour contrer un double projet de gazoducs qui contrarie son influence dans le commerce du pétrole, spécialement en Europe.
Affinités diverses
La majorité des chrétiens syriens sont orthodoxes. Il existe donc une proximité religieuse entre les chrétiens de Syrie et la Russie orthodoxe. De plus, Bachar al-Assad passe parfois aussi pour le dernier protecteur des chrétiens en Orient. Mais selon Salam Kawakibi, politologue d’origine syrienne et directeur adjoint de « Arab Reform Initiative », cette idée doit cependant être nuancée: Bachar al-Assad ne s’est jamais engagé pour les chrétiens de Syrie. Quelquefois il a même agi à leur encontre, quoi que de manière indirecte.
À ces affinités religieuses (qui restent donc relatives), ajoutons les affinités militaires: selon Clémence Lemaistre, 80% des officiers syriens sont formés en Russie.
En outre, environ cinquante mille bi-nationaux syriens résident en Russie.
Contre le terrorisme
Enfin, quand Poutine affirme: « La Russie ne négocie pas avec les terroristes, elle les détruit », ce n’est pas seulement du discours. L’effondrement du régime de Bachar al-Assad représente le risque d’expansion d’un front pan-islamique, réunissant la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite. Ce front pourrait s’étendre vers le Caucase, puis atteindre l’Asie centrale, comme l’explique Pascal Le Pautrémat, géopoliticien et spécialiste en questions militaires. Une telle situation favoriserait l’instabilité et la montée du terrorisme en Russie. En effet, de nombreux combattants de Daesh sont issus des minorités sunnites du Caucase, ils viennent notamment de Tchétchénie.
Conclusion
De nombreux paramètres expliquent les liens qui existent entre la Russie et la Syrie. Dans cette situation, les grandes puissances poursuivent chacune leur intérêt, créant des alliances au gré du marché des armes, du pétrole et de diverses stratégies géopolitiques. L’appel du pape François à faire cesser les violences risque fort de ne pas avoir la portée qu’il mériterait. Les civils de la Ghouta et de Damas traversent une période cauchemardesque. Leurs souffrances expriment malheureusement l’actualité de la formule de Saint Jean: « Le monde entier est sous la puissance du malin » (1 Jean 2, 15). Comment réagir face à cette situation ? À cette vaste question, il existe une réponse certaine – bien qu’elle mériterait d’être détaillée –: se tourner vers la Croix, vers le Christ, et cultiver sans cesse les vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité…
MMH
Image: Domaine public - En.Kremlin.Ru