Manifestations en RDC : Quel bilan?


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Manifestations en RDC : Quel bilan?
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
7 min

Alors que la journée du 31 décembre a été émaillée d'incidents et de violences, la situation à Kinshasa semble être revenue à la normale, même si la tension reste vive.

A l'appel du Comité Laïc de Coordination (CLC) de l'archidiocèse de Kinshasa, une marche pacifique était organisée le 31 décembre, date qui "commémore" la signature un an jour pour jour de l'Accord de la Saint-Sylvestre, sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Des accords conclu entre la majorité présidentielle et l'opposition, mais qui, à ce jour, n'ont pas été mis en œuvre.

Que s'est-il passé dimanche dernier? Selon diverses sources, la police aurait encerclé des églises où se trouvaient des fidèles venus participer à la messe dominicale. L'objectif était de les empêcher, une fois la célébration terminée, de descendre dans les rues pour protester contre la non application de l'accord du 31 décembre 2016 et le nouveau report de l'élection présidentielle, désormais repoussée au 23 décembre 2018. Les incidents ont été d'une rare violence dans certains quartiers, comme à l'église Saint-Dominique dans le quartier de la 13e rue de Limete.

Dans d'autres endroits de cette immense mégapole qu'est la capitale congolaise Kinshasa, il semble que la situation était plus calme, mais il est vrai que de nombreuses personnes avaient évité de sortir, préférant être prudents.

Quoi qu'il en soit, des personnes ont perdu la vie dans ces affrontements. Certes, il est difficile d'avoir un bilan exact des personnes tuées, les chiffres allant de deux à dix selon les sources. Selon les organisateurs de la marche, la répression aurait fait au moins 12 morts, un chiffre démenti par le gouvernement. De son côté l'AFP parle de huit personnes tuées, dont sept à Kinshasa et une à Kananga, dans le centre du pays. De plus, les forces de l’ordre ont interpellé 88 manifestants, dont des prêtres, à travers tout le pays, selon l'agence de presse. Mais, peu importe le nombre excat, un mort est déjà insupportable.

L'ONU appelle le gouvernement à la retenue

Le 30 décembre, le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, avait annoncé l’interdiction des marches du CLC. Dans un communiqué diffusé par la radio-télévision nationale du Congo (RTNC), il a justifié sa mesure par un manque d’effectif de police pour sécuriser la manifestation. Il a de plus argué que les organisateurs ne lui avaient pas fourni d'information sur leur itinéraire.

Après la publication de l’interdiction des marches du CLC, le gouvernement congolais a coupé internet, déployé les forces de l’ordre dans plusieurs endroits stratégiques des grandes villes et brouillé le signal de certaines radios locales, telles que le média onusien radio Okapi. Aujourd'hui, les réseaux sociaux et Internet ont été rétablis.

Le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, avait lui aussi demandé au gouvernement et aux forces nationales de sécurité de la RDC, de faire "preuve de retenue et à respecter les droits du peuple congolais aux libertés d'expression et de manifester pacifiquement".

Pas l'unanimité au sein de l'Eglise?

La marche menée à l'invitation du CLC n'a pas reçu l'aval de l'ensemble de l'Eglise catholique. Sand doute par prudence, précisément pour éviter que des innocents ne soient une nouvelle fois victimes des forces de l'ordre. L’appel à la manifestation du 31 décembre n’a donc pas fait l’unanimité parmi les évêques notamment. Au Nord-Kivu, l’évêque de Goma, Mgr Théophile Kaboy, avait publié un communiqué dans lequel il indiquait que l’Eglise catholique ne menait aucune marche le 31 décembre. L'évêque a cependant appelé les fidèles à s'organiser, "sans violence, conformément aux dispositifs de la Constitution", tout en invitant à la prière et à la solidarité. L’évêque de Beni-Butembo, Mgr Sikuli Paluku Melchisédech, a adressé un message similaire aux fidèles de son diocèse. Il les a exhortés à prononcer des prières pour la paix dans le pays. A Kisangani également, les catholiques n’ont pas répondu à l’appel du CLC. L'archevêque du diocèse, Mgr Marcel Utembi, par ailleurs président de la CENCO, ayant souligné, le 30 décembre, que cette "structure des laïcs catholiques" n'existait pas dans son diocèse. Il a en outre, pour "des raisons de sécurité", interdit la célébration du 120e anniversaire de l'évangélisation de la ville de Kisangani, qui devait se dérouler aussi le 31 décembre. Dans de nombreuses autres localités de l’intérieur du pays, l’appel du CLC n’a pas été non plus suivi. A Uvira, Fizi et Mwenga, les messes se sont déroulées normalement, et les fidèles ont regagné leurs maisons, après la prière. Dans la province de l’Equateur dont le chef- lieu est Mbandaka, la plupart des fidèles qui voulaient manifester à la sortie du culte dominical ont été dispersés. Les principaux axes routiers et lieux publics de la ville ont été quadrillés par les forces de l'ordre. Ceux qui tentaient de manifester ont été dispersés à coup des grenades lacrymogènes. A noter que les Eglises dites de "réveil" – nombreuses en RDC - avaient, elles aussi, appelé au boycott de la marche du CLC, alors qu'elles semblaient vouloir s'y rallier dans un premier temps.

Joint par téléphone, le CLC ne souhaite plus communiquer d'informations et ce, pour des raisons de sécurité. Un de ses membres nous l'a affirmé. Le CLC n'entend pas pour autant abandonner, mais préfère prendre le telmps de réfélechir aux éventuelles actions futures.

Le gouvernement fustige le cardinal

Ce mercredi 3 janvier, le porte-parole du gouvernement congolais, par ailleurs ministre de la Communication et des médias, Lambert Mendé, a tenu à féliciter les forces de police et de sécurité qui, "sur l’ensemble du territoire national, ont respecté le mot d’ordre de rigueur, de fermeté et de conformité au droit international humanitaire dans la gestion desdits événements". Lambert Mendé a aussi déclaré que "le gouvernement note avec satisfaction la responsabilité du peuple congolais qui a perdu cette crédulité sur laquelle les agitateurs comptaient pour déstabiliser notre pays au mieux d’intérêts qui sont loin d’être nôtres". Il a également affirmé que les 88 manifestants interpellés ont tous été relaxés après interrogatoire. Le porte-parole du gouvernement s'en est enfin pris au cardinal-archevêque de Kinshasa, déclarant "qu'alors qu'en pasteur le cardinal invoque une paix durable pour la RDC, par une attitude de mépris et de rejet, il incite en même temps les Congolais à la haine et à la confrontation en les opposants les uns aux autres par un discours belliqueux aux accents de combattant". Et de poursuivre: "C’est injuste de la part du Cardinal de méconnaitre le professionnalisme de nos forces de l’ordre qui n’ont causé aucune perte en vies humaines parmi la poignée de fidèles qui ont essayé de manifester violemment avec des insignes religieux à Kinshasa ou ceux d’un parti politique radicalisé à Kamina", ajoutant que lorsque le commisariat de Massina qui a entraîné le décès d'un policier, le cardinal a gardé "un silence assourdissant".

Le Saint-Siège ne condamne ni n’approuve

Précisons qu'à la suite des troubles survenus dimanche, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kinshasa, a réagi dans un communiqué. En des termes d’une grande fermeté, le cardinal a exprimé sa condamnation de la répression policière des marches organisées dimanche pour le premier anniversaire de l’accord signé un an plus tôt par le gouvernement et l’opposition, sous l’égide de l’épiscopat congolais. Alors que le mandat du président Joseph Kabila est arrivé à échéance depuis plus d’un an, le cardinal Monsengwo dénonce l’enlisement de la crise politique.

Pour l’archevêque de Kinshasa, l’absence d’application concrète de l’accord du 31 décembre 2016 crée un "malaise socio-politique" dont "la marche pacifique et non violente organisée par le Comité laïc de coordination s’est fait l’écho". Le cardinal Monsengwo condamne "les actes de barbarie commis par de prétendus vaillants hommes en uniforme" dont il liste les exactions : "le fait d’empêcher les fidèles chrétiens d’entrer dans les églises pour participer à la messe suivant l’ordre reçu d’une certaine hiérarchie militaire, le jet de gaz lacrymogène pendant la célébration eucharistique dans les différentes paroisses de Kinshasa, le vol d’argent, d’appareils téléphoniques, la poursuite, la fouille systématique des personnes et de leurs biens dans l’église et dans les rues, l’entrée des militaires dans les cures de quelques paroisses sous prétexte de rechercher les semeurs des troubles, les tueries, les tirs à balles réelles et à bout portant sur des chrétiens tenant en mains bibles, chapelets et crucifix, les arrestations des prêtres et fidèles, etc."

Le cardinal dénonce les atteintes à la liberté religieuse et "l’accaparement des ressources, des richesses, le maintien au pouvoir par des méthodes anticonstitutionnelles, qui provoquent de graves dommages". Pour l’archevêque de Kinshasa, "il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RDC".

Dans un autre communiqué, la nonciature apostolique à Kinshasa précise que le Saint-Siège ne condamne ni n’approuve la marche du 31 décembre, mais rappelle que "la promotion de la justice sociale et la défense des droits civils et politiques des citoyens font intégralement partie de la Doctrine Sociale de l'Eglise".

Jean-Jacques Durré (avec agence, cath.ch/I.Media et Vatican News)

Lire le texte intégral du communiqué du cardinal Mosengwo

© Photo en Une: Belgaimage

 

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