Florence Aubenas: Grandeur et misère du journalisme


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Florence Aubenas: Grandeur et misère du journalisme
Par Anne-Françoise de Beaudrap
Publié le - Modifié le
4 min

(c) Grandes conférences catholiques

Salle comble ce 22 janvier pour les Grandes conférences catholiques à Bruxelles. La soirée rehaussée par la présence du Roi Albert et de la Reine Paola accueillait la journaliste Florence Aubenas, grand reporter.

D'emblée la journaliste Florence Aubenas remercie le public présent, pour le soutien moral apporté il y a dix ans qui a permis sa libération d'Irak. "Mon nom est désormais collé à cette expérience d'ex-otage", constate-t-elle au cours de la conférence donnée au Square Meeting Center en plein cœur de Bruxelles. Avant d'évoquer brièvement sa libération après ces mois en captivité, la reporter française a d'abord dessiné l'évolution du métier de journaliste pour lequel elle s'est formée dans les années 1980.

Florence Aubenas a commencé sa carrière loin des lignes de front et des pays en guerre. "En 1985, reconnaît-elle, la guerre ne nous concernait pas. Nous étions la génération de la paix…" Construction de l'Europe, bientôt la chute du mur de Berlin, etc. les journalistes ne se voyaient pas approcher des zones de combat, d'autant plus que cette profession du reporter de guerre souffrait d'une mauvaise réputation depuis les conflits mondiaux précédents. "La presse a beaucoup perdu de guerre en guerre, elle a souffert de la censure imposée et du rôle de bourrage de crâne que lui imposaient les pouvoirs publics", souligne Florence Aubenas. La journaliste est engagée à Libération au départ comme secrétaire de rédaction, un poste de bureau. Sa carrière évolue quand elle se propose pour relayer les collègues partis couvrir les "événements graves" qui se déroulaient au Rwanda. "On ne parlait pas encore de génocide", se rappelle-t-elle.

Une profession de plus en plus à risque

(c) Cathobel

Au Rwanda puis en ex-Yougoslavie, Florence Aubenas constate qu'elle n'a pas les réflexes nécessaires parce qu'elle n'a pas été formée à ces situations de guerre. Humainement, le choc est aussi rude: "Comment devais-je me comporter face à des gens qui ont tout perdu ?", se demande-t-elle. La journaliste raconte son complexe d'avoir des dollars cachés sur elle, un téléphone satellite, une voiture dotée de suffisamment d'essence… alors même qu'elle croise des civils affamés qui marchent depuis des jours et des semaines. Au cours de ces Grandes conférences catholiques, Florence Aubenas soulève aussi la question : comment informer le lecteur occidental ? En ex-Yougoslavie, son rédacteur en chef lui demande d'enquêter sur les charniers qui malheureusement sont très nombreux là où elle est en reportage. Au deuxième ou troisième article, ce même chef lui laisse entendre que ce sujet lasse les lecteurs, qu'il faut trouver un autre angle. "Comment amener le lecteur avec soi dans ses bagages?", résume Florence Aubenas confrontée cette fois-là encore à une distorsion du temps entre ce qui se passe en zone de conflit et l'écho dans les médias français et européens.

La journaliste aborde ensuite une troisième évolution dans sa pratique professionnelle, une découverte qu'elle a faite pendant la guerre en Irak. "Avant, nos voitures étaient signalées par un brassard presse, un pare-soleil qui indiquait la même chose et des bannières sur les portières. Les véhicules devaient être protégés comme ceux de la Croix-Rouge." Florence Aubenas prend conscience que les journalistes et les travailleurs humanitaires deviennent des cibles privilégiées pour rendre le conflit visible. "A quoi servent tes articles ?", demandent certains civils syriens à la reporter qui revient dans la même région six mois plus tard. "Ce n'est pas ce que nous écrivons qui a de l'importance, conclut Florence Aubenas, mais ce que nous représentons." C'est ainsi que la journaliste a été retenue en otage, comme ce fut le cas de plusieurs de ses collègues.

Pour Florence Aubenas, la profession de journaliste ne se résume pas à ces reportages en zone dangereuse. Le travail de "ver de terre", comme elle l'appelle, compte beaucoup. A son retour d'Irak, elle s'est plongée dans une enquête au cœur de la précarité économique en France: "Je m'inscris dans une autre guerre", reconnait-elle. Cela se terminera par le livre "Le quai de Ouistreham" où elle relate la réalité des plus démunis. Florence Aubenas prend conscience de la difficulté de défendre les gens en tant que journaliste sans faire de dégâts collatéraux. Mais sa motivation reste intacte pour rendre visible cette population sans voix, aussi bien en France qu'à l'étranger.

Anne-Françoise de Beaudrap


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