Dans le cadre du Festival Nourrir Liège 2018 (du 15 au 25 mars), Rob Hopkins était de passage dans la cité ardente. Parrain de cette 2e édition du festival liégeois de transition alimentaire, il est surtout connu comme co-fondateur du « Transition Network« . Il a donné une conférence interactive et optimiste sur l’avenir de notre planète. Son leitmotiv: renouons avec notre imagination!
Salle comble pour l’orateur britannique hier soir, dont la conférence était traduite en direct pour ceux qui ne comprennent pas la langue de Shakespeare ! Un public majoritairement jeune, symptôme d’une société, d’une génération qui se cherche, veut trouver l’inspiration et surtout des solutions pour inverser la tendance actuelle dominante, plutôt pessimiste et climato-sceptique. A noter que Rob Hopkins donnera encore une conférence ce jeudi 22 mars à l’auditoire Socrate 10 de Louvain-La-Neuve à 20h, en compagnie de Olivier De Schutter, autour des énergies citoyennes.
Une personnalité engagée et dynamique
Rob Hopkins (né en 1968) a grandi à Londres jusqu’à l’âge de 12 ans. Aujourd’hui, il est un enseignant en permaculture et vit à Totnes (Angleterre) où il s’investit pleinement dans le développement de sa communauté. Il a notamment mis sur pied une brasserie. Rob Hopkins est surtout connu pour être l’initiateur du mouvement international des villes en transition (2005). Il est aussi l’auteur de quatre ouvrages importants sur ce sujet : The Transition Handbook (2008), The Transition Companion (2011), The Power of Just Doing Stuff (2013) et 21 Stories of Transition (2015).
Hier soir, dans le nouveau complexe Opéra de l’Université de Liège, Rob Hopkins est resté fidèle à lui-même; son propos était résolument optimiste et engagé. Venu à Liège il y a quatre ans, il s’est montré très surpris de voir toutes les initiatives de transition mises en route dans la région liégeoise. Il a d’ailleurs visité quelques-unes d’entre elles dont la coopérative des Vins de Liège. « C’est époustouflant de voir tout ce qui s’est passé depuis ma dernière visite. »
Avant de débuter son exposé, l’orateur a proposé à l’assistance liégeoise de faire un petit jeu. Par groupe de deux ou trois, les Liégeois ont du réfléchir à tous les usages possibles voire farfelus que l’on pourrait attribuer à un objet affiché sur le grand écran de la salle. Après deux minutes d’échanges, Rob Hopkins a récolté les idées les plus saugrenues. Cet exercice pour montrer que faire travailler son imagination, c’est allumer une petite étincelle, cela donne le sourire, il y a presque quelque chose de magique dans cette posture de questionnement, de réflexion, de rêve aussi.
Le pouvoir de l’imagination
Pour Rob Hopkins, là est le grand malheur de notre temps: nous avons oublié d’imaginer. Nous déléguons trop facilement des tâches qui devraient relever de notre créativité à des machines, des écrans, des ordinateurs. L’imagination. Réfléchir, se poser des questions, envisager toutes les possibilités. Telle devrait être notre dynamique quotidienne. D’après une étude américaine, depuis les années 1970, notre capacité à réfléchir de manière créative, qui est en fait étroitement liée au QI, s’est stabilisée voire même a chuté. Nous assistons donc clairement à une chute de notre pouvoir d’imagination. Rob Hopkins déplore aussi le fait que nous jouons moins. « Nous avons perdu cette culture de gosse de la rue. Aujourd’hui, à 4 ans, les enfants rédigent déjà leur CV. » affirme ironiquement l’orateur.
Nous n’avons plus le temps pour développer notre créativité. Rob Hopkins plaide notamment pour l’organisation de jeux urbains (street games) pour reconquérir notre imagination. Se réapproprier l’espace pour pouvoir redéployer notre faculté d’imagination, de rêve et de curiosité. Selon Rob, le nombre d’enfants qui jouent dans la rue devrait être un indicateur du bien-être d’une ville ou d’un village. Il constate aussi que l’architecture urbaine moderne ne suscite plus la curiosité du promeneur contrairement à une forêt, fascinante pour Rob, lieu de méditation et de réflexion par excellence, modèle économique circulaire dont nous devrions nous inspirer en permanence. Nous devons retrouver le temps et l’espace pour rêver, flâner et Rob Hopkins rejoint cette idée récemment développée par des pédopsychiatres : s’ennuyer est bon pour l’enfant … et pour nous aussi, si nous savons comment utiliser cet ennui! Au lieu de nous jeter sur l’écran de notre téléphone, on pourrait faire des tas d’autres choses plus utiles et productives. A chaque fois que nous regardons un écran, nous ratons une occasion d’agir. Pour Rob Hopkins, les réseaux sociaux ont diminué notre capacité de concentration. Pour réfléchir, Einstein avait l’habitude de faire du vélo. « Aurait-il fait les mêmes découvertes scientifiques s’il avait été scotché à FaceBook? » lance Rob Hopkins à l’assemblée. L’exemple prête à sourire mais en dit long sur nos dépendances et l’impact de celles-ci sur notre capacité de réflexion et d’action.
Passer plus de temps dans la nature serait donc l’une des clés pour Rob Hopkins même s’il constate que, sur un demi-siècle, 50 % des espèces vivantes ont disparu sur la Terre, et cette perte de diversité dans notre environnement impacte aussi notre capacité d’imagination. Pour Rob Hopkins, nous avons cruellement besoin d’un environnement qui suscite notre curiosité.
L’orateur du jour entame alors une partie un peu plus scientifique en abordant le fonctionnement de notre hippocampe, partie du cerveau qui génère la mémoire et … l’imagination! Cette glande est très sensible aux peurs et aux angoisses, qui entrainent un rétrécissement et donc un moins bon fonctionnement de celle-ci. C’est pourquoi, quand on parle de manière pessimiste du climat et de l’avenir de notre planète, les personnes sont effrayées et n’ont plus la capacité de réfléchir, d’imaginer des solutions. D’où la nécessité de porter un regard résolument optimiste sur le futur et de se dire que tout est réversible pour croire au changement et s’engager dans la transition.
Pour ce faire, il est primordial d’accorder plus d’attention à notre voisinage, à notre prochain, de se rencontrer, de recréer du lien. « Nous ne sommes pas dépressifs, nous sommes déconnectés. » assure Rob Hopkins. Il en revient alors à son modèle fétiche: la forêt et ses multiples connexions.
Quelques conseils
Rob Hopkins a ensuite énuméré une série de conseils pour entrer en transition, exemples à l’appui récoltés en France, en Allemagne, en Angleterre.
Tout d’abord, saisir les opportunités. Pour mettre sur pied des projets qui favorisent l’économie locale et les échanges. Le retour vers la diversité, donc l’abandon de la monoculture, créera plus de dynamisme qui augmentera le nombre d’opportunités et ainsi de suite pour former un nouveau cercle vertueux.
Etre créatifs et ouverts. Tout l’exposé de Rob Hopkins tend en fait vers cette idée maitresse.
Mettre le souci des autres au centre. S’investir dans sa communauté est l’un des piliers pour entrer en transition. Prendre soin des autres, veiller à ce que leur besoins soient satisfaits. Pour Rob Hopkins, on sait quand une communauté est en transition quand elle s’exprime par des phrases comme : « QUAND allons-nous lancer ce projet? » et non plus par « SI le projet est lancé ». Il y a alors un vrai changement de mentalité, une autre disposition d’esprit qui permet d’avancer … ensemble.
Faire en sorte que le communautés redeviennent propriétaires. Ce point est fondamental pour Rob Hopkins. Chacun doit pouvoir se sentir responsable et solidaire d’un projet et avoir envie de s’y investir pour lui et pour les autres. Se soutenir les uns les autres, réfléchir longuement à la manière dont nous faisons les choses et à leur impact. Prendre en compte le vécu, le passé de l’autre, écouter son histoire.
Pour en arriver à toujours tisser plus de liens avec les membres de sa communauté. Chaque jour et dès maintenant !
Enfin, et cette dernière idée rejoint la première citée et referme notre cercle vertueux de la transition, transformer nos besoins en opportunités comme dans le célèbre modèle de Preston: une petite ville en déclin où les habitants se sont demandé pourquoi la majeure partie de leur argent, de leur salaire, de leurs dépenses n’étaient pas réinvestis directement dans leur communauté locale. Ils ont alors décidé de favoriser le plus possible l’économie circulaire et leur exemple est aujourd’hui étudié par les économistes, les sociologues et bien entendu les adeptes de la transition !
Conclusion
Certes, il n’est pas facile de se lancer seul dans la transition. On ne dispose pas toujours des savoirs, des moyens, des leviers pour faire bouger les choses. C’est pourquoi Rob Hopkins invite tout un chacun à rencontrer un groupe qui s’est déjà engagé dans la Transition et de le rejoindre, de le soutenir. En la matière, il faut avancer pas à pas, le but étant que les citoyens reprennent la main à long terme pour le bien commun. Au départ, ce n’est pas tant le résultat immédiat qui compte mais plutôt le simple fait de se (re)connecter aux autres. C’est peut-être et plus que probablement la condition sine qua non pour entrer en Transition. Une petite intervention, un détail peut parfois changer tout un environnement et la manière de porter notre regard sur lui, sur ce qui s’y passe.
Sophie Delhalle