La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania réalise un film âpre et dur. Une nuit infernale pour Mariam et Youssef relatée de façon presque documentaire en neuf chapitres.
La belle et la meute est l’histoire de Mariam, une jeune Tunisienne. Lors d’une fête étudiante, elle croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, elle erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux puisque ceux-ci sont les policiers auprès desquels elle devra déposer plainte?
Neuf tableaux
C’est une histoire vraie qui est au cœur de ce film primé lors du Festival Cinémamed en fin 2017. Elle est librement adaptée du roman Coupable d’avoir été violée, publié en 2013. Très librement, car si le thème et l’histoire de base sont les mêmes, en revanche, le cadre, les noms et la temporalité sont modifiés, notamment pour être filmés en neuf plans d’une bonne dizaine de minutes. Techniquement, on parle de « plans-séquences », c’est-à-dire que l’on n’arrête pas de filmer durant tout le plan. Pas de coupure donc, ce qui se rapproche un peu de ce qui se passe au théâtre.
Parce qu’elle est formée au cinéma documentaire, parce que les plans-séquences demandent une grande rigueur et une préparation millimétrée, la réalisatrice a fait majoritairement appel à des comédiens issus du milieu théâtral et a répété plusieurs fois les scènes avec eux. Il en ressort une œuvre forte au plan humain. Car ce film est un véritable coup de poing en plein visage, qui montre une réalité brutale. C’est aussi une critique de la Tunisie, celle du temps de Zine el-Abidine Ben Ali et d’après son départ. Le choix de longs plans-séquences apporte ici une rigueur formelle, conférant une densité kafkaïenne au récit angoissant de cette jeune fille et empêchant toute possibilité de fuite pour elle comme pour le spectateur. Mariam est aussi prisonnière d’un cadre juridique qui impose des règles strictes pour qu’un viol soit reconnu. Ce sera pour elle un parcours du combattant, parcours qui lui imposera de passer dans le commissariat où travaillent ses bourreaux. Peu sont prêts à l’aider. Et si l’un ou l’autre des protagonistes manifeste un peu de compréhension, on entend presque les pensées profondes de ses vis-à-vis que nous pourrions transcrire ainsi: « Ma sœur, ne t’étonne pas de ce qui t’est arrivé, tu es une véritable provocation avec ta tenue. »
Universel
Le spectateur qui aura fait l’effort d’aller voir ce film ne devrait pas en sortir indemne. Il sera confronté à une sorte d’universel qui marque encore nos sociétés, ici, chez nous: les insultes, les agressions verbales et physiques… quotidiennes. Comme s’il fallait se justifier d’être femme. La réalisatrice oblige à regarder, à écouter ce que cette femme a vécu. La fragilité de la jeune actrice Mariam Al Ferjani permet de faire écho à celle de la victime qui fut violée une nuit de septembre. L’actrice lui donne ici la parole. Elle est sa voix, mais aussi la voix de toutes les femmes qui, chaque jour, partout dans le monde, et ici dans nos pays, sont insultées, violées, violentées, tabassées, voire tuées!
Charles DE CLERCQ – RCF
Retrouvez les sorties de la semaine et les critiques de Charles De Clercq sur le site cinecure.be ou rendez-vous dans l’émission Cinécure sur RCF Bruxelles (107.6 FM ou rcf.be), le mercredi à 13h10 et 19h15, le samedi à 13h30 et 18h15 ou dans « Cinécure l’intégrale », le dimanche à 17h30. Cette émission est disponible en podcast.
A découvrir également, l’émission « Les 4 sans coups »: deux fois par mois, Charles De Clercq invite ses amis critiques cinéma à partager leur passion pour les films du moment. Une discussion riche en échanges contradictoires, mais toujours dans la bonne humeur! Les 1er et 3e vendredis du mois à 21h et le lendemain à 17h. Egalement accessible en podcast sur rcf ou sur les4sanscoups.be.